Ex 32,7-11+13-14 Ps 50 1Tm 1,12-17 Lc 15,1-32
Par le Père Jean Paul Cazes
La liturgie me laissait la possibilité de ne lire que les deux premières paraboles du chapitre 15 de st Luc : la parabole de la brebis perdue et retrouvée, et celle de la pièce d’argent elle aussi perdue et retrouvée. Malgré sa longueur, je n’ai pas voulu amoindrir ce chapitre ; avec les deux premières, j’ai lu aussi la parabole qu’on appelle maladroitement la parabole de l’enfant prodigue. C’est un mauvais titre. D’abord, il ne vient pas de st Luc lui-même ; ce titre ne fait heureusement pas partie de la Parole de Dieu. Ensuite, parce que le récit met en scène le fils aîné tout autant que son jeune frère. Enfin, parce que la figure qui donne son unité au récit est celle du Père. Le Père qui court à la rencontre de son fils cadet qui revient à la maison. Le Père qui sort à la rencontre de son aîné pour le supplier d’entrer. Je ne sais pas quel titre vous aimeriez donner à cette extraordinaire parabole, mais il faudrait que ce soit un titre qui mette en lumière la figure du Père, ou son attitude envers ses deux fils. Son attitude de miséricorde.
Souvent j’entends dire qu’on ne prie pas facilement le Père car il paraît trop lointain ; on prie plus facilement le Christ qui est un être humain comme nous. Si le Père paraît si lointain, c’est peut-être qu’on n’ose pas croire au réalisme de ces trois paraboles de la miséricorde. Il est probable que Jésus ne les a pas données en même temps ; c’est st Luc qui les a rassemblées dans le but évident d’insister sur un point capital de notre foi : le Père dont Jésus nous parle, le Père dont Jésus est le visage sur terre (« Qui m’a vu a vu le Père » dit Jésus ; Jn 14,9), le Père dont il vient nous ouvrir le Royaume est un Père de miséricorde. Déjà, l’Ancien Testament pressentait cela ; Moïse, par sa prière instante, fléchit la juste colère de Dieu qui déclarait vouloir anéantir le peuple infidèle. La phrase finale de notre première lecture est admirable : « Le Seigneur renonça au mal qu’il avait voulu faire à son peuple. » Pour l’Ancien Testament, voilà une manière d’affirmer que Dieu n’est pas un Dieu de destruction mais un Dieu d’Alliance et de miséricorde. Le Nouveau Testament va jusqu’au bout de cette logique : Jésus révèle que Dieu a un nom particulier : Père. Et que ce Père est le Père de tous les hommes, qu’ils soient croyants ou non.
Précisons tout de suite que la miséricorde dont il s’agit n’est pas de la faiblesse. La miséricorde du Père n’est absolument pas laxiste. La vieille chanson « Nous irons tous au Paradis » est exacte si nous pensons que le désir de Dieu est de sauver tous les hommes ; mais elle est fausse si elle laisse penser qu’on peut accéder à Dieu sans se convertir à lui, sans adopter, durant notre vie terrestre, les manières de faire de Dieu.
Or, ses manières de faire sont des manières de miséricorde. Notre Dieu, notre Père, n’a pas de miséricorde : il EST miséricorde. Il passe son temps, si je puis dire, à faire miséricorde à ceux qui acceptent de l’accueillir. Dans notre seconde lecture, Paul, par deux fois, écrit qu’il lui a été fait miséricorde alors qu’il ne le méritait pas.
Si j’avais un fils qui se soit conduit comme le cadet de l’évangile, il est probable que je l’accueillerais en mettant quelques conditions. Humainement parlant, il est un peu facile de faire n’importe quoi et de voir à son retour la porte grande ouverte et la fête autour de soi. Humainement parlant ! Mais, divinement parlant … !
Heureusement pour chacun d’entre nous, Dieu notre Père a des manières de faire qui ne sont pas des manières humaines. Il aime chacun de nous sans condition. Il aime non pas de façon humaine, mais de façon céleste : au lieu de dire « Notre Père qui es aux cieux … », il serait préférable de dire : « Notre Père céleste … » c’est-à-dire « Notre Père qui a des manières célestes, autres que des manières humaines. »
Dans le court silence qui va suivre, que chacun de nous essaie de ramener à la mémoire de son cœur les moments pendant lesquels il a bénéficié de la miséricorde du Père. Car, forcément, nous en avons tous bénéficié, même si nous n’en avons pas eu conscience sur le moment.
Nous sommes tous, grâce à Jésus, les enfants préférés de notre Père !