Ml 1,14b – 2,2b+8-10 Psaume 130 1 Co 2,7b+9-13 Mt 23,1-12
Par le Père Jean Paul Cazes
Ce passage d’évangile est dur contre les scribes et les pharisiens, comme le passage du prophète Malachie est dur contre les prêtres juifs. Durs, mais lucides. Prêtres, scribes et pharisiens ne font pas le lien entre leur enseignement et leur style de vie. Ils disent, mais ne font pas.
Les prêtres de Jésus-Christ sont menacés par la même attitude. Certes, le message qu’ils ont à délivrer les dépasse infiniment ; ce n’est pas au nom de leur sainteté personnelle qu’ils parlent, mais parce qu’ils ont reçu une mission. Dans l’Ancien Testament comme dans le Nouveau, lorsque quelqu’un est appelé par le Seigneur, c’est pour remplir une mission ; s’il agit, s’il enseigne, c’est au nom de cette mission qu’il agit et enseigne, et non pas au nom de sa propre sainteté. Si le Seigneur ne devait choisir que des saints, il ne pourrait choisir personne. Il choisit toujours de pauvres pécheurs qui, comme n’importe quel baptisé, est appelé à la sainteté.
Mais la difficulté pour celui – ou celle – qui est choisi et qui agit et parle au nom du Seigneur, est de finir par croire que le seul fait de rappeler à tous l’enseignement de Jésus le place automatiquement au niveau de son enseignement. Vous connaissez peut-être la fable de l’âne qui porte des reliques ; je ne suis pas sûr qu’elle soit de La Fontaine, mais peu importe. Cette fable met en scène un âne qui, portant des reliques, en vient à penser que les gestes de vénération des fidèles s’adressent à lui. Et un jour où il ne porte pas ces reliques et qu’il commet une bêtise, il déchante rapidement quand son maître lui administre une belle volée de coups de bâton.
L’enseignement donné par un prêtre est saint dans la mesure où cet enseignement est fondé sur celui du Christ ; ainsi, St Paul peut écrire aux chrétiens de Corinthe : « Quand vous avez reçu la parole de Dieu que nous vous faisions entendre, vous l’avez accueillie pour ce qu’elle est réellement, non pas une parole d’hommes, mais la parole de Dieu qui est à l’œuvre en vous, les croyants. » Mais cette parole oblige le messager à se conformer à elle. Si le messager se contente de transmettre la parole de Dieu sans y conformer sa vie, s’il n’essaie pas de vivre lui-même ce qu’il enseigne, il passera loin de la sainteté, cette sainteté que nous venons de fêter il y a trois jours. Alors, prêtre de Jésus-Christ, il entendra le Christ lui dire : « Tu dis et ne fais pas. Tu attaches de pesants fardeaux, difficiles à porter, et tu en charges les épaules des gens ; mais toi-même ne veut pas les remuer du doigt. »
Pour moi, prêtre de Jésus-Christ, comme pour vous, la sainteté viendra à ma rencontre si j’essaie de conformer ma vie à mon enseignement ; si j’essaie de faire ce que j’enseigne ; en somme, si je me conforme au Christ qui dit ce qu’il fait.
Chaque page de l’Evangile nous révèle qui est Jésus et comment nous devons vivre pour le suivre et être ses disciples. Qu’apprenons-nous de lui aujourd’hui ?
Plusieurs choses qu’il faudrait bien plus qu’une courte homélie pour en approfondir les richesses. Relisons, même rapidement, notre page d’évangile.
D’abord, nous apprenons à nouveau que Jésus est notre serviteur : « Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. » Il n’est pas venu pour être servi mais pour servir. Il est vraiment Maître et Seigneur, non pour se pavaner, non pour être remarqué par les gens et obtenir les places d’honneur dans les dîners mais pour mettre son pouvoir à notre service pour nous mener au salut. Sommes-nous les disciples de ce Maître-là ?
Nous apprenons aussi qu’il sera abaissé puis relevé : c’est une annonce de la Croix et de la résurrection. Le Messie auquel nous croyons est un Messie souffrant qui trouve sa gloire au sommet de la Croix. Sommes-nous les disciples de ce Maître-là ?
Nous apprenons qu’il est vraiment notre Maître. En quoi est-il notre Maître ? D’abord par la sainteté de son enseignement, bien sûr. Un enseignement nourri par la Parole de Dieu héritée de l’Ancien Testament médité, réfléchi, prié. Mais aussi un enseignement mis en pratique : Jésus fait ce qu’il dit. En lui, il n’y a pas de distance, ni d’opposition entre ce qu’il enseigne et ce qu’il vit. Il rejoint ainsi la première description de Dieu qui nous est donnée dès le premier chapitre de la Genèse : « il dit … et cela fut ». La Parole de Dieu est efficace. Dieu n’est pas un menteur ; Jésus non plus puisqu’il est vraiment Dieu venu dans notre chair. Sommes-nous les disciples de ce Maître-là ?
Prêtres de Jésus-Christ, et vous tous, fidèles de Jésus-Christ, sommes-nous vraiment ses disciples ? Il ne s’agit pas seulement de politesse évangélique où tout le monde s’appellerait « Frère » et « Sœur » tout en vivant en étranger les uns vis-à-vis des autres. Oui, nous sommes tous frères et sœurs, Jésus nous le dit : « Vous êtes tous frères », puisque nous avons le même Père; mais vivons-nous en frères ? Et pas seulement le temps d’un geste de paix à la messe, mais au cours de la semaine ? Essayons-nous vraiment – comme nous pouvons – de mettre en pratique les mots que nous disons ?
Que nous soyons prêtres ou laïcs, sommes-nous vraiment les disciples de Celui dont la Parole se traduit par des actes ?