Homélie du 26 février 2023    1er dimanche de Carême   Année A

Genèse 2,7-9 ; 3,1-7a     Ps 50    Romains 5,12-19     Matthieu 4,1-11

par le Père Jean Paul Cazes 

Quarante jour pour nous tourner vers Dieu ! C’est beaucoup et peu à la fois.

Quarante jours pour l’accueillir, Lui, et l’accepter comme le pivot de notre vie !

Bien sûr, il a une place dans notre vie, dans la vôtre comme dans la mienne. Mais le problème est bien là : on lui donne sa place, petite ou grande ; mais, en dehors de cette place, on fait tout sans lui. Un peu comme ceux qui viendraient, honnêtement, à la messe et qui, la messe terminée, vivraient leur vie sans aucun lien avec l’évangile.

Alors, quarante jours nous sont offerts pour nous permettre de découvrir que sans le Seigneur notre vie serait totalement différente. Je précise tout de suite ce que j’entends par « différente » en prenant un exemple que je pense vous avoir déjà donné. Un fiancé m’a dit un jour : Nous nous aimons, ma fiancée et moi. Avant, j’allais au travail, je payais mes impôts, je faisais du sport ; aujourd’hui, je vais au travail, je paye mes impôts, je fais du sport : rien n’est changé mais tout est différent.

C’est de cette différence-là dont je veux parler.

Croire dans le Seigneur Jésus-Christ, ne changera pas nos impôts, nos problèmes financiers, nos difficultés de santé, notre appréciation de l’action gouvernementale, notre anxiété face à la guerre en Ukraine... Notre foi ne changera pas cela, mais elle nous fait regarder tout cela d’une manière différente. Il ne s’agit pas de donner au Seigneur une place déterminée au milieu de nos activités, une place en dehors de laquelle il n’aurait, pour ainsi dire, pas moyen de sortir. Il s’agit par contre de colorer toutes nos activités avec le Seigneur, comme, au Moyen-Age, un chevalier se revêtait des couleurs de sa dame. La conversion n’est pas fondamentalement une question de quantité (dire plus de prières, aller plus souvent à la messe, donner plus aux mouvements caritatifs, même si toutes ces choses sont excellentes) ; c’est une question de coloration de toute notre vie. Ne rien changer, mais tout transformer, tout transfigurer.

Au bout de quarante jours, le Christ avait faim et soif, première tentation : il est vraiment un être humain, soumis aux exigences de la vie biologique, comme nous. Il a senti, comme nous, seconde tentation, le besoin d’être reconnu : n’est-ce pas pour nous sauver qu’il a partagé notre existence ? Il a senti aussi, troisième tentation, que le pouvoir lui était nécessaire, comme à nous, pour accomplir son œuvre.

Les besoins qu’il a ressentis sont les nôtres. Nous avons faim de pain, qu’il soit matériel ou spirituel ; nous avons faim de reconnaissance dans nos engagements comme dans notre propre famille; et, sans vouloir devenir chefs d’état, nous avons besoin d’un minimum de pouvoir pour accomplir notre devoir d’état. Tout cela, nous pouvons le vivre comme n’importe quel homme à peu près civilisé ; nous pouvons aussi le vivre comme un chrétien.

La tentation de Jésus a été d’employer pour lui-même la puissance qu’il a reçue pour nous. Or, il n’est pas venu dans ce monde pour se servir lui-même, mais pour nous servir et servir son Père. Alors, tous ses besoins de faim, de reconnaissance et de pouvoir, au lieu de les tourner vers lui, il les a tournés vers son Père. C’est ainsi que se termine la troisième tentation : « C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte. »

Ne rien changer dans notre vie (sauf ce qui est contraire à l’évangile, évidemment), mais tout orienter vers le Père, dans l’Esprit de Jésus.

Tout transfigurer, tout orienter : c’est la description même d’une conversion qui exige un combat perpétuel.

 

Je vous laisse sur une citation de St Augustin que j’ai lue ce matin dans le bréviaire : « (Jésus) pouvait écarter de lui le diable ; mais s’il n’avait pas été tenté, il ne t’aurait pas enseigné, à toi qui dois être soumis à la tentation, comment on remporte la victoire. »

 

 

Homélie du 12 février 2023    6ème dimanche ordinaire    Année A

Ben Sira  15,15-20     Ps 118     1 Co 2,6-10     Mt 5,17-37 (lecture brève)

Par le Père Jean Paul Cazes

Notre Parlement se prépare à modifier – en bien ou en mal – toute une série de lois de grande importance : loi sur les retraites, loi sur l’immigration, loi sur la fin de vie, inscription ou non dans la Constitution d’une liberté laissée aux femmes d’avorter. L’ensemble de nos lois modèle la société française et nous donne, normalement, les éléments qui nous permettent de vivre ensemble sans nous entre-déchirer. On sent bien qu’il est nécessaire de promulguer des lois même si on a le droit de ne pas être d’accord avec telle ou telle loi. Ce qui est vrai pour la société civile est-il vrai pour la société Eglise ?

En d’autres termes, et pour être bref, la miséricorde dont Jésus est le messager et l’acteur peut-elle se passer de lois ? Dans les cas le plus souvent très délicats et douloureux de mésentente familiale, on trouve les lois de l’Eglise en ce qui concerne le remariage et l’impossibilité à recevoir les sacrements. Dans les cas de morale sexuelle, on trouve les lois de l’Eglise en ce qui concerne la difficulté à recevoir les sacrements. Moi qui accompagne le catéchuménat de notre paroisse, je rencontre des personnes qui souhaitent ardemment recevoir le baptême mais dont le style de vie est délicat. Faut-il alors passer au-delà de ces situations et ne tenir compte que du désir de ces personnes à recevoir le baptême ?

Ou autre manière de dire : l’Eglise est-elle du côté des lois, et Jésus du côté de la miséricorde ? Est-ce que les lois et la miséricorde sont opposées ? Est-ce que l’Eglise dénature le message de Jésus en imposant des lois ?

D’une certaine manière, le désir qu’il n’y ait plus de lois, ni dans la société civile, ni dans l’Eglise, vient du désir d’une société harmonieuse, ou toute personne serait intégralement respectée, ou la force serait une servante et non un levier pour écraser autrui Cette société-là est le désir même de Dieu : elle est racontée de manière symbolique dans les récits de la Création avant le premier péché ; elle est promise sous la description de la Jérusalem d’en haut qui nous est donnée dans le livre de l’Apocalypse. Une société d’amour et de respect, où la justice sera pleinement vécue sans lois.

Une justice sans lois : ici-bas, pour l’Eglise comme pour la société, il semble que ce ne soit pas possible. Notre nature humaine est trop marquée par les limites et par le péché pour que nous puissions nous passer de lois. Pour l’Eglise, le problème n’est pas d’ignorer les lois, mais de les conformer sans cesse à la pensée et aux gestes de Jésus. Jésus qui n’est pas seulement le messager de la miséricorde, mais qui est la miséricorde faite chair, ne se détourne jamais de la nécessité de la loi. Le double amour qu’il nous donne – l’amour pour Dieu et l’amour pour le prochain – est présenté par lui comme une loi fondamentale. Ce qui signifie que lui-même n’oppose pas miséricorde et loi puisque ce double amour est une loi.

Je vous ai fait grâce de la lecture complète de l’évangile puisque j’en ai seulement retenu la lecture brève. Dans le verset 17 – que je n’ai donc pas lu – Jésus affirme : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. » Et, ce qui est étonnant, c’est qu’à chaque fois, il a l’air de durcir la Loi de Moïse : « Vous avez appris …Eh bien moi je vous dis… » Et il va jusqu’à affirmer : « Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux. »

Alors, comment nous, chrétiens, dans nos rapports entre nous, dans nos questions de mariage, de vie sexuelle, de justice, de respect de la vie et de tant et tant de questions vitales, devons-nous être encore plus durs que les scribes et les pharisiens ? En ce cas, comment penser la miséricorde ?

Si la miséricorde de Jésus inclut la compréhension, la tendresse, l’écoute, elle s’adresse aux personnes, pas aux actes ; la dureté de Jésus vise les actes, pas la personne. En accueillant la femme adultère, il relève la personne, mais réprouve son adultère et lui demande de ne plus pécher. En demeurant chez Zachée, il restaure sa dignité de fils d’Abraham mais l’aide à changer de vie. La Loi de Moïse, que Jésus n’est pas venu détruire mais mener à son accomplissement – à son épanouissement n’est pas là pour brimer notre liberté ou pour empêcher la miséricorde. Elle est là comme un chemin de choix entre l’eau et le feu, entre la vie et la mort, comme le dit Ben Sira le Sage qui ne fait que reprendre les paroles magnifiques de Moïse dans le livre du Deutéronome : « Vois : je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur, moi qui te commande aujourd’hui d’aimer le Seigneur ton Dieu, de suivre ses chemins, de garder ses commandements, ses lois et ses coutumes. Ainsi tu vivras … et le Seigneur ton Dieu te bénira dans le pays où tu entres pour en prendre possession. » (Dt 30,15-16) Ce pays, c’est bien autre chose que la terre d’Israël : c’est le Royaume de Dieu. Miséricorde et lois sont faits pour faciliter notre accession au Royaume.

 

Il n’est jamais facile, que ce soit pour l’Eglise en général, ou pour chacun de nous en particulier, de lier avec justesse, à la suite du Christ, la miséricorde et les lois ; mais c’est le seul chemin qui nous soit possible avec l’aide de l’Esprit Saint. Pour rester fidèles au Christ, c’est le chemin ardu qu’il faut suivre en Eglise selon la belle phrase de Ben Sira : « Si tu le veux, tu peux observer les commandements, il dépend de ton choix de rester fidèle. »

 

 

 

 

 

 

Homélie du 29 janvier 2023   4ème dimanche  temps ordinaire   Année A

So 2,3 ; 3,12-13     Ps 145     1 Co 1,26-31     Mt 5,1-12a

Par le Père Jean Paul Cazes

Il y a une bonne douzaine d’années, en quittant Rueil, j’ai vécu 10 mois au milieu de personnes souffrant d’un handicap, dans un des foyers de l’Arche, près de Saumur, en pleine campagne. Là, j’ai commencé à apprendre la sagesse des pauvres, la sagesse de ceux qui ne sont ni puissants, ni de haute naissance. J’ai appris, avec eux, à chanter les paroles de Paul : « Ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi. Ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi. »

Pour chanter cela en vérité, il m’a fallu vivre un lent mouvement de conversion, conversion qui n’est d’ailleurs pas achevée. Deux paroles bibliques ont marqué mon chemin. La première m’a été donnée par le psaume 138 qui dit : « C’est toi… qui m’a tissé dans le sein de ma mère. Je reconnais devant toi …l’être étonnant que je suis. ». Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais je sais que j’ai du mal à me reconnaître comme un être étonnant, même pour le Seigneur ; c’est probablement de la fausse humilité. Voilà que, depuis 3 ou 4 mois, je partageais la vie d’une trentaine de personnes souffrant de handicaps mentaux et physiques divers. Je les voyais avec leurs visages déformés, leurs gestes malhabiles, leurs difficultés à parler, leurs raisonnements simplistes. Je commençais à connaître les peurs de celui-là, les blessures d’une autre, les raisons du mutisme d’un troisième. Et le psaume me disait : « Je reconnais devant toi l’être étonnant que je suis. »  Vraiment, ces personnes : étonnantes ? Il m’a fallu du temps pour l’admettre. Et je ne l’ai admis que parce que c’est devant le Seigneur que ces êtres sont étonnants ; moi, j’avais plus de mal que le Seigneur. Mais, je commençais à être apprivoisé. Il faut du temps pour être apprivoisé, dit le renard au Petit Prince. Il faut du temps pour accepter d’être cœur à cœur avec de telles personnes. C’est comme un nouveau langage à apprendre :  celui du cœur. Il devrait être naturel, mais il ne l’est pas. Il a fallu que je l’apprenne au milieu d’eux. Un langage fait de gestes simples et de sourires. Un langage où la foi aussi est toute simple ; j’ai reçu des confessions magnifiques ; j’ai célébré deux baptêmes extraordinaires ainsi que des premières communions remplies de joie. Je parle là de personnes adultes, pas d’enfants. Oui, je vivais au milieu d’êtres étonnants.

Et pourtant, il a fallu que je franchisse une autre marche de conversion, grâce encore, là aussi, à la Bible. Un jour, dans la lettre que Paul écrit aux chrétiens de Philippe, j’ai lu ceci : « avec humilité, considérez les autres comme supérieurs à vous. » (Ph 2, 3) Je me suis battu avec cette phrase des mois durant. Comment reconnaître, non seulement avec humilité, mais en vérité, que ces personnes étaient supérieures à moi ? Moi, j’ai été éduqué par mon père dans le culte de l’intelligence, l’intelligence rationnelle, celle qui avance dans la résolution de problèmes et la mise en œuvre de solutions techniques.

Je me refusais à redire le verset des Philippiens comme un perroquet. Je voulais pouvoir le dire en vérité, mais je n’y parvenais pas.

Il a fallu que l’Esprit Saint s’en mêle. J’ai été invité à partir avec une quinzaine de personnes handicapées vivre une retraite de trois jours dans un monastère près de Bordeaux. Je n’animais pas cette retraite, j’y étais présent seulement pour la vivre avec toutes ces personnes et dire la messe pour elles. J’y ai vécu des expériences extraordinaires, par le langage des gestes et par le regard. Et un jour où j’étais seul dans ma cellule, en train de repasser en moi ce que je vivais par cette retraite, j’ai vu clair, et cette lumière ne m’a pas quitté depuis. J’ai compris quelque chose de tout simple : j’ai compris que nous étions tous supérieurs les uns aux autres, et que cette supériorité n’était pas là pour écraser les autres mais pour servir. La supériorité des personnes au milieu desquelles j’avais le bonheur de vivre était celle du cœur, cette fraîcheur qui ne juge pas, cette spontanéité qui sait accueillir. Je vivais au milieu des Béatitudes, mais il m’a fallu un long temps, et une bonne dose d’Esprit Saint pour le découvrir.

Je précise : ce n’est pas parce que ces personnes souffrent d’un handicap qu’elles sont parfaites. Comme tout le monde, elles ont besoin de conversion car, comme tout le monde, elles ont des défauts et commettent des péchés. Mais Jean Vanier leur répétait souvent qu’il y a en chacune d’elles une vraie beauté : la beauté des « pauvres de cœur », la beauté des « humbles du pays ». Cette beauté est en chacun de nous, souvent recouverte par de fausses supériorités.

Je souhaite et j’espère que notre prochain Carême soit le moment privilégié pour redécouvrir cette beauté intérieure à la suite de Jésus, doux et humble de cœur.

 

 

Homélie du 15 janvier 2023    2eme dimanche ordinaire   Année A

Isaïe 49, 3+5-6     Ps 39     1 Co 1,1-3     Jn 1,29-34

La liturgie est obligée de condenser en trois mois, entre Noël et Pâques, les trente-trois ans de la vie terrestre de Jésus. A cause de cela, des événements de la vie du Seigneur risquent de passer inaperçus : j’en veux pour preuve la fête de lundi dernier qui, au lendemain de l’Epiphanie, fut celle du Baptême de Jésus. Heureusement, pour compenser cela, les 5 versets de st Jean consacrés à cet événement nous sont donnés aujourd’hui.  

Dans ces versets écrits par l’évangéliste Jean, c’est Jean le Baptiste qui parle. Vous le savez, Jean le Baptiste est le fils de Zacharie et d’Elisabeth, il est le cousin éloigné de Jésus. C’est lui qui raconte ce qu’il a compris lors du baptême de son cousin. Il dit une chose très surprenante; parlant de Jésus, il affirme : « Je ne le connaissais pas. » Ou bien il galèje, ou bien il dit vrai. Lui, ne pas connaître Jésus ? Ce serait vraiment étonnant qu’il ne l’ait jamais rencontré, qu’il n’ait jamais joué avec lui durant leur enfance, qu’ils ne se soient jamais parlé lors de leur adolescence, qu’ils n’aient jamais rien partagé de leurs espérances au seuil de l’âge adulte. En ce sens, Jean-Baptiste connaît Jésus. Mais nous savons, par expérience, que nous pouvons rencontrer mille fois quelqu’un sans le connaître vraiment ; ça arrive souvent même dans les couples.Jean-Baptiste connaissait Jésus avant son baptême, mais il a fallu que Jésus soit baptisé pour que Jean découvre que son cousin était l’Agneau de Dieu.  Le baptême de Jésus fut l’occasion, pour Jean-Baptiste, et pour nous, de découvrir que Jésus est le Fils unique du Père et qu’il est venu pour ôter le péché du monde.

Effectivement, avant que Jésus ne soit baptisé, Jean-Baptiste ne connaissait pas la personnalité de son cousin ni l’ampleur de sa mission. Et voilà qu’à l’occasion de son humble ministère de baptiseur, il découvre que Jésus est le Christ, le Messie attendu.

Si je vous donnais une conférence, il serait intéressant d’aborder plusieurs points suggérés dans ces versets. D’abord, il serait intéressant de voir comment ce passage d’évangile plonge ses racines dans le Premier Testament, par le titre d’Agneau de Dieu qui renvoie à la sortie de l’esclavage d’Egypte, et par la présence de la colombe comme à la fin du déluge.

Il serait intéressant aussi de nous arrêter à la première manifestation de la Sainte Trinité dans l’évangile. Jésus nous est manifesté comme le Fils unique grâce à la présence de l’Esprit et par la voix du Père. Ce n’est pas une Epiphanie, comme dimanche dernier, c’est une théophanie, c’est-à-dire une manifestation de Dieu, « theos » en grec. Lors de la Transfiguration, nous aurons droit à une autre théophanie.

Il serait intéressant, aussi, de voir les points communs et les différences entre le baptême reçu par Jésus et le baptême donné par Jésus. Pour faire vite, je dirai que Jésus a voulu recevoir le baptême donné par son cousin, non pour le pardon de péchés qu’il n’a pas commis, mais pour faire comme les personnes les plus croyantes de son époque. Mais lui nous a donné le baptême total, en nous plongeant dans sa vie, dans sa mort et sa résurrection. Le geste d’eau est le même ; la signification est différente. Ce n’est pas Jean-Baptiste qui sauve, mais Jésus, seul.

Toutes ces questions-là seraient importantes à aborder, mais je préfère vous laisser sur une expression de notre première lecture tirée du prophète Isaïe : « Oui, j’ai de la valeur aux yeux du Seigneur … » Si je comprends le contexte, cette phrase est destinée au peuple juif tout entier : le peuple de la Première Alliance a de la valeur aux yeux du Seigneur, et il l’a toujours.

Mais cette phrase, comment ne pas l’appliquer au Christ lui-même ? Si on poursuit la lecture, on a en effet comme un portrait prémonitoire de la mission du Christ : « Je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. »  Oui, le Christ a de la valeur aux yeux de son Père, il est son Fils bien-aimé. Les gestes, les paroles de Jésus ont de la valeur aux yeux de son Père. La vie, la mort de Jésus ont de la valeur aux yeux de son Père. La prière de Jésus a de la valeur aux yeux de son Père.

Or, cette valeur de Jésus n’est pas là pour appuyer par contraste sur notre misère. Au contraire, elle est là pour nous révéler notre propre valeur. Oui, nous avons-nous aussi de la valeur aux yeux de notre Père. Avons-nous plus ou moins de valeur que Jésus ? Je n’en sais rien. Il ne s’agit pas de comparaison mais de révélation. La valeur de Jésus nous révèle ce que nous valons nous-mêmes aux yeux de notre Père commun. Nous ne valons pas d’abord à cause de nos œuvres ; nous avons de la valeur aux yeux de Dieu parce que Dieu nous aime. Notre valeur, comme celle de jésus, vient fondamentalement de l’amour de notre Père. Toute vie humaine est aimée de Dieu ; il est important de redire cela au moment où nos députés discutent de l’avortement et de l’euthanasie. Si Dieu est sacré pour nous, toute vie humaine est sacrée aux yeux de Dieu.

Comme les chrétiens de Corinthe, dont la vie était loin d’être exemplaire, nous avons été sanctifiés dans le Christ Jésus, par notre baptême, et nous sommes appelés à être saints. Voilà les vœux que nous adresse la Parole de Dieu en ce début d’année.

 

 

 

 

 

Homélie du 8 janvier 2023   EPIPHANIE du SEIGNEUR   Année A

Isaïe 60,1-6     Ps 71     Eph 3,2-3a+5-6     Mt 2,1-12

Par le Père Jean Paul Cazes

Comment ne pas en rester à l’imaginaire pour accueillir vraiment la signification de cette fête ? Ou, autrement dit : est-ce que l’Epiphanie a quelque chose à dire à notre foi d’aujourd’hui, au-delà des rois et des galettes ? Ce qui est ennuyeux, ce n’est pas qu’on imagine que les mages étaient trois, qu’ils étaient rois, qu’ils se nommaient Gaspard, Melkior et Baltazar, toutes choses qui ne sont pas dans l’évangile d’aujourd’hui mais qui ont été rajoutées par la riche imagination de nos ancêtres. Ce qui est ennuyeux, c’est qu’on en reste là et que cette fête, si importante pour les premiers siècles de l’Eglise, ne nous aide pas à vivre plus chrétiennement dans le monde tel qu’il est.

La liturgie a bien senti cette difficulté du passage de l’imaginaire à la signification. Dans quelques instants, après les offrandes, voici la prière que je dirai en votre nom : « Regarde avec bonté, Seigneur, les dons de ton Eglise qui ne t’offre plus ni l’or, ni l’encens, ni la myrrhe, mais celui que ces présents révélaient, qui s’immole et se donne en nourriture : Jésus, le Christ, notre Seigneur. »

Quelle pouvait être la signification de l’Epiphanie pour les premiers chrétiens ? Rappelons-nous : les tout premiers chrétiens étaient juifs ; certains d’entre eux découvraient, en Jésus, le Messie promis à leur peuple depuis longtemps. Mais très vite, grâce en particulier au ministère de Paul, ils ont découvert que ce Messie, ce Sauveur, avait, si je puis dire, une envergure universelle. Jésus n’est pas venu que pour les Juifs, mais tout autant pour les non-juifs, ceux qui étaient païens aux yeux des juifs. Deux découvertes donc : Jésus est le Messie attendu, Jésus est Messie pour tous les peuples. C’est ce que Paul écrit aux chrétiens d’Ephèse et que nous entendons aujourd’hui : « Ce mystère – c’est-à-dire cette réalité de foi – c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse(que le peuple juif), dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Evangile. » J’ai un peu modifié le texte de Paul, j’espère qu’il me le pardonnera. Il utilise le mot « mystère » dans un sens tout à fait différent du sens français ; chez lui, le mot « mystère » veut dire : « une réalité de foi ». Il n’y a rien de caché, mais au contraire, la signification de l’Epiphanie est révélée dans le fait que nous, les peuples non-juifs, les païens, nous entrons, grâce à Jésus et par l’annonce de l’Evangile, dans l’héritage promis au peuple juif.

Ce qui explique que depuis la seconde génération chrétienne la génération des peuples évangélisés par Paul et les autres Apôtres la fête de l’Epiphanie était une merveille : le Messie était venu aussi pour eux. Voilà pourquoi, pendant plusieurs siècles, la fête de l’Epiphanie fut célébrée avec plus de faste que celle de Noël ; d’ailleurs nos frères orthodoxes ont gardé cette coutume, tout en fêtant aussi, bien sûr, la naissance du Sauveur.

Que les mages soient trois ou mille, qu’ils soient rois ou non, qu’ils se nomment Gaspard, Melkior, Baltazar, ou Thibaud, Henri et Yvan, ça n’est pas là l’important. L’important est qu’ils soient païens et qu’ils viennent adorer le roi des Juifs. En eux, les païens devenus chrétiens se sont reconnus.

Au-delà des couronnes et de la galette, quelle peut-être la – ou les valeurs – de l’Epiphanie pour nous, aujourd’hui ?

D’abord une valeur d’action de grâce. Nous sommes depuis trop longtemps chrétiens, ça fait partie de nos habitudes. Il n’est jamais trop tard pour nous réveiller et pour nous émerveiller du don qui nous est fait en Jésus. Pour la plupart, nous sommes issus de peuples païens ; il nous est donné, à nous aussi, et sans mérite de notre part, d’être associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse que le peuple juif. Sans mérite de notre part, il nous est donné de devenir fils et filles de Dieu, de constituer l’Eglise qui est le Corps du Christ, et de recevoir tous les dons du salut. Que de motifs de remerciements ! Et que d’ingratitude souvent de notre part, nous qui savons si mal et si peu remercier notre Père !

Ensuite, une valeur missionnaire. Il n’est pas facile d’évangéliser, ni pour vous, ni pour moi. Mais si nous estimons que la Bonne Nouvelle du salut en Jésus-Christ est valable pour toute l’humanité, comment refuser de la diffuser ? Les peuples dont les mages sont les symboles sont loin de tous connaître Jésus : comment leur faire connaître ? Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que si nous acceptons de le faire, le Seigneur nous donnera les idées et les moyens de le faire. Nous ne pouvons pas garder pour nous une richesse qui appartient de droit à toute l’humanité.

Enfin, une valeur d’accueil et d’écoute. Il existe des païens qu’il faut aller rencontrer. Il y a aussi des païens qui viennent vers Jésus : j’en suis le témoin dans le Catéchuménat de notre paroisse. Et ces païens-là portent en eux d’étonnantes richesses. Ils viennent, eux, les non baptisés, avec leur or, leur encens et leur myrrhe. Les catéchistes et les accompagnateurs du Catéchuménat vous diront tous qu’ils sont eux-mêmes évangélisés par les enfants et les catéchumènes. Car le catéchisme et le Catéchuménat sont bien plus qu’un savoir à déverser : c’est un partage de ce que l’Esprit du Christ répand dans le cœur des baptisés comme dans celui des non-baptisés.

Il y a encore beaucoup à dire au sujet de la valeur de l’Epiphanie. A chacun de nous de découvrir la richesse infinie de ce mystère qui nous révèle que toutes les nations sont associées, avec le peuple de la Première Alliance, au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Evangile.

 

Homélie du 24 décembre 2022     NOËL   

 Par le Père Jean Paul Cazes

Pour composer cette homélie, je me suis demandé ce que j’aimerais qu’on me dise si j’allais, incognito, à la messe de Noël.

Je sais tout ce qu’il faut savoir au sujet de Noël : le recensement, la grotte de Bethléem, la crèche, les bergers, Marie et Joseph, les anges, l’âne et le bœuf. Je sais trop de choses, ce qui m’empêche de m’émerveiller comme si c’était mon premier Noël.

De plus, les nouvelles sont inquiétantes, le présent difficile et l’avenir morose. Fêter Noël relève un peu de l’exploit, ou de la méthode koué : se dire heureux pour essayer de l’être, se souhaiter la paix en espérant que la guerre ne s’étendra pas, s’embrasser – mais de loin puisque certains trains ne roulent pas …Certes, les décorations sont accrochées aux sapins, les cadeaux achetés ; on les ouvrira tout à l’heure ou demain, et les enfants auront le regard que nous devrions tous avoir en adorant Jésus qui vient de naître. Car, s’il est né il y a deux mille ans, il naît à chaque instant dans le cœur de celui qui veut bien l’accueillir. Ce que nous fêtons ce soir n’est pas un simple souvenir : par la foi, nous chantons notre Dieu qui ne cesse de venir jusqu’à nous si, encore une fois, nous voulons bien l’accueillir.

Et pour l’accueillir, pourquoi ne pas être un peu poète ? Je sais que la poésie n’est pas le mode d’expression préféré des français. Nous sommes trop réalistes, et il faut bien l’être en ces temps où les prix flambent alors que le pouvoir d’achat diminue. Mais la vraie poésie n’est pas faite pour nous évader du monde tel qu’il est ; son rôle est de nous aider à voir ce que les chiffres sont incapables de nous montrer. La poésie ne consiste pas à écrire des vers mais elle est un regard qui vient d’une qualité de l’âme, un regard porté sur la vie. Et qu’est-ce que nous offre l’Evangile sinon le regard de Dieu lui-même à travers les yeux de l’Enfant qui vient de naître ? Dieu est le premier des poètes .

La poésie, ce soir, pourrait consister à nous identifier à l’un des personnages de la crèche.

Serions-nous Marie ? Pourquoi pas ? Lorsque nous communierons tout à l’heure, nous porterons vraiment Jésus en nous, comme Marie. Si nous ne croyons pas que Jésus est vraiment présent par le pain et le vin consacrés, ce n’est pas la peine de communier. Mais si nous croyons à sa vraie présence, alors, nous le portons en nous comme Marie.

Ou bien serions-nous comme Joseph ? Il y a quelques années, le Pape a écrit un très beau texte au sujet de Joseph, époux, père, travailleur, juste, éducateur. Il est vénéré comme protecteur de Marie et de Jésus, mais aussi comme protecteur de l’Eglise qui en a vraiment besoin en ce moment. Ne pouvons-nous pas nous identifier à l’un des aspects de la personne de Joseph ?

Ou bien serions-nous comme les bergers ? Ce sont des pauvres ; ils n’ont rien à offrir ; peut-être ont-ils apporté un agneau, un peu de laine, un peu de lait de brebis, mais c’est bien tout. Ils n’ont presque rien à offrir, mais ils sont présents. Si nous connaissons des personnes malades, nous savons combien est précieuse notre présence auprès d’elles. Ne rien offrir, ne rien dire, mais être là. Ne sommes-nous pas les bergers de ce soir ? Ils ont été les premiers à parvenir auprès de Jésus.

Je ne dirai rien de l’âne et du bœuf, mais que de belles choses on peut dire d’eux : la chaleur de leur présence, leur humble utilité. Personne n’est inutile autour de Jésus.

On pourrait parler des anges aussi, eux qui sont comme des ambassadeurs du Seigneur, eux qui le chantent. Mais je terminerai non pas par une personne, mais par une chose. Je terminerai par la mangeoire. Marie a déposé son fils dans une mangeoire. Une mangeoire en pierre ou en bois ? Je l’ignore. Mais une sorte de récipient rempli de paille pour la nourriture des animaux. Pas un de ces berceaux comme celui du Roi de Rome, ou celui d’Henri IV au château de Pau. Pas un berceau pour régner comme les puissants, mais un berceau pour être mangé, un berceau pour nourrir les pauvres. Et si nous étions ce berceau ce soir ? Si c’est en nous que Marie voulait déposer son fils pour l’offrir en nourriture au monde entier ? Et si cela était, qui d’entre nous oserait le refuser ?

 

Gloire à Dieu, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime !

Homélie du 4 décembre 2022   2ème dimanche de l’Avent   Année A

Is 11,1-10     Ps 71(72)     Ro 15,4-9     Mt 3,1-12

Par le père Jean Paul Cazes

            Une bonne manière de lire une page de l’Ecriture sainte est de chercher quelle est la Bonne Nouvelle qui s’y trouve. L’Ecriture sainte entière est une Bonne nouvelle ; chaque page en contient un aspect.

            Une autre manière de lire une page de l’Ecriture sainte, une manière plus scolaire, est de repérer les mots qui reviennent le plus souvent. Dans notre évangile de ce jour, c’est le mot conversion. Il revient trois fois sous des formes différentes : « Convertissez-vous car le Royaume des cieux est tout proche ! …Produisez donc un fruit qui exprime votre conversion …je vous baptise dans l’eau pour vous mener à la conversion… » 

            D’autres images, ou d‘autres mots viennent appuyer ce mot. Par exemple : « Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route …(ils reconnaissaient) leurs péchés …Produisez donc un fruit … il va nettoyer son aire à battre le blé. »

            Depuis plusieurs jours, la neige a commencé de tomber sur les sommets. Les skieurs doivent se réjouir à la pensée de belles descentes et de belles conversions. Quand j’étais gamin, j’étais un piètre skieur (et je le suis encore) mais j’avais quand même appris le mouvement de conversion ; ce n’est pas de cette conversion dont il s’agit dans notre évangile, mais elle lui est apparentée, puisqu’il s’agit d’un retournement..

            Il y a environ deux ans, j’ai eu la grande joie de baptiser un ami musulman. Accueilli par une communauté chrétienne chaleureuse, il a été conquis par la personnalité de Jésus. Il a changé de religion ; mais ce n’est pas non plus de cette conversion dont il s’agit dans notre évangile.

            Et pourtant, il s’agit bien de conversion. Telle qu’elle est évoquée ici, cette conversion est une démarche en deux temps. Premier temps : reconnaître ses péchés ; « ils se faisaient baptiser par lui …en reconnaissant leurs péchés. » Second temps : exprimer par un changement de vie la grâce reçue : « Produisez donc un fruit qui exprime votre conversion. »

            Dans le chemin spirituel de l’Avent, où en sommes-nous de cette conversion ? Où en sommes-nous dans notre désir de reconnaître nos péchés par le sacrement du pardon ? Où en sommes-nous dans notre volonté d’améliorer quelque chose dans notre vie ? Peut-être nulle part encore, tant nous sommes submergés par les problèmes du quotidien, alors que le temps s’avance et que Noël s’approche.

            Mais pourquoi reconnaître nos péchés, pourquoi vouloir améliorer quelque chose dans notre vie ? Est-ce pour être en règle avec les commandements de l’Eglise, et en paix avec notre conscience  ? Ce serait déjà une bonne chose, mais bien insuffisante. La vraie conversion, pour nous qui sommes déjà pleinement baptisés, non pas par Jean-Baptiste, mais par le Christ, la vraie conversion ne peut nous habiter que si nous sommes conquis par Jésus. Nous confesser et produire une bonne œuvre, ce n’est pas pour répondre à un règlement, c’est pour nous précipiter dans les bras du Seigneur. Dimanche dernier, l’extrait de la lettre de St Paul aux chrétiens de Rome se terminait par l’image d’un vêtement : « Revêtez le Seigneur Jésus-Christ » écrivait l’Apôtre.

            Au cours de cet Avent, avons-nous le désir d’être enveloppés de Jésus-Christ comme d’un manteau ? Souhaitons-nous être conquis par Jésus comme mon ami musulman l’a été ? Pour prendre une autre image : sommes-nous amoureux du Christ ? Si oui, alors, nous n’aurons pas peur de reconnaître nos péchés, et nous saurons quoi faire pour produire un fruit qui exprimera non pas une petite amélioration, mais bien plus : notre amour du Christ et de nos frères.

Homelie du 27 novembre 2022   1er dimanche de l’Avent    Année A

Is 2,1-5     Ps 121    Ro 13,11-14a     Mt 24,37-44

Par le Père Jean Paul Cazes

Voilà, ça y est, ce n’est pas le beaujolais nouveau qui est arrivé, c’est l’an nouveau. L’heure est venue de sortir de notre sommeil, au cas où nous dormirions dans notre vie spirituelle. Grâce au Christ et à l’Esprit Saint, notre Dieu fait toujours toutes choses nouvelles ; lui, il est toujours jeune alors que nous risquons toujours d’être vieux et endormis. Il n’y a jamais rien de figé pour Dieu, la porte est toujours ouverte, l’avenir toujours possible. Le pardon est toujours offert. L’histoire de notre salut ne s’est pas arrêtée pendant le confinement.

Que la coupe du monde nous instruise. Il y en a parmi vous qui aime le foot, et d’autres pour qui ça ne dit rien. De plus, au sport, se mêlent de graves questions de droits de l’homme qui peuvent détourner nos yeux de la beauté des compétitions. Cependant, il y a, dans ces jeux, des événements qui peuvent nous instruire.

Rien n’est jamais joué, dans notre vie spirituelle, comme dans le foot. Des événements imprévus peuvent nous toucher comme le match gagné par lesSaoudiens, ou le match perdu par les Allemands. Je ne suis pas journaliste sportif, et je suis incapable de donner une opinion sur la valeur sportive de l’équipe de France, y compris sur le match d’hier soir contre les danois. Mais ce qu’elle a vécu lors de son premier match contre l’Australie peut nous inspirer pour notre vie spirituelle. Même si sa préparation a été écourtée par d’autres compétitions, elle s’est préparée, elle a su utiliser son temps pour ne pas arriver désarmée à son premier match. Comment utiliser nos quatre semaines d’Avent pour ne pas arriver à Noël sans nous y être préparés ? Je ne parle pas de l’achat des cadeaux, de la préparation du repas de Noël, des invitations à lancer ; tout cela a son importance. Je parle évidemment de notre préparation spirituelle. Pas de grandes résolutions héroïques qui ne seront jamais tenues, mais des choses toutes simples, possibles, et souhaitables.

Par exemple, dans le domaine de la prière personnelle, ou familiale, que faut-il améliorer ? Lire ou relire l’évangile de chacun des dimanches de l’Avent ? Prier avec les enfants devant le calendrier de l’Avent ou devant la crèche ? Se préparer soi-même par une bonne confession de Noël ? Pour une confession, la lettre de st Paul nous donne des indications : « Conduisons-nous honnêtement comme on le fait en plein jour, sans orgies ni beuveries, sans luxure ni débauches, sans rivalité ni jalousie … » Les orgies, beuveries, luxure et débauches ne nous concernent probablement pas, du moins je l’espère, mais rivalité et jalousie sous toutes leurs formes nous empoisonnent certainement tous.

Dans le domaine des relations familiales et amicales, quel geste accomplir ? Un coup de fil à un parent seul ? Se préparer à donner un pardon longtemps retardé ? Donner un coup de main au Secours catholique ?

Ce qui serait bien, serait que vous et moi ne sortions pas de cette messe sans avoir décidé quoi faire, concrètement, pendant cet Avent pour préparer Noël.

Reprenons notre équipe de France face à l’Australie.

Mauvais début de match ! notre début d’Avent peut être mauvais lui aussi ; on a pris une décision mais les événements de la vie ont fait que cette décision n’a pas été tenue, ou mal tenue. On peut se dire alors : à quoi bon insister ? Et c’est comme ça qu’on arrive à Noël, les cadeaux empaquetés, la poularde bien cuite, la crèche installée, mais les liens avec le Seigneur au plus bas.

L’équipe de France ne s’est pas découragée, elle a relevé la tête et, contre une équipe australienne qui n’était pas sans valeur, elle a su marquer quatre buts. Ce n’était pas sans risque, puisqu’un des joueurs s’est abimé le genou et ne pourra pas jouer les autres matchs de la compétition.

Il n’est pas si facile que ça de cultiver sa vie spirituelle pendant l’Avent ; les risques sont grands d’utiliser notre temps pour préparer uniquement l’aspect matériel de la fête. Il m’arrive souvent de dire aux enfants : si vous préparez la plus belle crèche du monde mais que votre cœur reste sec, Noël ne sera rien. La crèche que Jésus aime, ce n’est pas celle que vous installez sur la cheminée ; c’est votre cœur. Et ce qui est vrai pour les enfants est vrai aussi pour les adultes que nous sommes. Nous avons besoin d’espérance, nous avons besoin que Noël soit autre chose qu’une opération commerciale (ceci étant, je souhaite à nos amis commerçants un chiffre d’affaires satisfaisant ; mais à eux aussi, je dis que Noël est autre chose qu’un tiroir-caisse bien rempli). De quel Noël avons-nous besoin pour ne pas perdre l’espérance ? C’est celui-là que nous devons préparer, il ne faut pas se tromper de préparation, il est urgent de bien utiliser notre temps de l’Avent. En Jésus-Christ, Dieu nous ouvre l’avenir.

 

Pour terminer, je vais reprendre la belle image sur laquelle la lettre de st Paul se termine aujourd’hui. L’Apôtre dit aux chrétiens de Rome : « Revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ. » Paul compare le Christ a un vêtement, comme celui qui est donné lors du baptême. L’Avent nous est donné pour que nous puissions entrer dans la protection et la chaleur de ce vêtement. L’Avent nous est donné pour que nous sentions combien il est bon de nous laisser protéger par Jésus. Encore faut-il que nous ayons l’humilité de l’accepter.

Nous avons quatre semaines pour entrer peu à peu sous le vêtement du Christ.

 

 

Homélie du 20 novembre 2022  Le Christ, roi de l’univers

2 S 5,1-3     Ps 121     Col 1,12-20     Lc 23,35-43

Par le Père Jean Paul Cazes

L’année liturgique – l’année chrétienne – se termine sur la figure du Christ, roi de l’univers. Cette fin est en même temps un commencement. Le commencement d’une année liturgique nouvelle, certes, mais bien plus que cela : la fin de l’année liturgique nous indique le passage vers le monde à venir, vers la vie future. Dans tout l’évangile, Jésus nous parle de la vie future comme d’un royaume, ou d’un règne, dont il est le souverain. Comme le proclame la Préface que je dirai tout à l’heure juste avant le Sanctus, ce règne est un règne de vie et de vérité, de grâce et de sainteté, de justice, d’amour et de paix.

Longtemps, j’ai renâclé, intérieurement, devant ce titre de roi donné au Christ (peut-être suis-je trop républicain ?). Avec ce titre, viennent toutes les images des rois de la terre, telles que nous les voyons se déployer autour du nouveau roi d’Angleterre. Or, Jésus lui-même n’a accepté ce titre que du bout des lèvres, lorsqu’il était prisonnier, face à Pilate. Pourquoi ? Parce que sa royauté est une royauté de service, comme devraient l’être d’ailleurs toutes les royautés et toutes les présidences. Il est le premier, mais il est aussi le dernier ; il est l’Alpha et l’Oméga ; il est roi parce qu’il est serviteur ; en hébreu, le mot « roi » et le mot « berger » sont équivalents. Jésus est roi lorsqu’il lave les pieds de ses disciples. Et il n’est jamais autant roi que lorsqu’il est crucifié comme le dernier des brigands. Comme le dit la préface de consécration des prêtres le jour de leur ordination : « Servir, c’est régner. »

Les chefs du peuple le tournent en dérision, les soldats se moquent de lui et de son message ; un des malfaiteurs l’injurie : c’est là qu’il est roi, souverainement roi, à tel point qu’il ouvre son royaume au larron plein de repentir.

La royauté de service de Jésus s’étend sur tout son corps qui est l’Eglise. Vous savez bien que l’expression « corps du Christ » désigne trois réalités distinctes et conjointes : le corps personnel de Jésus, né de Marie, le corps eucharistique du Christ ressuscité que nous célébrons lors de chaque messe, et l’Eglise qui est le corps dont nous sommes les membres par le baptême. Jésus est la Tête de l’Eglise ; il transmet à son corps et à chacun des membres de ce corps sa qualité royale. Dans notre image spontanée de la royauté, il y a le roi et les sujets. La royauté de Jésus a d’autres conséquences. Ce qu’il est, Jésus le transmet ; il est Fils unique par nature, mais il fait de nous, par grâce, des fils et des filles du Père ; il est roi, mais nous ne sommes pas ses sujets : nous sommes rois avec lui. Comme le dit une autre Préface que je ne lirai pas aujourd’hui : « Nous portons désormais ces noms glorieux : descendance choisie, sacerdoce royal, nation sainte, peuple racheté. » Cette Préface s’appuie sur la première lettre de St Pierre qui écrit : « Mais vous, vous êtes la race élue, la communauté sacerdotale du roi, la nation sainte, le peuple que Dieu s’est acquis … » (1 P, 2,9) Sous le règne du Christ, il n’y a pas de roi et de sujets : il y a un peuple royal où chacun participe à la dignité royale. Voilà quelle est notre dignité de baptisés, cette dignité à laquelle les catéchumènes qui sont parmi nous ce soir sont appelés comme nous. Mais cette dignité qui est la nôtre, actuellement, n’est vraie que si elle est bien en union avec celle du Christ : une dignité de service.

Le titre exact de notre fête est « Christ, roi de l’univers. » Si donc nous acceptons de participer à la royauté du Christ, une royauté de service, ce service doit pouvoir d’étendre, à travers lui, à tout l’univers. Cela rejoint le souci écologique actuel. Il est urgent de participer à la sauvegarde de la nature qui est notre maison commune. Mais pour nous, chrétiens, ce service revêt une autre dimension : cette nature, n’est pas que biologique et matérielle, elle est création divine. Cette création, le Christ ne nous demande pas seulement de l’améliorer afin qu’elle soit vivable pour les huit milliards que nous sommes devenus : il nous demande de l’orienter par notre travail vers sa destination ultime, c’est-à-dire vers le Père d’où elle est sortie, et vers lequel elle doit retourner. Ainsi sera réalisée la prière que le prêtre dit au moment des offrandes : « Tu es béni, Seigneur, Dieu de l’univers : nous avons reçu de ta bonté le pain que nous te présentons, fruit de la terre et du travail des hommes : il deviendra pour nous le pain de la vie. »