Homélie du 7 avril 2024    2ème dimanche de Pâques

Par le père Jean Paul Cazes

Actes des Apôtres 4,32-35   Psaume 117   1 Jean 5,1-6   Jean 20,19-31

 

Résonne dans ma mémoire ce verset des disciples d’Emmaüs : « Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. » Les disciples dEmmaüs font partie de l’évangile selon st Luc alors que notre évangile de ce jour appartient à st Jean. Or, vous avez peut-être remarqué que, dans cet extrait, le verbe voir revient 6 fois sous des formes différentes. En effet, le thème de la vue est un des thèmes importants de l’évangile selon st Jean.

Dès le début de cet évangile, on le pressent : « Au commencement était le Verbe …En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes, et la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise. » (Jn 1, 1+4-5)

On peut ainsi lire la totalité de l’évangile de Jean comme une éducation du regard. Jean nous apprend à discerner peu à peu Celui qui affirme : « Je suis la lumière du monde. » (Jn 8,12)

Les deux premiers disciples appelés demandent au Maître : « Où demeures-tu ? » Jésus répond » : « Venez, et vous verrez » (Jn 1,39). A Nathanaël qui suit Jésus après avoir été appelé sous un figuier, Jésus affirme : « Tu verras des choses bien plus grandes …En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le cielouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme. » (Jn 1,50-51) Voyez combien ce thème de la vue, ou du regard, est important chez st Jean : toutes les citations que je viens de vous donner sont extraits du seul premier chapitre.

La guérison de l’aveugle-né occupe la totalité du chapitre 9. Il se termine par un avertissement lancé aux pharisiens qui affirment « voir » le salut de Dieu par leurs seuls mérites alors que Jésus les considère comme des aveugles, c’est-à-dire aveuglés par leurs péchés. Et l’on parvient à la fin de l’évangile, au chapitre 20 où nous avons deux versets extraordinaires sur le thème de la vue. Le premier verset que je souhaite vous citer est le verset 8 ; le matin de Pâques, Pierre et Jean- courent au tombeau, Pierre entre d’abord puis l’autre disciple. Et Jean écrit : « Il vit et il crut. » Fabuleuse affirmation : que voit-il ? Rien, bien sûr, à part les bandelettes et le linge qui avait recouvert le visage de Jésus. Mais Jésus n’est plus dans le tombeau. Ce « Il vit et il crut » est comme un point d’orgue extraordinaire qu’il faudrait laisser retentir en nous. Enfin, les disciples voient véritablement ; jusque-là ils n’avaient pas compris l’Ecriture selon laquelle Jésus devait ressusciter. Aux disciples d’Emmaüs, Jésus ouvrira l’intelligence au sens de l’Ecriture qui, tout entière, parle de lui.

Et l’autre verset que je veux vous citer, vous le connaissez par cœur. Il est dans notre évangile : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » Toute la pédagogie de l’évangile de Jean nous amène à réfléchir au moins à deux sujets, sinon plus évidemment.

Le premier est le rapport entre la foi et la vision. Comme Thomas, beaucoup, de nos contemporains disent spontanément : je croirai si je vois. Mais il y alà une contradiction dans les termes. Si en effet, nous voyons, il n’est plus besoin de croire. La foi repose non sur la vision immédiate, mais sur la confiance, comme le dit Ste Thérèse de l’Enfant Jésus. La foi n’appartient pas au domaine des évidences scientifiques, mais à celui des certitudes d’amour.

Le second sujet est tout à fait contemporain. Dans une civilisation qui donne de plus en plus à voir, savons-nous regarder ? Nous multiplions les photos grâce à nos téléphones, mais c’est pour les regarder à la va-vite au cours d’une réunion de famille. Nous allons au cinéma, mais savons-nous regarder un film ? C’est la même chose que la communication : dans le métro, comptez tous ceux qui tiennent leur portable en main et qui ne font pas attention à leurs voisins.

Encore une fois, l’évangile de Jean contient une pédagogie du regard. Savons-nous vraiment voir ? Savons-nous vraiment voir la présence du Christ dans un pauvre morceau de pain ? Savons-nous voir un être aimé de Dieu dans le voisin qui m’énerve ? Savons-nous voir dans, le marocain chez qui j’achète mes légumes, ou le membre de ma famille avec qui je suis fâché, savons-nous voir quelqu’un pour qui le Christ a donné sa vie ? Qu’est-ce qui nous empêche de voir vraiment, au-delà des apparences, comme les disciples d’Emmaüs ? Normalement, nous qui allons à la messe, nous avons appris à voir la présence réelle du Christ dans un pauvre morceau de pain.

Le temps pascal tout entier nous formera, à travers les récits des apparitions de Jésus, à la véritable vision, celle qui nous permet de dire, grâce à l’Esprit Saint, que l’homme Jésus, né d’une femme, est vraiment le Messie attendu et espéré, celui dont nous disons qu’il est mort et ressuscité. De cela, nous sommes les témoins à travers notre style de vie personnel et communautaire. (cfr.Lc 24,48)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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