Homélie du 29 décembre 2024 Sainte Famille Année C

Par le père Jen Paul Cazes

Sam 1,20-22+24-28 Ps83(84) 1Jn 3,1-2+21-24 Lc 2,41-52

Il est normal que les chrétiens se posent des questions sur la personnalité de Jésus. C’est ainsi depuis le début, ce sera ainsi jusqu’à la fin. Nous n’aurons les réponses définitives que lors du retour du Christ. Comment faire autrement que de se poser des questions devant celui qui est, en même temps, totalement Dieu et totalement homme ? Parfois, nous penchons plus vers le Dieu, et parfois plus vers l’homme. Nous voudrions voir l’aiguille de la balance au beau milieu du cadran, nous voudrions du 50% de chaque côté, alors que la divinité de Jésus prend tout le cadran, et que son humanité en fait autant. Le concile de Nicée, qui sera notre boussole tout au long de l’année, nous aidera à méditer sur les conséquences, pour notre vie chrétienne, des deux natures de Jésus. Un de mes professeurs de séminaire disait : « La question fondamentale des évangiles est : qui est Jésus ? » Il avait raison. D’ailleurs Jésus lui-même pose aux disciples cette question : « Pour vous, qui suis-je ? »

Aujourd’hui la question prend une forme particulière : depuis quand Jésus avait-il conscience d’être l’égal de Dieu ? Car c’est bien ce qu’il laisse entendre en disant à ses parents : « Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? »

Revenons au jour de la Nativité. Par sa naissance, le Verbe de Dieu n’a pas fait semblant de devenir un être humain. Il en a épousé toutes les caractéristiques, à part le péché. Il a appris ce qu’apprennent les petits d’homme. Sa conscience humaine s’est développée au même rythme que la conscience de n’importe quel enfant. Au jour de sa naissance, il était incapable de parler, incapable de formuler une pensée claire. Au jour de sa naissance, il ne savait pas qui il était. Peu à peu, il a pris conscience de qui il était. A quel âge a-t-il été capable de dire qu’il était fils de Dieu ? Nous l’ignorons ; par contre, nous savons, selon st Luc, qu’aux environs de douze ans, il en avait pleine conscience, conscience d’un jeune de douze ans. Pourquoi douze ans ? C’est à peu près à cet âge-là que les garçons juifs deviennent des adultes dans la communauté religieuse ; si vous connaissez des amis juifs, vous savez que les garçons vivent leur bar-mitsvah vers douze ans. Pourquoi Luc parle-t-il de ce voyage en particulier de la Sainte Famille à Jérusalem alors qu’elle devait s’y rendre chaque année ? La réponse logique est que cette année-là, Jésus ayant douze ans, il célébrait sa bar-mitsvah au Temple. Pour une famille juive, la bar-mitsvah d’un garçon est un moment de fête, un moment qui soude une famille.

Je trouve extraordinaire la conclusion de notre évangile. Jésus vient de dire à ses parents que son Père est le Dieu d’Israël : on comprend qu’ils n’aient pas compris tout de suite ! Il leur faudra du temps pour assimiler cette révélation. Jésus aurait pu leur dire qu’il souhaitait rester au Temple : si c’est bien sa bar-mitsvah qu’il venait de célébrer, il avait tous les droits d’un véritable membre de la communauté religieuse. Mais non : il n’en a pas tiré avantage. Comme Paul dira plus tard aux chrétiens de Philippe : « (Jésus), qui était de condition divine n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu. » (Phi 2,6)

Alors, écrit Luc, il descendit avec Marie et Joseph pour se rendre à Nazareth. Et cette descente n’est pas seulement géographique : c’est une descente d’humilité : car il était soumis à ses parents terrestres. Devant cette soumission de Jésus, une soumission non pas par crainte mais par respect et amour, on peut facilement imaginer l’attitude de Marie qui gardait tous ces événements dans sa mémoire et dans son cœur. Comme d’habitude, rien n’est dit de Joseph et Joseph ne dit rien ; mais, lui aussi devait veiller sur Jésus, en essayant de comprendre qui est ce garçon que l’ange lui avait confié.

Pour conclure, je dirai – en souriant, bien sûr – que la sainte Famille est un très mauvais exemple. Certes, dans cette famille, il y a un père, une mère et un enfant. Mais la mère n’a pas engendré de manière naturelle ; le père est père par adoption, et le fils se dit Fils de Dieu de manière absolument unique. Comment nos familles peuvent-elles vraiment imiter une famille semblable ? C’est décourageant ! Mais alors, pourquoi cette fête ? Non pas pour imiter servilement la sainte Famille, mais pour s’en inspirer, et s’inspirer de son esprit. Cela, toutes les familles peuvent le faire. De nos jours, les modèles familiaux sont divers, tous ne sont pas semblables à celui de la sainte Famille. Pourtant, quelle que soit la forme de nos familles, nous pouvons tous trouver inspiration auprès de la sainte Famille. Car l’esprit de famille est plus large que la seule cellule familiale puisque celui qui garde la Parole de Dieu est, pour Jésus, comme un frère, une sœur, une mère. (Mt 12,50) L’esprit de la sainte Famille est accueil de la différence, respect de la vocation de chacun, et grand amour de la Parole de Dieu reçue et mise en œuvre.