Conte de Noël en temps de pandémie

Le trente et unième

Par le père Jean Paul Cazes

On sentait bien que ça allait arriver !

Les étoiles ont été allumées et frottées, et briquées ; elles scintillent de toute leur force.
La neige recouvre tous les sapins et fait attention de ne pas peser trop lourd sur les branches.
Les anges répètent les cantiques et les apprennent aux petits nouveaux.
Joseph a changé la paille de la mangeoire et balayé tout le sol.
Marie est allongée sur un gros matelas d‘herbes sèches ; elle tient sous sa main la layette qu’elle a préparée. Souriante, elle chantonne tout doucettement.

Les bergers avaient délégué l’un d’eux qui se tient à l’entrée de la crèche. Il avait hésité un moment : « Qui va garder mon troupeau ? – Bin nous, gros bêta. – C’est qu’il est nombreux c’tannée. – Combien d’têtes ? – Une bonne centaine. – Allez, sois tranquille. Si y’en a une qui manque, même une seule, on ira la r’chercher et on t’la ramèn’ra sur nos épaules. Toi, va garder l’entrée d’la crèche et sois en paix. »

Voilà pourquoi il est là, juste à l’entrée, un coup regardant à l’intérieur, un coup regardant dans la nuit pour accueillir les futurs visiteurs. En attendant, il lit et relit l’édit de César pour bien s’en pénétrer : cette nuit-là, bien que ce soit une grande fête, pas de rassemblement de plus de trente personnes pour les lieux de culte, qu’ils soient grands ou petits. L’édit est strict et ne prévoit aucune exception.

Aucune ?
Aucune !

Bien sûr, ça ne concerne pas les animaux. Mais, pour plus de sûreté, notre berger-portier a demandé à Joseph d’éloigner le bœuf et l’âne qui se tiennent sagement tout au fond.

« Bonjour, berger. – Ah, vous voilà les premiers ! – Oui, on a fait vite ; on est partis tôt hier de Nazareth. – Eh bien, entrez donc au chaud. Puisque vous êtes en famille, vous pouvez rester les uns près des autres. Mais gardez quand même vos masques, on ne sait jamais. »

Un berger arrive. « Salut collègue.  J’te connais pas. D’où c’est qu’ tu viens avec ton agneau ? – Des chênes de Mambré, là où c’que Moïse il a vu le Seigneur qu’a promis un fils à Sara qui pouvait point enfanter. – Oui, j’me souviens. Entre, et place-toi sur la gauche, là où s’ront tous les aut’ bergers avec toi si y’en a qui viendront. »

Oui, les bergers à gauche, bien sûr,  parce que les places de droite, les places d’honneur, sont réservées aux Mages. Ils ont fait savoir qu’ils viendraient. A trois. Ils ont promis de laisser leurs servants, leurs chameliers, leurs majordomes, leurs secrétaires, etc., dehors, car ils connaissent l’édit de César. D’ailleurs, les voilà : notre berger-portier a discerné, au loin, la scintillante caravane qui avance dans la nuit au pas ondulant des dromadaires. Les trois Mages entrent dignement et s’installent. Le portier n’ose pas leur rappeler qu’ils doivent, comme tout le monde, porter leur masque.

Ça commence à faire du monde, là-dedans !
Plusieurs invités arrivent en même temps. Il y a là le prêtre Zacharie qui vient de terminer son office au Temple, sa femme Elisabeth qui tient dans ses bras son fils nouveau-né, le petit Jean.
Le vieillard Siméon s’est excusé : il a attrapé une bonne bronchite ; comme il est une personne à risque, il ne sort pas de chez lui. Il a écrit un petit mot : « Dans huit jours, je serai rétabli et j’attendrai l’Enfant et ses parents dans la cour du Temple. » Bon, se dit le berger-portier, ça fait une place de libérée.
Arrivent, juste à ce moment, des voisins qu’on n’attendait pas ; ils ont été alertés par les anges qui répètent leurs chants. Comme ils avaient fini leurs courses à Bethléem où les commerçants ont ouvert leurs magasins, ils s’étaient dit qu’ils avaient le temps de faire un petit détour, comme ça, par curiosité, jusqu’à la crèche.
« Entrez, entrez bonnes gens. Il y a encore de la place, juste devant le bœuf et l’âne. Comme ça, vous aurez bien chaud. »
Un bruit dans la nuit, beaucoup de voix enfantines, des rires, des chants : toute une classe de Bethléem qui est en vacances. Ils arrivaient en bousculade, derrière leur jeune institutrice. « On peut entrer ? – Oui, oui, bien sûr, mais ne faites pas de bruit. Et donnez-moi votre ballon de foot : je vous le rendrai quand vous ressortirez. »
Le berger-portier se dit en lui-même : si les enfants ne peuvent pas entrer, qui le peut ?
Les anges ont fini de répéter leurs chants; ils ont eu du mal à cause des diverses voix et des trompettes, mais tout va bien : le « Gloire à Dieu » est au point, ainsi que le « Minuit chrétiens ». Leurs délégués entrent, l’archange Gabriel tout sourire en tête, lui qui avait annoncé à Marie, il y a neuf mois, la naissance de son fils.

Tout est donc prêt.
Le berger-portier se penche à l’entrée de la grotte et, par acquit de conscience, respectant l’ordre de César, compte les présents :
Marie et Joseph, deux.
La famille arrivée en premier : cinq
Le berger de Mambré : un
Les Mages : trois, et Zacharie, Elisabeth et Jean, et les voisins, et les enfants, et puis les Anges. Vingt neuf !
« Vingt- neuf, clame joyeusement le berger-portier. Et trente avec moi. L’édit de César est respecté ! »     

 « Mais alors… mais alors … » dit l’archange Gabriel en pâlissant.
« Mais alors … » et il recompte l’assistance.
« Mais alors … » et il jette son regard sur Marie qui attendait.
« Mais alors … on ne peut pas accueillir Jésus ! »

Consternation ! Temps suspendu !
Silence chez les anges au plus haut des cieux !
Etoiles qui se ferment les unes après les autres !
Neige qui commence à fondre en pleurant !
Larmes dans les yeux de Marie !
Aucune exception a dit César.
On est trente ; on ne peut accueillir Jésus !

« Ave César », dit une rude voix à l’extérieur.
Trente regards se tournent vers la voix : un soldat romain se tient sur le seuil.
« Le gouverneur Quirinius, de la part du divin César, annonce que l’édit est modifié. – César renonce à son édit ? dit un des Mages – César ne renonce jamais. Il précise, il fait évoluer ses édits. – Bien, dit un autre Mage. Mais que dit alors cet édit modifié ? – Les nuits du 24 et du 31 décembre sont libres de toute contrainte. »

« Mais alors … mais alors … » balbutie l’archange Gabriel, souriant de nouveau.

Alors Marie mit au monde son fils premier-né.  

 

sdr

5 réflexions sur « Conte de Noël en temps de pandémie »

  1. Très agréable à lire avec imagination, surtout quand on connaît bien les lieux!
    En avant vers Noël !!!!!

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