Homelie du 23 octobre 2022   30ème dimanche ordinaire   Année C 

Ben Sira 35, 15b-17+20-22a     Ps 33     2 Tim 4,6-8+16-18     Lc 18, 9-14

 

Nous connaissons tous l’épisode Marthe et de Marie ; c’est un épisode qui, généralement, est mal aimé des dames qui pensent que Jésus méprise les humbles travaux ménagers. C’est une fausse lecture ; Jésus ne méprise personne. Il ne demande pas de choisirentre les deux sœurs, même s’il affirme que Marie a choisi la meilleure part. Il ne nous demande pas de choisir : il nous demande d’être en même temps (comme dirait …) Marthe et Marie. Il souhaite que notre action soit portée et soutenue par la prière et l’écoute de sa Parole, comme il souhaite que notre prière soit enrichie par notre action. Nous, nous opposonsles deux ; lui, il les réunit.

De même pour la parabole d’aujourd’hui. Jésus ne nous demande pas de choisir entre le pharisien et le publicain, du moins entre ce que fait de bien le pharisien, et l’humble attitude du publicain.  Car ce que fait le pharisien est bien : il jeûne deux fois par semaine (ce qui pourrait être profitable à notre santé) ; cela nous est rappelé chaque année, le mercredi des Cendres. Il verse le dixième de tout ce qu’il gagne, coutume que notre Moyen Age avait gardée par la dîme ; ça me permet de remercier tous ceux d’entre vous qui ont pensé – ou qui sont en train de penser – à cotiser au denier du culte. En plus, notre pharisien affirme qu’il n’est ni voleur, ni injuste, ni adultère ; dont acte ! C’est comme cela qu’il faut se comporter, on ne peut pas dire le contraire. Et même, de tout cela, il rend grâce, il remercie le Seigneur. Cela aussi est un bon rappel pour nous ; nous savons demander, ce qui est normal. Mais savons-nous remercier au moins autant que nous savons demander ? Je crois (mais je n’en suis pas certain) que c’est Péguy qui disait : « Il faut être poli avec le Bon Dieu. » Nous sommes si souvent des enfants impolis et ingrats !

Donc, le pharisien de notre parabole fait de bonnes choses ; il serait bon de nous inspirer. Mais il gâte tout en se comparant et en généralisant. En dressant la liste de ce qu’il fait, il donne, en creux, la liste de ce qu’il suggère que les autres hommes ne font pas. Il affirme : « Je ne suis pas comme les autres hommes. » Il accuse donc tous les autres hommes d’être voleurs, injustes et adultères. Voilà une généralisation pour le moins hâtive. Qu’en sait-il ? L’autre leçon de cette parabole pourrait bien être d’apprendre à ne pas porter de jugements sur autrui, que ce soit dans les relations de travail, de voisinage ou même de famille.

Du publicain, on ne sait pas trop ce qu’il fait ; contrairement au pharisien, il ne dresse aucune liste. On peut cependant imaginer les raisons pour lesquelles il se reconnaît pécheur. Nous connaissons, dans les évangiles, d’autres publicains en chair et en os : Zachée au chapitre 19 de st Luc. Si vous allez à Jéricho, on vous montrera le sycomore, aujourd’hui tout vieux et tout rabougri, sur lequel il est censé être monté pour guetter le passage du Seigneur. L’autre publicain de l’évangile est Matthieu, évidemment. Pourquoi les publicains sont-ils pécheurs ? Non pas parce qu’ils manipulent de l’argent, mais parce qu’ils sont toujours tentés de récupérer bien plus sur le dos de leurs compatriotes que ce qu’ils ont donné à Rome ; Zachée est clairement un voleur. De plus, à cause de cela, les pharisiens collaborent avec les romains qui sont non seulement des envahisseurs, mais, surtout, des païens.

Si déjà cette parabole nous aidait à retrouver ou à affermir une bonne morale fondamentale, elle aurait fait du bon travail. Mais Jésus n’est pas venu nous donner une morale : pour cela, l’Ancien Testament est suffisant, il suffit de l’appliquer. Par contre, Jésus est venu insuffler en nous la foi en lui, lui qui est le Sauveur universel. Son nom même l’indique : « Jésus » signifie « Dieu sauve. Mais il sauve de quoi et qui sauve-t-il ?

Il nous sauve de notre incapacité humaine d’atteindre Dieu par nos propres capacités. C’est cela qu’il reproche aux pharisiens de son temps et du nôtre : il leur reproche non pas d’être vertueux, mais de croire que c’est par leur seules forces et par leurs seuls mérites qu’ils seront ajustés à Dieu. Il leur reproche non pas leurs bonnes œuvres, mais de penser que ces bonnes œuvres sont capables, par elles-mêmes, d’atteindre Dieu. Il leur reproche de ne pas croire en lui qui vient faire le lien entre Dieu et l’homme, lui qui est à la fois Dieu et homme.

Si le publicain de notre parabole est justifié c’est-à-dire ajusté à Dieu comme deux pièces d’orfèvrerie sont ajustées l’une à l’autre, ou comme une note de musique est juste par rapport aux autres notes c’est que ce publicain ose reconnaître devant Dieu qu’il est pécheur et qu’il demande l’aide divine pour se relever. Contrairement au pharisien, il n’a rien à présenter à Dieu, à part son repentir et son désir immense de miséricorde.

Jésus est venu proposer le salut à tous les hommes, aux pharisiens comme aux publicains ; de son côté à lui, le travail est accompli, si je puis dire. De notre côté, il suffit seulement de dire : « J’accepte. » Comme Marie lors de l’Annonciation : Dieu a tout accompli en elle mais il a choisi d’avoir besoin du « Oui » de Marie.

Et ce simple « oui » qu’il attend de nous comme de Marie, est le premier pas vers le salut, ou vers la résurrection, ce qui est une autre manière de présenter les choses. Car la dernière phrase de notre évangile est : « Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »Il y a là bien plus et bien autre chose qu’une leçon de morale, ou même d’humilité. Qui s’est abaissé pour être relevé sinon Jésus lui-même ?  Nous reconnaître pécheurs devant lui est bien autre chose que souhaiter un bon coup d’éponge spirituelle. C’est demander et accueillir le salut, c’est-à-dire les premières lueurs de la résurrection.