Par le Père Jean Paul Cazes
Pour composer cette homélie, je me suis demandé ce que j’aimerais qu’on me dise si j’allais, incognito, à la messe de Noël.
Je sais tout ce qu’il faut savoir au sujet de Noël : le recensement, la grotte de Bethléem, la crèche, les bergers, Marie et Joseph, les anges, l’âne et le bœuf. Je sais trop de choses, ce qui m’empêche de m’émerveiller comme si c’était mon premier Noël.
De plus, les nouvelles sont inquiétantes, le présent difficile et l’avenir morose. Fêter Noël relève un peu de l’exploit, ou de la méthode koué : se dire heureux pour essayer de l’être, se souhaiter la paix en espérant que la guerre ne s’étendra pas, s’embrasser – mais de loin puisque certains trains ne roulent pas …Certes, les décorations sont accrochées aux sapins, les cadeaux achetés ; on les ouvrira tout à l’heure ou demain, et les enfants auront le regard que nous devrions tous avoir en adorant Jésus qui vient de naître. Car, s’il est né il y a deux mille ans, il naît à chaque instant dans le cœur de celui qui veut bien l’accueillir. Ce que nous fêtons ce soir n’est pas un simple souvenir : par la foi, nous chantons notre Dieu qui ne cesse de venir jusqu’à nous si, encore une fois, nous voulons bien l’accueillir.
Et pour l’accueillir, pourquoi ne pas être un peu poète ? Je sais que la poésie n’est pas le mode d’expression préféré des français. Nous sommes trop réalistes, et il faut bien l’être en ces temps où les prix flambent alors que le pouvoir d’achat diminue. Mais la vraie poésie n’est pas faite pour nous évader du monde tel qu’il est ; son rôle est de nous aider à voir ce que les chiffres sont incapables de nous montrer. La poésie ne consiste pas à écrire des vers mais elle est un regard qui vient d’une qualité de l’âme, un regard porté sur la vie. Et qu’est-ce que nous offre l’Evangile sinon le regard de Dieu lui-même à travers les yeux de l’Enfant qui vient de naître ? Dieu est le premier des poètes .
La poésie, ce soir, pourrait consister à nous identifier à l’un des personnages de la crèche.
Serions-nous Marie ? Pourquoi pas ? Lorsque nous communierons tout à l’heure, nous porterons vraiment Jésus en nous, comme Marie. Si nous ne croyons pas que Jésus est vraiment présent par le pain et le vin consacrés, ce n’est pas la peine de communier. Mais si nous croyons à sa vraie présence, alors, nous le portons en nous comme Marie.
Ou bien serions-nous comme Joseph ? Il y a quelques années, le Pape a écrit un très beau texte au sujet de Joseph, époux, père, travailleur, juste, éducateur. Il est vénéré comme protecteur de Marie et de Jésus, mais aussi comme protecteur de l’Eglise qui en a vraiment besoin en ce moment. Ne pouvons-nous pas nous identifier à l’un des aspects de la personne de Joseph ?
Ou bien serions-nous comme les bergers ? Ce sont des pauvres ; ils n’ont rien à offrir ; peut-être ont-ils apporté un agneau, un peu de laine, un peu de lait de brebis, mais c’est bien tout. Ils n’ont presque rien à offrir, mais ils sont présents. Si nous connaissons des personnes malades, nous savons combien est précieuse notre présence auprès d’elles. Ne rien offrir, ne rien dire, mais être là. Ne sommes-nous pas les bergers de ce soir ? Ils ont été les premiers à parvenir auprès de Jésus.
Je ne dirai rien de l’âne et du bœuf, mais que de belles choses on peut dire d’eux : la chaleur de leur présence, leur humble utilité. Personne n’est inutile autour de Jésus.
On pourrait parler des anges aussi, eux qui sont comme des ambassadeurs du Seigneur, eux qui le chantent. Mais je terminerai non pas par une personne, mais par une chose. Je terminerai par la mangeoire. Marie a déposé son fils dans une mangeoire. Une mangeoire en pierre ou en bois ? Je l’ignore. Mais une sorte de récipient rempli de paille pour la nourriture des animaux. Pas un de ces berceaux comme celui du Roi de Rome, ou celui d’Henri IV au château de Pau. Pas un berceau pour régner comme les puissants, mais un berceau pour être mangé, un berceau pour nourrir les pauvres. Et si nous étions ce berceau ce soir ? Si c’est en nous que Marie voulait déposer son fils pour l’offrir en nourriture au monde entier ? Et si cela était, qui d’entre nous oserait le refuser ?
Gloire à Dieu, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime !