Is 6,1-2a+3-8 Ps 137 1 Co 15,1-11 Lc 5,1-11
Imaginez Jésus sur le bord du lac de Tibériade. Il fait beau, le soleil est doux, et une grande foule est rassemblée sur l’herbe. Alors, pour lui parler, Jésus monte dans une des barques dont les pêcheurs lavent les filets. « Il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules ». Mais quel est son enseignement ? J’aurais bien aimé le connaître.
Ce n’est pas la seule fois où les évangiles nous laissent sur notre faim. Rappelez-vous les disciples d’Emmaüs : deux hommes fuyaient Jérusalem après avoir perdu toute espérance. Jésus les rejoint et « il leur expliqua dans toutes les Ecritures ce qui le concernait. » Mais, quelles explications leur a-t-il données ? Pas plus que pour notre passage d’aujourd’hui, Luc n’a pris de notes sur le vif pour nous transmettre l’enseignement donné à Cléophas et à son compagnon. Comment comprendre ce silence ?
Bien sûr, les Evangiles nous livrent ailleurs l’enseignement de Jésus mais tout ne nous est pas parvenu. Au dire de St Jean lui-même, « Jésus a opéré sous les yeux des disciples bien d’autres signes qui ne sont pas rapportés dans ce livre. » (Jn 20,30) Comment comprendre ce silence ?
D’abord, il faut affirmer tout de suite que tout ce qui se trouve dans les évangiles, en particulier, et dans le Nouveau Testament, en général, est nécessaire à notre salut. A ce point de vue, rien ne nous manque. Tout ce qu’il nous faut pour aller vers Dieu grâce au Christ et à son Esprit est à notre portée.
Ensuite, il y a des aspects de la vie de Jésus qui ne nous regardent pas. Toute son enfance, toute sa jeunesse et son adolescence nous sont inconnues. Ces périodes sont vécues dans l’intimité de la Sainte Famille et, surtout, dans l’intimité de Jésus et de son Père.
Enfin, et surtout, ce silence sur l’enseignement de Jésus nous dit de façon claire que si notre foi se nourrit de ce que Jésus a dit, elle repose non pas sur l’enseignement mais sur la personne de Jésus. Le christianisme n’est pas une secte où il faudrait que tous les membres fassent la même chose que leur fondateur, pensent la même chose que leur fondateur, agissent de la même manière que leur fondateur. Jésus nous donne son Esprit pour que nous puissionstémoigner de lui, non pas d’une exactitude doctrinale.
Que se passe-t-il au moment où Jésus choisit Pierre ? Le Christ ne s’inquiète pas du savoir doctrinal de son disciple ni de son exactitude théologique : il l’envoie dans le monde pour pécher les hommes, c’est à dire pour les rassembler autour du Christ. Jésus procède de la même manière que Dieu envers le prophète Isaïe qui est envoyé témoigner d’une rencontre. Dans le livre du cardinal de Kessel que je suis en train de lire avec plusieurs d’entre vous, l’archevêque de Bruxelles écrit : « … la foi n’est pas … l’acceptation d’une doctrine ou d’une idée, mais une rencontre personnelle avec Dieu. »(Joseph de Kessel, Foi et Religion dans une société moderne, éd. Salvator 2021, page 48)
Là est le génie de Paul qui a compris cela. Il rappelle aux chrétiens de Corinthe qu’il leur a transmis la Bonne Nouvelle ; il y a eu de sa part une transmission. Il écrit : « Avant tout, je vous ai transmis ceci que j’ai moi-même reçu … » Il y a donc là une transmission, au sens propre, une tradition, c’est-à-dire quelque chose nécessaire pour le salut : c’est par l’Evangile « que vous serez sauvés si vous le gardez tel que je vous l’ai annoncé. » Or, quelle est cette tradition que Paul a reçue, et qu’il annonce à son tour aux Corinthiens ? Est-ce un enseignement doctrinal ? Non, c’est le condensé de la vie de Jésus, tel que nous le professons dans notre « Je crois en Dieu. » Notre foi ne repose pas sur un système, mais sur la vie, la mort et la résurrection d’une personne. Notre foi n’est pas l’adhésion à un système, mais la rencontre cœur à cœur du Ressuscité. D’où l’importance de la prière personnelle et de la prière communautaire. Le meilleur théologien n’est pas celui qui écrit des livres, mais celui qui prie. Je précise tout de suite que la doctrine et les dogmes ont leur place nécessaire dans une foi réfléchie, mais c’est une place en retrait, et comme en conséquence, par rapport à notre adhésion à la personne de Jésus.
Dans moins d’un mois, le 2 mars, nous vivrons le mercredi des Cendres. Que l’Esprit nous donne de vivre ce nouveau Carême comme un temps de cœur à cœur renouvelé avec Celui qui est mort pour nos péchés conformément aux Ecritures, qui fut mis au tombeau, qui est ressuscité le troisième jour conformément aux Ecritures, est qui est apparu à Pierre, aux Douze, à 500 frères à la fois, puis à Paul.
Bref, écrit Paul, qu’il s’agisse de moi ou des autres – et les autres, c’est nous ! – voilà ce que nous proclamons, voilà ce que vous croyez.