Homélie du 4 juin 2023   Sainte Trinité 

Exode 34,4b-6+8-9     Ct Dn 3     2Co 1311-13     Jn 3,16-18

Par le Père Jean Paul Cazes 

Un philosophe, Gabriel Marcel, avait comparé un problème et un mystère. Sur un tableau noir, il avait tracé deux cercles égaux. L’intelligence faisait peu à peu le tour du premier ; et, quand le tour était achevé, le cercle disparaissait puisque le problème était résolu. Quant au second cercle, l’intelligence y entrait, car elle était faite pour cela, mais elle ne finissait jamais de découvrir l’ampleur du mystère et de s’en émerveiller.

Cela signifie que notre intelligence est faite pour le problème comme pour le mystère ; mais elle résout le premier et contemple le second. Elle fait disparaître le premier, et découvre sans cesse le second. Elle enferme le premier dans son raisonnement, elle est contenue par le second. Le problème est maîtrisé par notre intelligence, alors qu’elle s’émerveille et ne cesse de découvrir l’ampleur du mystère.

Je vous dis cela pour affirmer, une fois encore, que le mystère de la Sainte Trinité n’est pas une question de mathématique idiote ou 3 serait égal à 1. Il ne s’agit pas de mathématique, il s’agit de relation d’amour. Notre foi affirme que trois personnes distinctes, de même nature et d’égale dignité, s’aiment à ce point qu’elles ne forment qu’un seul Dieu ; ce n’est pas plus improbable que ce que disent tous les fiancés : ne faire plus qu’un par amour dans l’unité de leur nature humaine et le respect de leur égale dignité. Mais ce que le couple humain a tant de peine à réussir, les trois personnes divines le réalisent pleinement ; c’est pourquoi elles sont à l’origine de tout amour vrai.

Si le Dieu-Trinité est à l’origine de tout amour vrai, c’est parce qu’il vit cet amour de l’intérieur. Il ne peut nous demander d’aimer que parce que l’amour fait partie de sa propre vie ; mieux : l’amour est sa vie. St Jean écrit que Dieu est amour (1 Jn 4, 8, 16). Il ne s’aime pas lui-même égoïstement, comme s’il était renfermé sur lui, mais, entre les Trois personnes l’amour est une sorte de va et vient permanent. Et ce va et vient, cet échange permanent est fécond, comme est fécond l’échange d’amour entre les époux. L’amour en Dieu donne naissance au monde de manière permanente : Dieu ne cesse d’être créateur par amour comme les parents sont procréateurs par amour.

Le parallèle entre l’amour humain et l’amour qui unit les Trois personnes divines ne vient pas de moi, il est présent tout au long de la Bible depuis le début dans la figure d’Adam et Eve jusqu’au dernier chapitre de l’Apocalypse où l’Eglise est assimilée à une épouse qui attend impatiemment son époux (je cite) : « L’Esprit et l’épouse disent : Viens ! » (Apo 22,17)

 

Une autre manière d’aborder la sainte Trinité serait de de voir comment tout ce que nous disons et pensons de la personne humaine trouve son origine en elle. Nous sommes fiers, à juste titre, de la déclaration des droits de l’homme. Nous nous en réclamons chaque fois que les états totalitaires bafouent ces droits. Nous attendons de nos dirigeants qu’ils aient le courage de les rappeler dans leurs négociations internationales. Or, tous ces efforts pour promouvoir les droits de la personne humaine ont pour origine lointaine la méditation des pères de l’Eglise sur ce qu’est une personne à l’intérieur de la Trinité. Peu à peu, ils ont réussi à préciser ce que sont les personnes divines, ce qui a eu comme conséquence une meilleure vision de ce qu’est la personne humaine à l’image de la personne divine. D’une certaine façon, on peut affirmer que notre civilisation de la personne trouve ses racines en l’affirmation des Trois personnes en un seul Dieu.

En tout cela, notre intelligence est à l’œuvre pour inventorier la richesse de la foi en la Sainte Trinité. Mais si nous pensions parvenir un jour à tout savoir à son sujet, nous serions dans l’erreur. Ce serait la même erreur que d’affirmer que la fresque qui orne le cul de four de notre église est la Sainte Trinité. Non, cette fresque n’est pas la Sainte Trinité ; elle essaie de la traduire par des formes et des couleurs ; mais la sainte Trinité est bien autre chose que cette fresque, et bien au-delà. Personne d’entre nous, et pas même l’Eglise y compris dans ses plus hautes instances, ne peut affirmer connaître totalement la Sainte Trinité. Nous ne connaissons même pas totalement les personnes avec qui nous vivons, et pourtant, nous continuons à les croiser, à leur parler, car leur fréquentation est pour nous source de vie. De même la Trinité à laquelle nous ne pensons pas tout le temps, mais que nous marquons sur notre corps chaque fois que nous traçons sur nous le signe de la croix.

 

Même si, au point de vue esthétique, je n’apprécie pas spécialement notre fresque, je trouve très significatif qu’elle orne le chœur de notre église. Le simple fait d’entrer dans cette église est comme le symbole d’un cheminement spirituel : nous pénétrons par la porte d’entrée, nous cheminons vers le chœurpar la Parole et l’eucharistie ; grâce à Jésus crucifié et ressuscité, nous montons vers la Trinité. Et c’est finalement dans sa vie d’amour partagé que nous trouverons notre vie éternelle, nous dont la vocation est d’être divinisés.  

Alors, comme l’écrit Paul aux chrétiens de Corinthe, « Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint Esprit soient avec vous tous », vous, chrétiens de Courbevoie.