Ap 7,2-4+9-14 Ps 23(24) 1 Jn 3,1-3 Mt 5,1-12a
par le pere Jean Paul Cazes
Je lisais récemment un vieux livre du XVIIème siècle, écrit par St François de Sales, l’évêque de Genève. Son titre : « Introduction à la vie dévote. » Comme ça fait un peu vieillot, on peut le traduire par « Introduction à la vie spirituelle. » Dès le début, au chapitre trois, St François se heurte à l’objection selon laquelle la vie spirituelle serait uniquement réservée aux moines et aux religieuses. Alors il écrit : « C’est … une erreur … que de bannir la vie spirituelle de la vie des soldats, de la boutique des artisans, de la cour des princes, du foyer des époux. »
Si je cite St François de Sales, c’est qu’il est possible de dresser un parallèle entre ce qu’il dit de la vie spirituelle et ce qui peut être dit de la sainteté. Cette sainteté, on la réserve presque spontanément d’abord aux saints et aux saintes déjà canonisés qui sont, pour la plupart, des prêtres, des religieux, des religieuses …et ensuite à quelques laïcs égarés au milieu de cette multitude ! Or, le Concile Vatican II, dans un chapitre appelé « L’appel universel à la sainteté dans l’Eglise » écrit ceci qui ressemble beaucoup à ce qu’écrivait St François de Sales : « … l’appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s’adresse à tous eux qui croient au Christ, quels que soient leur état ou leur rang. ».Le Concile n’exagère rien, il ne fait qu’actualiser ce que dit l’Apocalypse de St Jean : « Et j’entendis le nombre …ils étaient cent quarante-quatre mille de toutes les tribus des fils d’Israël. Après cela j’ai vu : et voici une foule immense que nul ne pouvait dénombrer … »
Quel que soit notre état de vie, nous sommes tous appelés à la sainteté. Mieux : c’est dans notre état de vie et par lui que nous sommes appelés à la sainteté, que nous soyons mariés ou non, ouvriers ou ingénieurs, infirmiers ou sages-femmes, patrons ou salariés, malades, prêtres ou religieuses, sportifs, étudiants, enfants et adultes... Je suis boulanger ? C’est par ma vie d’artisan que je peux marcher vers la sainteté. Je suis directeur des ressources humaines ? C’est là que le Seigneur m’appelle. Je suis mère de famille ? Voilà mon chemin de sainteté…
D’abord, parce que nous sommes membres de l’Eglise qui est sainte. Nous l’affirmons dans le Credo. Certes, il faut un brin de culot pour parler de la sainteté de l’Eglise dans un moment où nous sommes tous blessés, salis par tant de scandales. Mais cette Eglise, constituée uniquement par les pécheurs que nous sommes tous, est sainte parce qu’elle est, fondamentalement, le Corps du Christ. C’est de ce Corps saint que nous sommes les membres ; nous sommes comme enveloppés par la sainteté du Dieu fait homme, lui qui a répandu sur l’humanité entière son Esprit de sainteté.
Dans cette Eglise sainte, nous avons été baptisés ; et je salue celles et ceux d’entre nous qui se préparent au baptême. Et parce que nous sommes baptisés et confirmés, nous avons reçu la dignité de fils et de filles de Dieu. C’est si grand, si incroyable même, que St Jean en est comme bouleversé lorsqu’il écrit – nous l’avons entendu dans notre seconde lecture : « Voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes. » Si nous sommes vraiment les enfants de Dieu par le baptême, alors nous portons le nom de notre Père qui est le Saint d’Israël, le Saint par excellence. Quand St Paul écrit aux chrétiens de Rome, il les nomme saints par l’appel de Dieu (Ro 1,7). Quand il écrit aux Corinthiens, il écrit « à l’Eglise de Dieu qui est à Corinthe, ainsi qu’à tous les saints qui se trouvent dans l’Achaïe entière. » (2 Co 1,1) Quand il écrit aux chrétiens d’Ephèse, il dit : « Paul, apôtre de Jésus-Christ par la volonté de Dieu, aux saints et aux fidèles … » (Eph 1,1) Quand il écrit aux Philippiens, il dit : « Paul et Timothée, à tous les saints en Jésus-Christ qui sont à Philippes … » (Ph 1,1) Je pense qu’il n’est pas besoin de préciser que ceux à qui il écrit sont bien vivants ; et pourtant, il les appelle « saints » alors qu’ils sont aussi pécheurs que nous. S’il nous écrivait, il dirait : « Paul apôtre, aux saints qui vivent à Courbevoie. »
Mais l’objection arrive aussitôt, et c’est toujours la même, de Toussaint en Toussaint : nous ne sommes pas parfaits ; c’est exact. Mais il y a méprise entre sainteté et perfection. A part Jésus et Marie, aucun saint n’est parfait. Comme disait je ne sais plus qui, un saint est un pécheur pardonné. La sainteté et la perfection sont une vocation et un chemin, le perfectionnisme est une maladie. Je viens de lire un article qui montre que, selon une enquête de l’IPSOS, un français sur deux souffre de perfectionnisme de façon quotidienne, ce qui en fait l’une des causes les plus fréquentes de stress au travail et dans la vie courante. La conclusion de cette enquête recommande une pratique régulière d’un sport ou (je vous le donne en mille) ou de la méditation ! Extraordinaire IPSOS qui en arrive à la même conclusion de tant et tant de maîtres spirituels au long de l’histoire de l’Eglise : pour trouver la paix, pratiquer la méditation. Pour se défaire du perfectionnisme et rechercher la vraie perfection liée à la sainteté, accepter de prier (et de faire un peu de sport !)
Plusieurs conclusions.
L’Eglise est sainte ; elle est le Corps du Christ ; elle rassemble ceux qui nous ont précédés et que nous fêtons aujourd’hui, et nous qui cheminons encore vers le royaume de Dieu.
L’Eglise est composée de pécheurs; or Jésus est venu chercher et sauver ce qui était perdu : c’est l’évangile de dimanche dernier.
Nous sommes pécheurs, mais notre Père, grâce à Jésus, fait vraiment de nous ses fils et ses filles ; il partage avec nous sa sainteté.
La sainteté de Dieu est en nous, comme un don ; il dépend de nous d’y croire et de la déployer dans l’état de vie dans lequel nous sommes. Ce que nous sommes déjà est appelé à être totalement vrai dans la lumière du royaume de Dieu, là où vivent celles et ceux que nous honorons aujourd’hui.
Je termine par une phrase de la règle de St Benoît, une phrase qui ne manque pas d’humour : « Ne pas vouloir être appelé saint avant de l’être, mais l’être, afin que cela devienne vrai. » (cha. IV, verset 62)