Lectures : Am 6,1-7 ; Ps 145 ; Tim 6,11-16 ; Lc 16,19-31
par le père Yvan Marechal
La parabole de l’Évangile nous présente deux personnes que tout oppose : d’un côté, un homme riche, anonyme, vautré sur son divan, replié sur ses biens comme un rapace et se suffisant à lui-même ; d’un autre côté, un homme pauvre, appelé Lazare, gisant dans la poussière et mendiant quelques miettes, à la manière d’un chien au pied de la table de son maître. D’un côté, le riche ne voit rien, il ne sait pas ce qu’il y a de l’autre côté de son luxe, il est inconscient ; de l’autre, le pauvre voit, il sait comment vit le riche, il est conscient de la situation injuste. D’un côté, le riche a érigé un mur protecteur infranchissable et se coupe du monde extérieur ; de l’autre, le pauvre voudrait détruire cette forteresse qui les sépare et ne le peut pas.
Cette situation intolérable, nous la connaissons tous, parce que nous voyons encore des pauvres autour de nous et Jésus nous en a averti le jour où il a déclaré : « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous. » Nous observons, par exemple, des clochards qui ont décroché de la société, des gens inadaptés à nos structures, des migrants ou des réfugiés entassés comme des loques humaines. Comment les regardons-nous ? Quelle compassion avons-nous à leur égard ? Chacun peut consulter sa propre conscience.
Dans l’au-delà, cependant, on assiste à une inversion des rôles : le riche devient le mendiant, mais n’obtient rien, car il s’est installé dans une situation définitive ; quant au pauvre, il est porté par les anges dans les bras d’Abraham, il est dans la béatitude. La mise à l’écart du riche est évidemment destinée à nous faire réagir.
Dans les Évangiles, les paraboles racontées par Jésus servent généralement à révéler la personnalité de Jésus. Qui donc est ce Lazare de la parabole ? C’est Jésus, bien sûr, qui s’identifie au plus petit et au plus pauvre et qui n’espère rien d’autre que le secours de son Père, comme il l’expérimentera dans sa Passion. Lazare, c’est donc Jésus qui mendie notre amour. Voilà pourquoi, en se coupant du pauvre, le riche se coupe de Dieu, il ne comprend pas que Dieu mendie son amour et sa miséricorde. Et puisqu’il n’a aucun lien avec Dieu, comment peut-il ensuite mendier l’infini et l’éternité ? Le riche sans compassion se condamne à être exclu d’un regard de compassion envers lui.
Au lieu d’ériger des barrières entre les hommes, ne sommes-nous pas destinés à construire des ponts ? Ainsi, quand le pape François s’exprime au sujet des migrants, et pas seulement aujourd’hui parce que c’est la journée mondiale du migrant et du réfugié, il ne fait rien d’autre que de proposer des ponts, comme Jésus l’exige, même si cela nous dérange tous, et moi le premier ! C’est d’ailleurs tout le sens du mot pontife : le Souverain Pontife, c’est justement celui qui dresse des ponts entre Dieu et les hommes. Ainsi le pape François ne cherche-t-il pas à donner des solutions toutes faites aux gouvernants, il veut engager un nouveau mode de vie entre les hommes, fondé sur la Parole de Dieu. De fait, la Parole de vie nous engage toujours à poser des actes en faveur de la vie. Ce sera toujours un scandale de tuer, et aujourd’hui d’euthanasier. Ce sera toujours un scandale de laisser quelqu’un mourir en pleine mer ou sur un trottoir, sous une tente ou dans un bidonville, comme s’en insurgeait déjà l’abbé Pierre sur le parvis de notre église pendant l’hiver 54.
Jésus n’est-il pas venu briser les portails invincibles que nous avons fermés avec des scellés ? N’est-il pas venu rapprocher les distances infranchissables que nous avons posées entre nous ? Par conséquent, la grande chance de notre foi en Dieu, c’est de pouvoir reconnaître que tout homme est fait à l’image de Dieu. Certes, Jésus réserve sa préférence aux pauvres à cause de leur fragilité et de leur ressemblance avec lui, qui de riche qu’il est par sa divinité s’est fait pauvre en devenant homme. Je veux rendre grâce avec vous pour les associations et les mouvements qui œuvrent en faveur des plus faibles et tendent la main de Dieu : je pense au Secours catholique, à la Conférence Saint Vincent de Paul, au Service Évangélique des malades, qui font le lien entre la paroisse et les personnes ou les familles isolées ; je pense aussi à la Pastorale des peuples qui a le souci des personnes éloignées de leur pays. Saint Charles de Foucauld n’a-t-il pas voulu devenir le frère universel dans le désert du Hoggar ?
Dans la parabole, Lazare se tient devant le portail de la maison de l’homme riche. Le portail de notre église Saint-Pierre-Saint-Paul est un espace qui introduit à l’intérieur de la maison de Dieu et doit donner accès à Dieu lui-même. C’est par le portail qu’entrent les futurs baptisés accueillis sur le parvis le jour de leur baptême. Le porche est l’espace intermédiaire entre le monde profane et le monde sacré, il symbolise le seuil de la communauté chrétienne. C’est là que chaque dimanche se tiennent des laïcs qui vous accueillent au début et à la fin de nos célébrations : non seulement ils vous présentent le bulletin paroissial et le carnet de chants avec le sourire de Dieu, mais ils remplissent un rôle missionnaire prépondérant, car les accueillants sont les premières personnes rencontrées par ceux qui poussent timidement la porte pour voir ce qui se passe ici et peut-être pour faire une première rencontre avec le Seigneur.
Je me souviens d’un jeune homme qui m’avait contacté un jour après être entré dans mon église et avoir été impressionné par le mystère qui y était célébré et chanté ; quelques années après, je le baptisais ! C’est cela l’évangélisation du seuil ! Je pense aussi aux baptêmes et aux mariages que nous fêtons chaque week-end, aux funérailles que nous célébrons, au catéchisme et à l’aumônerie où nous nous investissons beaucoup ; nous touchons là de nombreuses familles éloignées de la foi et de la pratique chrétiennes. Alors, quelle pédagogie mettons-nous en place pour les atteindre, pour les intéresser au Dieu de Jésus-Christ et pour que l’Esprit-Saint les touche ? Je n’oublie pas la Maison paroissiale où nous passerons le reste de la journée. Je souhaite consacrer cette maison comme un lieu convivial, frontalier entre l’Église et le monde, pour que l’Église soit « en sortie » jusqu’aux périphéries et que le monde, qui est aujourd’hui si peu préoccupé de Dieu, puisse y recevoir une parcelle de vie divine. La Maison paroissiale accueillera entre autres des dimanches festifs, des ateliers créatifs et un jardin partagé, nous en reparlerons cet après-midi. Malheureusement l’Église s’enlise trop souvent dans des querelles de chapelles et des conflits d’intérêts, alors que l’évangélisation devrait être sa première préoccupation.
C’est pourquoi je vous lance une fois de plus un appel fort à agir dans un esprit vigoureusement missionnaire. Il y a 40 ans le pape Jean-Paul II appelait l’Église occidentale à une nouvelle évangélisation, non parce qu’il faudrait partir en croisade contre un monde redevenu païen, mais parce que, comme les chrétiens du premier siècle dans les Actes des apôtres, il nous voulait animés par la soif de faire connaître Jésus-Christ et son Évangile. À vue humaine, l’Église perd de sa force et de son influence, mais ne nous résignons pas. Dieu, en effet, ne laissera jamais tomber l’Église qu’il a instituée. Ses moyens, c’est son Saint-Esprit qui nous inspire et nous guide, c’est la Parole de son Fils Jésus qui interpelle chacun, c’est la communauté chrétienne à laquelle nous appartenons, ce sont les sacrements qui agissent efficacement dans nos vies. Son but, c’est que le monde entier croie en lui. C’est ainsi que Jésus nous embarque dans sa mission et nous dit comme à la fin de l’évangile de Matthieu : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, et apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. »
Pour suivre le Christ dans cet élan missionnaire, la vie spirituelle doit recevoir une force de propulsion, c’est ce que l’on appelle, dans le langage de l’Église, les cinq essentiels de la vie chrétienne : ils sont comme cinq vitamines A, B, C, D et E, vitamines qui donneront à l’Église une dynamique de croissance contre toute forme d’essoufflement. Ces cinq essentiels se trouvent inscrits à la première page du bulletin paroissial. Je vous invite à les lire avec moi.
- L’adoration : avec cette vitamine, il s’agit dans un premier temps de se reconnaître fils et filles de Dieu, de vivre une relation personnelle et vivante avec le Christ dans l’Esprit Saint, grâce à la prière, à la liturgie et aux sacrements. Nous devons tous, jeunes ou anciens, habiter notre intériorité, réinvestir notre vie spirituelle. L’adoration le jeudi soir jusqu’à 22 h est faite pour cela. Y êtes-vous déjà venus en famille ?
- La fraternité : c’est vivre en frères et sœurs de Jésus et favoriser l’amour du prochain, l’accueil et le soutien mutuels dans de petites communautés de partage. Chaque groupe paroissial, chaque activité est déjà en elle-même une petite communauté de partage fraternel. Avons-nous conscience d’appartenir à la même famille des enfants de Dieu ? Comment entretenons-nous ces liens dans l’Église ?
- La formation : devenir disciple du Christ, c’est se mettre à son école et écouter sa Parole pour grandir dans la conversion et l’intelligence de la foi et discerner ses talents. Voulons-nous bien scruter chaque jour l’Évangile pour nous laisser transformer par Jésus ?
- Le service : en s’engageant dans la communauté chrétienne et en prenant des responsabilités selon ses talents, on devient serviteur pour le bien de tous. Acceptons-nous de servir ou de prendre des responsabilités à la mesure de nos forces physiques, comme le Christ notre roi qui lava les pieds de ses disciples ?
- L’évangélisation : formé aux quatre étapes précédentes, chacun devient alors un apôtre capable de témoigner de son expérience de l’amour de Dieu et de sa connaissance de Jésus-Christ mort et ressuscité pour nous. Ai-je envie de développer en moi le zèle de l’apostolat ?
Je souhaite que ces cinq essentiels irriguent toute notre vie chrétienne, ils doivent être expérimentés dans toutes les familles et vérifiés dans chaque activité paroissiale à laquelle nous appartenons. Ils deviendront alors un véritable chemin de transformation spirituelle pour toute notre communauté paroissiale.
En regardant le dessin affiché dans l’angle à gauche du bulletin paroissial, les flèches signalent la puissance de propulsion de ces cinq essentiels. Par conséquent, toute personne qui veut faire un chemin de foi devrait premièrement faire une rencontre vivante avec le Seigneur, deuxièmement s’intégrer dans la communauté chrétienne faite de frères et sœurs, troisièmement se former à l’école de Jésus pour lui ressembler comme l’ont fait les disciples, quatrièmement se mettre au service des autres pour exercer le don de soi et cinquièmement annoncer le Christ et l’Évangile. Le point de départ est l’adoration et le point d’arrivée est l’évangélisation. C’est seulement ainsi que le disciple deviendra à son tour missionnaire : il sera donc un disciple missionnaire, selon une formule qui a été forgée par le pape François. Pour conclure, je vous indique, en bas de la page du bulletin, l’ambition que j’ai pour notre paroisse, pour les années à venir. La voici :
Notre vision pastorale est de construire une communauté paroissiale composée de disciples missionnaires vivant dans une dynamique de croissance grâce aux cinq essentiels de la vie chrétienne. Ces cinq forces devraient nous ancrer davantage dans le Christ et susciter en nous le désir de l’annoncer au monde. Voulez-vous me suivre dans cette aventure ? Amen !
Père Yvan Maréchal