par le père Jean Paul Cazes
Sam 26,2+7-9+12-13+22-23 Psaume 102 1Co 15,45-49 Lc 6,27-38
Qui suis-je pour vous dire d’aimer vos ennemis ? Car, pour la plupart d‘entre nous, nous avons des ennemis. Pas des ennemis au sens le plus absolu du terme, mais des personnes que nous ne pouvons pas souffrir, des membres de notre famille avec qui nous ne parlons plus depuis longtemps, des étrangers qui nous énervent… Ou, pour paraphraser l’évangile, des personnes qui nous haïssent, qui nous maudissent, qui nous calomnient ou qui nous agressent d’une manière ou d’une autre. Alors, pour faire court, ou plus actuel, où en sommes-nous de l’accueil de l’autre ?
Qui suis-je pour demander d’aimer ces personnes moi qui ai du mal à le faire ?
Je précise – pardon de me répéter – ce que le verbe aimer veut dire, et d’abord ce qu’il ne veut pas dire : il ne veut pas dire de sauter au cou de celui qui vient de nous insulter. Jésus ne nous parle pas d’affectivité ; il dit : « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance méritez-vous ? … Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance méritez-vous ? » Bien sûr qu’il faut aimer ceux qui nous aiment ! Bien sûr qu’il faut faire du bien à ceux qui nous en font ! Mais Jésus va bien au-delà : il demande à nous, ses disciples, d’aimer nos ennemis, nos adversaires, nos opposants, quel que soit le nom que nous leur donnons. Jésus n’a pas sauté au cou de Pilate, ni à celui d’Hérode. Pourtant, il a donné sa vie pour tous les hommes, y compris pour Pilate et pour Hérode. Et tant mieux pour nous !
Jésus ne donne pas de définition du verbe aimer, il donne des exemples concrets : faire du bien à ceux qui nous haïssent, souhaiter du bien à ceux qui nous maudissent, prier pour ceux qui nous calomnient, ne pas répondre du tac au tac à ceux qui nous frappent, ne pas refuser à celui qui nous vole, donner à celui qui demande… Chacun de nous pourrait ajouter des exemples aussi concrets que ceux du Christ : renouer le dialogue avec quelqu’un, faire la paix dans son ménage, écouter un peu mieux ses enfants surtout quand il s’agit de leur avenir, au moins sourire à celui qui fait la manche dans le métro, ne pas mépriser, au fond de son cœur, le nord-africain mal vêtu …
Au beau milieu de notre évangile, se trouve ce qu’on appelle « la règle d’or » : « Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux. » Cette règle d’or se retrouve, sous des formes équivalentes, dans beaucoup d’autres religions et beaucoup de sagesses. Elle n’est pas propre au christianisme.
Ce qui est propre au christianisme, c’est la raison profonde de cette règle d’or et de cet amour des ennemis. Jésus la donne sous deux formes différentes. D’abord : « Aimez vos ennemis …et vous serez les fils du Très Haut … » Ensuite : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. » Aimer ses ennemis, ce n’est pas de la bonne morale, c’est de la théologie pratique, ou de la mission en acte. Quand on aime ses ennemis, on ressemble au Père céleste. Ne nous plaignons pas de voir tant de gens ignorer le christianisme ; ce n’est pas à cause du manque de missionnaires. Si nos contemporains ignorent le christianisme, si d’autres le combattent, c’est qu’ils ne voient pas bien le lien entre notre vie concrète et ce que nous annonçons. Nous adorons le Père, qui est le Père de tous les hommes sans distinction ; pourtant, notre regard est souvent sélectif. Nous adorons le Fils qui s’est fait le frère de tout homme, mais nous mettons des frontières à notre fraternité ; Charles de Foucauld – saint Charles – se voulait frère universel, lui qui vivait au milieu des Touaregs musulmans. Nous adorons l’Esprit qui est Esprit de Paix, mais nous avons tant de mal à pardonner.
Une constatation et une profession de foi.
La constatation : nous ne pourrons jamais, par nos seules forces, aimer nos ennemis ni faire du bien à ceux qui nous haïssent. Il y a ainsi beaucoup de choses impossibles, dans l’évangile, du genre : « Soyez parfaits comme votre Père est parfait. » Pourtant, Jésus nous en donne l’ordre, c’est un commandement.
La profession de foi : Jésus n’est pas un sadique qui s’amuserait à nous demander des choses impossibles et nous condamnerait de ne pas pouvoir les accomplir. S’il nous oriente vers cette perfection, c’est qu’il nous en donne les moyens : ce moyen, c’est l’Esprit qu’il nous faut demander et redemander sans cesse. Je vous ai déjà donné la phrase du Père Varillon qui dit : « Dieu donne ce qu’il ordonne ».
Où en sommes-nous de l’accueil de l’autre ? Où en suis-je moi-même, moi qui n’ai aucun droit de vous demander d’aimer vos ennemis mais dont le rôle est de vous le rappeler, comme je me le rappelle à moi-même ?
La morale du Christ n’est pas celle du monde. C’est la morale qui vient de l’amour absolu.