Par le Père Jean Paul Cazes
Isaïe 55,6-9 Psaume 144 Philippiens 1,20c-24+27a Matthieu 20,1-16
Est-il nécessaire de redire que la parabole de ce jour n’est pas un traité d’économie sociale ? Une équipe de patrons chrétiens, que j’accompagnais, l’avait comprise de cette façon ; il a été nécessaire que je mette les points sur les « i ». Non, Jésus n’a jamais demandé, ni suggéré, de donner le même salaire à ceux qui travaillent une heure et à ceux qui travaillent toute la journée. La parabole ne s’adresse pas au MEDEF, elle s’adresse à chacun de nous pour nous faire toucher du doigt l’amour inconditionnel de notre Père.
Pour suggérer cet amour, Jésus choisit de nous provoquer en titillant notre porte-monnaie et notre sens inné de la justice. En langage moderne, on pourrait dire qu’il utilise notre pouvoir d’achat pour nous faire sentir ce qu’est le royaume de Dieu et pour nous faire mieux découvrir combien nous sommes aimés par le Père.
Et d’abord une remarque : qu’est-ce que le royaume de Dieu, ou, comme le dit Matthieu, le Royaume des cieux ? Jésus n’en donne aucune définition. Il dit avec prudence : « Le Royaume des cieux est comparable à … ». Plus tard, il dira de la même façon : « Il en va du Royaume des cieux comme … » Aucune définition scientifique ne saurait rendre compte du Royaume des cieux. Comme aucune définition ne peut rendre compte de l’amour. Il existe des réalités qui ne sont pas de l’ordre de la science exacte, ce qui ne les empêche pas d’être de vraies réalités, aussi importantes pour notre vie que les réalités scientifiques. Le Royaume des cieux est l’une de ces réalités qui ne peuvent être définies, mais seulement suggérées : « Le Royaume des cieux est comparable à … »
A quoi donc, selon Jésus, le Royaume des cieux est-il comparable ? A rien, mais à quelqu’un. Le Royaume des cieux est comparable au maître d’un domaine ; dans quinze jours nous entendrons : « Le Royaume des cieux est comparable à un roi … » Le Royaume des cieux n’est pas quelque chose, mais quelqu’un. Le Royaume des cieux n’est pas un lieu, mais c’est quelqu’un. Le Royaume des cieux se confond avec le Seigneur lui-même. Celui qui entre dans le Royaume des cieux entre en Dieu, ni plus ni moins. Avec prudence, on pourrait même réécrire les paraboles de Jésus en disant : « Mon Père est comparable au maître d’un domaine qui sortit dès le matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. » En passant, je vous rappelle que la vigne est, dans la Bible, une des images du peuple d’Israël. Par extension, la vigne désigne également le nouveau peuple d’Israël, c’est-à-dire l’Eglise dont nous sommes les sarments.
Parmi tout ce qu’on pourrait dire de l’attitude du maître de la vigne – son sens de la justice, sa persévérance, son amour pour sa vigne, son attention aux plus pauvres – je ne retiens qu’un seul point : le nombre de ses sorties. Quand nous pensons au Royaume des cieux, nous imaginons une réalité loin de nous ; quand nous pensons à Dieu, nous l’imaginons au-dessus de nous, et loin de nos préoccupations. Or, ce n’est pas cela que nous révèle Jésus. Avez-vous compté combien de fois, dans notre parabole, le maître de la vigne sort pour embaucher de nouveaux ouvriers ? Il sortit dès le matin …Sorti vers neuf heures …Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures…Vers cinq heures il sortit encore …Cinq fois : il sort cinq fois. Le Père que Jésus nous révèle – son Père qu’il nous donne comme Père – n’est pas quelqu’un qui reste dans son ciel à nous attendre. C’est quelqu’un qui passe son temps, si je puis dire, à venir vers nous. Dans la parabole du fils prodigue, Jésus nous raconte la même chose : le père sort à la rencontre de son jeune fils qui revient au foyer ; et il sort à la rencontre du fils aîné qui refuse d’entrer. Je comprends mal les chrétiens qui disent : « Je ne m’adresse pas au Père parce qu’il est trop loin, trop haut. » Est-ce qu’ils ne se trompent pas de Dieu ? Ne confondent-ils donc pas notre Père avec Jupiter ? Notre Dieu sort de lui-même pour venir à notre rencontre ; c’est toujours lui qui fait le premier pas. Dans notre prière de ce soir, il serait intéressant pour chacun de faire le compte des moments où notre Père est venu à notre rencontre. Souvent, nous lui demandons de venir ; alors, il vient, c’est certain, mais nous l’imaginons venant dans toute sa gloire alors qu’il vient comme un petit enfant, ou comme un jeune crucifié, ou comme une pauvre hostie, ou comme un événement inattendu, ou comme une parole de réconfort… Il ne vient jamais comme nous l’imaginons, alors nous en tirons la conclusion qu’il ne vient pas. Nous sommes comme l’aveugle qui dit : « Il n’y a pas de lumière. »
Le Dieu que nous révèle Jésus par son enseignement et par sa vie est un Dieu de rencontre. Hier, à Marseille, dans son homélie, le Pape insistait sur la joie dont Marie tressaille à l’annonce de l’ange ; et il nous invitait à tressaillir de joie comme Marie à la rencontre de notre Seigneur. Dieu vient toujours, que ce soit dès le matin, ou à neuf heures, ou à midi, à trois heures ou même à cinq heures. Il ne se décourage jamais devant nos portes fermées. Il suffit seulement de lui entrouvrir.