Homélie du 7 février 5e dimanche du temps ordinaire

Jb 7, 1-4+6-7     Ps 146     1 Co 9, 16-19+22-23     Mc 1,29-39

Par le Père Jean Paul Cazes

A lire et relire la première lecture et l’évangile de ce jour, comment ne pas nous y reconnaître ? Les questions de santé nous ont toujours touché, à tel point que la formule spontanée des vœux que nous venons à peine d’échanger est « Bonne année, bonne santé ».

Les questions de santé sont en ce moment omniprésentes, à tel point que les informations à la radio ou à la télé ne parlent presque que de cela, comme si le reste du monde avait disparu. A part les élections américaines, nous ne savons plus guère ce qui se passe en Syrie, en Afghanistan ou en Birmanie. On nous parle de la fabrication des vaccins en Chine, mais on ne nous dit presque plus rien sur la situation à Hong Kong. On sait que Spoutnik V est un vaccin sûr, mais on ne sait plus trop où en sont les droits de l’homme en Russie.

Les problèmes de santé nous tracassent, plus peut-être aujourd’hui qu’à un autre moment. A cause des détresses qui sont les nôtres, nous nous tournons vers Jésus. C’est un réflexe normal.

La question que je me pose, quand même, est de savoir si notre piété sera la même une fois que nous serons sortis de la pandémie. Pour le dire plus crûment, et de façon un peu provocatrice : est-ce que nous utilisons bien Jésus ? Est-ce que nous l’utilisons pour ce pour quoi il est fait ? Pour prendre des images : nous n’utilisons pas une aiguille à broder pour coudre du cuir ; nous n’utilisons pas un marteau pour souder ; nous ne jouons pas au rugby avec une balle de tennis.

 

Certes, Jésus affirme avec force qu’il se fait notre serviteur ; il dit lui-même être «venu non pour être servi mais pour servir. » (Mt 20,28) Et il lave les pieds de ses disciples.

D’autre part, Jésus nous incite à demander. Demander des grâces au Seigneur, c’est reconnaître que nous ne pouvons rien sans Lui. C’est reconnaître qu’il est comme un Père à notre égard et qu’il prend soin de nous parce qu’il nous aime. « Demandez, on vous donnera …frappez, et on vous ouvrira. » (Mt 7,7) La prière de demande est une des formes de la prière que Jésus nous recommande. Par exemple, la seconde moitié du Notre Père est faite de prières de demande : Donne-nous aujourd’hui … Pardonne-nous … ne nous laisse pas entrer en tentation … délivre-nous du mal. Ce serait mal connaître le cœur du Père que de ne pas lui adresser toutes nos demandes.

 

Faisons le point : Jésus, qui s’est fait notre Serviteur, nous encourage à demander. Or, en ce moment, les questions de santé sont omniprésentes. Il est donc normal de les lui présenter, il est donc normal de lui dire nos détresses de santé, et toutes les détresses qui en découlent.

 

Cependant, je me demande si utilisons bien Jésus, comme il souhaite être utilisé. Encore une fois, je m’exprime de manière un peu provocante.

Pour illustrer ma question, examinons les intentions de prière qui sont demandées à chaque messe.  Il y a beaucoup de demandes – et c’est normal. Par contre, il y a peu de remerciements et d’actions de grâce. En bonne logique, il conviendrait qu’il y ait au moins autant de remerciements que de demandes.

Encore une fois, il est juste de présenter au Seigneur nos questions, nos problèmes, nos détresses. En particulier dans le domaine de la santé. Mais Jésus est-il venu pour être notre docteur-miracle ? Jésus est-il notre super-vaccin ?

De son temps, il a guéri des malades : l’évangile de ce jour en est témoin. Mais il n’a pas guéri tous les malades de son époque. Il a ressuscité Lazare, mais il n’a pas ressuscité tous ceux qui étaient morts à son époque. Il a pacifié ceux qui étaient habités par des esprits impurs ; mais pas tous.

Ce qui me fait dire : avons-nous bien compris et admis ce qu’il est vraiment venu faire au milieu de nous, ou bien sommes-nous uniquement en train d’utiliser sa puissance à notre service ? Ne sommes-nous pas comme ces juifs qui, après la multiplication des pains, voulaient que Jésus devienne leur roi ? (Jn 6, 14-15) C’est si pratique d’avoir un  roi qui donne à manger. C’est si pratique d’avoir un Seigneur qui guérit tout le monde.

Lorsque Simon le cherche et le trouve en train de prier, Jésus lui répond : « Allonsailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Evangile : car c’est pour cela que je suis sorti. » Certes, de grand matin, il est sorti de la maison pour aller prier. Mais ce n’est pas de cette sortie-là qu’il veut parler. Il est sorti de son Père, il est venu jusqu’à nous. Et pourquoi ? Pour proclamer l’Evangile. Voilà sa mission. Il n’est pas venu pour être le docteur universel et guérir toutes les maladies physiques. Les quelques guérisons physiques et psychiques qu’il a accomplies de son temps, les quelques guérisons physiques et psychiques qu’il accompli du nôtre, sont les signes d’une autre guérison infiniment plus profonde et plus universelle qu’il est venu offrir à tous : la guérison de tout être et de l’être tout entier, la possibilité enfin réalisée d’être unis à notre Père et rassemblés dans un même peuple de frères et de sœurs. C’est ce qu’on appelle le salut.

Jésus s’est fait notre Serviteur par amour pour nous permettre d’accéder, grâce à lui, à notre Père. Son outil : la prédication de l’Evangile. St Paul l’a parfaitement compris, lui qui écrit aux chrétiens de Corinthe dans notre seconde lecture: « Frères, annoncer l’Evangile … c’est une nécessité qui s’impose à moi. »

 

Il est normal de demander au Seigneur Jésus de nous aider dans nos détresses, et spécialement en ce qui concerne notre santé et celle de nos proches. Mais Jésus est venu nous offrir, par sa mort et sa résurrection, une toute autre guérison dont les guérisons physiques en sont le signe. Savons-nous demander la guérison du corps sans oublier celle de notre être entier ? Savons-nous autant remercier que demander ?

 

En résumé, savons-nous regarder Jésus et le prier pour ce qu’il est venu faire chez nous, c’est-à-dire : apporter l’Evangile du salut ?