Homélie du 20 novembre 2022  Le Christ, roi de l’univers

2 S 5,1-3     Ps 121     Col 1,12-20     Lc 23,35-43

Par le Père Jean Paul Cazes

L’année liturgique – l’année chrétienne – se termine sur la figure du Christ, roi de l’univers. Cette fin est en même temps un commencement. Le commencement d’une année liturgique nouvelle, certes, mais bien plus que cela : la fin de l’année liturgique nous indique le passage vers le monde à venir, vers la vie future. Dans tout l’évangile, Jésus nous parle de la vie future comme d’un royaume, ou d’un règne, dont il est le souverain. Comme le proclame la Préface que je dirai tout à l’heure juste avant le Sanctus, ce règne est un règne de vie et de vérité, de grâce et de sainteté, de justice, d’amour et de paix.

Longtemps, j’ai renâclé, intérieurement, devant ce titre de roi donné au Christ (peut-être suis-je trop républicain ?). Avec ce titre, viennent toutes les images des rois de la terre, telles que nous les voyons se déployer autour du nouveau roi d’Angleterre. Or, Jésus lui-même n’a accepté ce titre que du bout des lèvres, lorsqu’il était prisonnier, face à Pilate. Pourquoi ? Parce que sa royauté est une royauté de service, comme devraient l’être d’ailleurs toutes les royautés et toutes les présidences. Il est le premier, mais il est aussi le dernier ; il est l’Alpha et l’Oméga ; il est roi parce qu’il est serviteur ; en hébreu, le mot « roi » et le mot « berger » sont équivalents. Jésus est roi lorsqu’il lave les pieds de ses disciples. Et il n’est jamais autant roi que lorsqu’il est crucifié comme le dernier des brigands. Comme le dit la préface de consécration des prêtres le jour de leur ordination : « Servir, c’est régner. »

Les chefs du peuple le tournent en dérision, les soldats se moquent de lui et de son message ; un des malfaiteurs l’injurie : c’est là qu’il est roi, souverainement roi, à tel point qu’il ouvre son royaume au larron plein de repentir.

La royauté de service de Jésus s’étend sur tout son corps qui est l’Eglise. Vous savez bien que l’expression « corps du Christ » désigne trois réalités distinctes et conjointes : le corps personnel de Jésus, né de Marie, le corps eucharistique du Christ ressuscité que nous célébrons lors de chaque messe, et l’Eglise qui est le corps dont nous sommes les membres par le baptême. Jésus est la Tête de l’Eglise ; il transmet à son corps et à chacun des membres de ce corps sa qualité royale. Dans notre image spontanée de la royauté, il y a le roi et les sujets. La royauté de Jésus a d’autres conséquences. Ce qu’il est, Jésus le transmet ; il est Fils unique par nature, mais il fait de nous, par grâce, des fils et des filles du Père ; il est roi, mais nous ne sommes pas ses sujets : nous sommes rois avec lui. Comme le dit une autre Préface que je ne lirai pas aujourd’hui : « Nous portons désormais ces noms glorieux : descendance choisie, sacerdoce royal, nation sainte, peuple racheté. » Cette Préface s’appuie sur la première lettre de St Pierre qui écrit : « Mais vous, vous êtes la race élue, la communauté sacerdotale du roi, la nation sainte, le peuple que Dieu s’est acquis … » (1 P, 2,9) Sous le règne du Christ, il n’y a pas de roi et de sujets : il y a un peuple royal où chacun participe à la dignité royale. Voilà quelle est notre dignité de baptisés, cette dignité à laquelle les catéchumènes qui sont parmi nous ce soir sont appelés comme nous. Mais cette dignité qui est la nôtre, actuellement, n’est vraie que si elle est bien en union avec celle du Christ : une dignité de service.

Le titre exact de notre fête est « Christ, roi de l’univers. » Si donc nous acceptons de participer à la royauté du Christ, une royauté de service, ce service doit pouvoir d’étendre, à travers lui, à tout l’univers. Cela rejoint le souci écologique actuel. Il est urgent de participer à la sauvegarde de la nature qui est notre maison commune. Mais pour nous, chrétiens, ce service revêt une autre dimension : cette nature, n’est pas que biologique et matérielle, elle est création divine. Cette création, le Christ ne nous demande pas seulement de l’améliorer afin qu’elle soit vivable pour les huit milliards que nous sommes devenus : il nous demande de l’orienter par notre travail vers sa destination ultime, c’est-à-dire vers le Père d’où elle est sortie, et vers lequel elle doit retourner. Ainsi sera réalisée la prière que le prêtre dit au moment des offrandes : « Tu es béni, Seigneur, Dieu de l’univers : nous avons reçu de ta bonté le pain que nous te présentons, fruit de la terre et du travail des hommes : il deviendra pour nous le pain de la vie. »