Homelie du 23 avril 2023   3ème dimanche de Pâques

Par le Père Jean Paul Cazes 

Actes des Apôtres 2,14+22b-33     Psaume 15     2P 1,17-21     Lc 24,13-35

 

« Le même jour, dit notre évangile, c’est-à-dire le premier jour de la semaine », le dimanche, le jour de la résurrection du Christ. Nous avons fait du dimanche le dernier jour de la semaine, le weekend, alors qu’il est le premier, le jour du renouveau, le jour de la vie qui triomphe de la mort.

Deux des disciples, qui étaient probablement présents lors de la dernière Cène, et qui ont vu tout ce qui s’est passé depuis, quittent Jérusalem, cœur de la foi juive. Symboliquement, ils quittent leur foi, comme beaucoup de nos contemporains ; ils se dirigent vers l’ouest, vers le soleil couchant ; ils quittent aussi leur espérance : « Nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël ».On est probablement en milieu de journée; ils marcheront ainsi jusqu’au moment où le jour baisse.

Or, ils vont vivre le jour le plus extraordinaire de leur vie. Le Christ marche auprès d’eux mais ils ne le reconnaissent pas. Souvent on se demande pourquoi Cléophas et son compagnon n’ont pas reconnu Jésus. J’ignore la réponse exacte, mais je fais appel à notre expérience. Combien de fois, nous non plus, n’avons-nous pas reconnu Jésus présent dans notre vie ? Combien de fois, plongés dans nos difficultés et nos problèmes, n’avons-nous pas ressenti comme une absence de sa part alors qu’il marchait à nos côtés ?

Les deux disciples accumulent les signes de la résurrection sans pour autant percevoir la présence du Ressuscité. Ils citent les femmes qui sont allées au tombeau dès le matin ; ils citent les anges ; ils citent certains de leurs compagnons – certainement Pierre et Jean – et, malgré tous ces témoignages, leurs yeux restent fermés : ils ne reconnaissent pas Jésus ressuscité à leurs côtés. Une des raisons de leur cécité est probablement qu’ils s’étaient fait beaucoup d’idées sur ce que devait accomplir le Messie, justement comme délivrer Israël de la présence des romains. Comme nous lorsque nous enjoignons à Dieu d’accomplir telle guérison, de rétablir la paix dans un ménage ou entre pays en guerre, et que rien ne se passe comme nous voudrions que cela se passe. Alors, nous pleurons : « Où es-tu Seigneur ? Ne me laisse pas seul ! » Nous voudrions tellement que Dieu fasse ce que nous voulons ; nous avons tant de mal à voir qu’il fait autrement et tellement mieux !

Quelles sont les lunettes que nous suggère Jésus pour guérir notre cécité ? D’abord, notre intelligence. Je ne parle pas ici de QI, de quotient intellectuel. Je ne parle pas de diplômes et de connaissance de l’hébreu, du grec et du latin. Je parle de cette connivence que chacun de nous peut avoir avec l’Ecriture en la fréquentant de façon habituelle, ne serait-ce qu’ à travers les textes de chaque jour. Oui, l’Ecriture est difficile à comprendre, mais elle est d’autant plus difficile qu’elle est peu lue. Il en va de l’Ecriture comme d’une personne. Plus on fréquente quelqu’un, plus on partage sa vie et ses préoccupations, mieux on le connaît. Les premières lunettes que Jésus lui-même nous recommande est la lecture humble mais opiniâtre de l’Ecriture. Sinon, nous risquons, nous aussi, d’être des esprits sans intelligence, lents à croire tout ce que Matthieu, Marc, Luc et Jean ont écrit pour affermir notre foi.

Les secondes lunettes sont à l’évidence le partage du pain eucharistiquedont le récit d’aujourd’hui est un témoignage. Vous avez discerné, à l’écoute de cet évangile, la structure fondamentale de la messe que nous célébrons en ce moment : le temps de la Parole, durant lequel le Christ lui-même interprète l’Ecriture, puis le temps de l’Eucharistie pendant lequel, comme lors de la Cène, le Christ rompt le pain et le donne. Comme pour l’Ecriture, c’est la fréquentation assidue de la messe, et des autres sacrements, qui nous permet de comprendre le sens de ces gestes, non seulement avec notre intelligence, mais aussi avec le cœur.

« Alors leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent. » La messe n’est pas un acte magique ; c’est un acte pédagogique. Comme un bon instit, elle nous apprend peu à peu, à découvrir la présence du ressuscité dans la vie quotidienne comme il est présent dans la réalité eucharistique. Elle nous apprend à écouter avec attention les Ecritures ; elle nous apprend à découvrir le Christ vivant dans de très humbles réalités comme le pain et le vin ; elle nous apprend à devenir nous-mêmes nourriture pour autrui comme le Christ est nourriture pour nous ; elle nous apprend à pardonner comme le Christ nous pardonne. Elle nous apprend à témoigner du Christ auprès de nos familles, de nos amis, même si notre témoignage n’est pas reçu. Elle nous redonne foi et espérance : « A l’instant même ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem » pour découvrir qu’ils ne sont pas seuls à croire, alors qu’ils se sentaient si seuls dans leur tristesse.

Non, nous ne sommes pas seuls à croire : les baptisés de Pâques nous le disent, eux qui ont ouvert les yeux. Nous sommes l’Eglise du Christ, cette Eglise qui, malgré ses défaillances et ses fautes, se lève encore et encore pour affirmer : « Le Christ est ressuscité ; en vérité, il est ressuscité ! »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Homelie du 2 avril 2023    Dimanche des Rameaux   Année A

 

Isaïe  50, 4-7     Psaume 21     Ph 2,6-11     Mt 24,14 – 27,66

Par le Père Jean Paul Cazes

Nous sommes venus, ce matin, avec nos soucis, nos problèmes, nos peurs et nos questions. Nous sommes venus trouver un peu de réconfort, et nous avons raison.

Le Dieu que nous acclamons avec nos rameaux n’est pas un Dieu de colère mais de miséricorde. Il n’est pas un Dieu de vengeance, mais de pardon. Il n’est pas du côté de la mort mais de la vie.

Si quelqu’un d’entre nous pense venir adorer Jupiter, il se trompe : qu’il change son regard, qu’il se convertisse. Si quelqu’un d’entre nous a peur de Dieu, il se trompe : qu’il change son regard, qu’il se convertisse.

Nous sommes venus chercher des rameaux. C’est une bonne chose ; ils vont nous accompagner durant toute une année en étant accrochés à un crucifix, ou à une image, ou au-dessus d’une porte. Ils seront là non pas parce qu’ils portent bonheur car, par eux-mêmes, ils ne peuvent rien ; ce ne sont même pas des plantes médicinales. Par contre, ils seront là pour nous rappeler en quel Dieu nous croyons. Ils seront là pour nous rappeler que Dieu, par Jésus-Christ, se donne à nous. Jésus-Christ fait toujours le premier pas : il vient toujours vers nous, il se donne à chacun de nous, il donne sa vie, il donne sa présence. En réponse, il attend de nous que nous agissions de la même manière entre nous. Il attend que nous acceptions de nous pardonner, de nous respecter, de nous entraider. En un mot : de nous aimer. Non pas en nous embrassant d’une manière superficielle, mais en donnant notre vie les uns pour les autres.

Surtout, si vous n’êtes pas d’accord – et c’est votre droit – ne prenez pas de rameaux ; leur présence muette vous rappellerait trop le Dieu d’amour et de pardon auquel nous sommes tous appelés à nous convertir.

Mais, si vous êtes venus ce matin en espérant trouver un peu de réconfort au milieu de vos soucis, de vos problèmes, de vos peurs et de vos questions, alors, partez en paix avec vos rameaux, et que le Dieu de miséricorde vous accompagne tout au long de l’année.

Homélie du 19 mars 2023   4ème dimanche de Carême  Année A

Par le Père Jean Paul Cazes

1 S 16 ,1b +6-7+10-13a     Ps 22(23)     Ep 5,8-14     Jn 9,1-41

 

Les tentations de Jésus ouvrent le Carême. Elles nous rappellent que ces quarante jours sont une période de combat. Mais trop souvent nous réduisons le sens et la valeur de ce combat. Il tourne autour de résolutions que nous avons du mal à suivre ; il tourne autour d’efforts et de sacrifices que nous reprenons chaque année sans parvenir à les appliquer.

Oui, le Carême est vraiment un combat, mais un combat dont le but est de voir enfin la beauté du Seigneur et la nôtre. Voilà pourquoi le second dimanche de Carême est celui de la Transfiguration. Les yeux de Pierre, de Jacques et de Jean s’ouvrent enfin pour découvrir que Jésus est infiniment plus qu’un grand prophète : il est le Verbe de Dieu fait chair. Les trois apôtres découvrent enfin la beauté du Christ, cette beauté qu’il nous offre dans le baptême : l’eau de la femme de Samarie est notre troisième dimanche de Carême.

Au lieu d’un combat étriqué autour de la suppression d’un carré de chocolat, le Carême est le merveilleux combat de l’ouverture de nos yeux pour qu’ils voient vraiment la beauté du Christ et la nôtre. Comme les apôtres, nous sommes des aveugles de naissance. Notre nature humaine, par elle-même, est incapable de voir que Dieu est beau et qu’il nous offre de partager sa beauté. Par nous-mêmes, nous sommes capables d’imaginer un Dieu de colère et de vengeance. Mais, par nous-mêmes, nous sommes incapables de concevoir unDieu qui soit uniquement amour, un Dieu qui pardonne. Nous sommes des aveugles de naissance; notre nature est trop limitée pour atteindre Dieu tel qu’il est.

Par la foi, le baptême nous ouvre les yeux. C’est par le baptême que nous pouvons enfin voir la beauté de Dieu, comme les apôtres l’ont vue lors de la Transfiguration. Le sens du combat du Carême consiste à garder les yeux ouverts. Chaque jour, il nous faut renouveler notre baptême, réouvrir les yeux sur les merveilles que le Seigneur produit dans notre vie et dans la vie de l’Eglise et du monde. C’est un vrai combat que de garder les yeux ouverts sur la beauté de Dieu, alors qu’ils sont si fascinés par la violence et par la haine. Certes, un chrétien n’est pas naïf : il connaît cette laideur, il doit la combattre parce qu’il croit qu’elle ne peut avoir le dernier mot. Il croit ce que Paul écrit aux chrétiens d’Ephèse : Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera.

Si le Carême est un combat, c’est ce combat là qu’il faut mener jusqu’à Pâques.

 

 

Homélie du 12 mars 2023   3ème dimanche de Carême   Année A 

Exode 17,3-7     Psaume 94     Romains 5,1-2+5-8     Jean 4,5-42

Vous connaissez la succession des évangiles du dimanche de l’année A : d’abord, les tentations de Jésus ; puis la Transfiguration ; suivent la samaritaine, comme aujourd’hui ; puis la guérison de l’aveugle-né ; et enfin la résurrection de Lazare. Qu’est-ce que cela nous dit du carême ?

Le Carême est un combat contre le mal à la suite du Christ. Mais le présenter uniquement comme un combat contre le péché en réduit le sens. C’est un combat en vue de retrouver notre beauté spirituelle. Le Carême n’est pas seulement un combat « contre », un combat en « vue de ». C’est un combat pour être transfiguré comme le Christ et avec lui. Car nous sommes fondamentalement beaux ; les péchés nous abiment, mais en surface seulement. Au plus profond de nous-mêmes réside la beauté qui nous a été donnée au Baptême : c’est ce qu’écrit Paul aux chrétiens de Rome quand il dit que nous sommes devenus justes par la foi et que nous avons l’espérance d’avoir part à la gloire de Dieu, à la beauté de Dieu. C’est cette même beauté qui va être donnée, par grâce, à nos amis catéchumènes, par les sacrements de la nuit de Pâques.

Pour accéder à notre beauté spirituelle dans le combat du Carême, des armes nous sont données : l’eau et la lumière. Durant la nuit pascale, nos amis catéchumènes recevront l’eau du baptême, la lumière de la confirmation pour communier au pain eucharistique, le pain de la vie.

Aujourd’hui, après la beauté de la Transfiguration de dimanche dernier, de quelle beauté spirituelle nous parle l’évangile de la samaritaine ? Un des moyens de de bien lire l’évangile pour qu’il ne soit pas seulement un texte, mais une parole vivante, c’est de nous identifier à un des personnages. Je ne vous suggère pas de nous identifier à Jésus, ou à la samaritaine ; je vous suggère de vous identifier au puits.

Vous connaissez la beauté d’un puits, non pas d’abord sa beauté physique, avec sa margelle, sa roue qui grince, sa corde et son seau. Non. Je parle de la beauté de ce qu’il incarne. Saint Exupéry le dit à merveille : « Ce qui embellit le désert, dit le Petit Prince, c’est qu’il cache un puits quelque part. » Ce n’est pas le puits qui se donne l’eau à lui-même ; il la reçoit par la pluie ou par infiltration. De même, nous recevons comme un cadeau l’eau du baptême. Et l’eau que nous recevons est faite pour désaltérer. La beauté du puits vient de ce qu’il contient et de ce qu’il donne.  Nous recevons le Christ pour donner le Christ. Notre beauté est d’être des disciples-missionnaires, comme le dit le pape François.

A tous, y compris à moi-même, mais surtout aux amis catéchumènes, je souhaite la beauté du puits, la beauté de celui qui reçoit et qui donne la Vie du Christ. « (Le Petit Prince) but, les yeux fermés. C’était doux comme une fête. Cette eau était bien autre chose qu’un aliment…Elle était bonne pour le cœur, comme un cadeau. »

Homélie du 26 février 2023    1er dimanche de Carême   Année A

Genèse 2,7-9 ; 3,1-7a     Ps 50    Romains 5,12-19     Matthieu 4,1-11

par le Père Jean Paul Cazes 

Quarante jour pour nous tourner vers Dieu ! C’est beaucoup et peu à la fois.

Quarante jours pour l’accueillir, Lui, et l’accepter comme le pivot de notre vie !

Bien sûr, il a une place dans notre vie, dans la vôtre comme dans la mienne. Mais le problème est bien là : on lui donne sa place, petite ou grande ; mais, en dehors de cette place, on fait tout sans lui. Un peu comme ceux qui viendraient, honnêtement, à la messe et qui, la messe terminée, vivraient leur vie sans aucun lien avec l’évangile.

Alors, quarante jours nous sont offerts pour nous permettre de découvrir que sans le Seigneur notre vie serait totalement différente. Je précise tout de suite ce que j’entends par « différente » en prenant un exemple que je pense vous avoir déjà donné. Un fiancé m’a dit un jour : Nous nous aimons, ma fiancée et moi. Avant, j’allais au travail, je payais mes impôts, je faisais du sport ; aujourd’hui, je vais au travail, je paye mes impôts, je fais du sport : rien n’est changé mais tout est différent.

C’est de cette différence-là dont je veux parler.

Croire dans le Seigneur Jésus-Christ, ne changera pas nos impôts, nos problèmes financiers, nos difficultés de santé, notre appréciation de l’action gouvernementale, notre anxiété face à la guerre en Ukraine... Notre foi ne changera pas cela, mais elle nous fait regarder tout cela d’une manière différente. Il ne s’agit pas de donner au Seigneur une place déterminée au milieu de nos activités, une place en dehors de laquelle il n’aurait, pour ainsi dire, pas moyen de sortir. Il s’agit par contre de colorer toutes nos activités avec le Seigneur, comme, au Moyen-Age, un chevalier se revêtait des couleurs de sa dame. La conversion n’est pas fondamentalement une question de quantité (dire plus de prières, aller plus souvent à la messe, donner plus aux mouvements caritatifs, même si toutes ces choses sont excellentes) ; c’est une question de coloration de toute notre vie. Ne rien changer, mais tout transformer, tout transfigurer.

Au bout de quarante jours, le Christ avait faim et soif, première tentation : il est vraiment un être humain, soumis aux exigences de la vie biologique, comme nous. Il a senti, comme nous, seconde tentation, le besoin d’être reconnu : n’est-ce pas pour nous sauver qu’il a partagé notre existence ? Il a senti aussi, troisième tentation, que le pouvoir lui était nécessaire, comme à nous, pour accomplir son œuvre.

Les besoins qu’il a ressentis sont les nôtres. Nous avons faim de pain, qu’il soit matériel ou spirituel ; nous avons faim de reconnaissance dans nos engagements comme dans notre propre famille; et, sans vouloir devenir chefs d’état, nous avons besoin d’un minimum de pouvoir pour accomplir notre devoir d’état. Tout cela, nous pouvons le vivre comme n’importe quel homme à peu près civilisé ; nous pouvons aussi le vivre comme un chrétien.

La tentation de Jésus a été d’employer pour lui-même la puissance qu’il a reçue pour nous. Or, il n’est pas venu dans ce monde pour se servir lui-même, mais pour nous servir et servir son Père. Alors, tous ses besoins de faim, de reconnaissance et de pouvoir, au lieu de les tourner vers lui, il les a tournés vers son Père. C’est ainsi que se termine la troisième tentation : « C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte. »

Ne rien changer dans notre vie (sauf ce qui est contraire à l’évangile, évidemment), mais tout orienter vers le Père, dans l’Esprit de Jésus.

Tout transfigurer, tout orienter : c’est la description même d’une conversion qui exige un combat perpétuel.

 

Je vous laisse sur une citation de St Augustin que j’ai lue ce matin dans le bréviaire : « (Jésus) pouvait écarter de lui le diable ; mais s’il n’avait pas été tenté, il ne t’aurait pas enseigné, à toi qui dois être soumis à la tentation, comment on remporte la victoire. »

 

 

Homélie du 12 février 2023    6ème dimanche ordinaire    Année A

Ben Sira  15,15-20     Ps 118     1 Co 2,6-10     Mt 5,17-37 (lecture brève)

Par le Père Jean Paul Cazes

Notre Parlement se prépare à modifier – en bien ou en mal – toute une série de lois de grande importance : loi sur les retraites, loi sur l’immigration, loi sur la fin de vie, inscription ou non dans la Constitution d’une liberté laissée aux femmes d’avorter. L’ensemble de nos lois modèle la société française et nous donne, normalement, les éléments qui nous permettent de vivre ensemble sans nous entre-déchirer. On sent bien qu’il est nécessaire de promulguer des lois même si on a le droit de ne pas être d’accord avec telle ou telle loi. Ce qui est vrai pour la société civile est-il vrai pour la société Eglise ?

En d’autres termes, et pour être bref, la miséricorde dont Jésus est le messager et l’acteur peut-elle se passer de lois ? Dans les cas le plus souvent très délicats et douloureux de mésentente familiale, on trouve les lois de l’Eglise en ce qui concerne le remariage et l’impossibilité à recevoir les sacrements. Dans les cas de morale sexuelle, on trouve les lois de l’Eglise en ce qui concerne la difficulté à recevoir les sacrements. Moi qui accompagne le catéchuménat de notre paroisse, je rencontre des personnes qui souhaitent ardemment recevoir le baptême mais dont le style de vie est délicat. Faut-il alors passer au-delà de ces situations et ne tenir compte que du désir de ces personnes à recevoir le baptême ?

Ou autre manière de dire : l’Eglise est-elle du côté des lois, et Jésus du côté de la miséricorde ? Est-ce que les lois et la miséricorde sont opposées ? Est-ce que l’Eglise dénature le message de Jésus en imposant des lois ?

D’une certaine manière, le désir qu’il n’y ait plus de lois, ni dans la société civile, ni dans l’Eglise, vient du désir d’une société harmonieuse, ou toute personne serait intégralement respectée, ou la force serait une servante et non un levier pour écraser autrui Cette société-là est le désir même de Dieu : elle est racontée de manière symbolique dans les récits de la Création avant le premier péché ; elle est promise sous la description de la Jérusalem d’en haut qui nous est donnée dans le livre de l’Apocalypse. Une société d’amour et de respect, où la justice sera pleinement vécue sans lois.

Une justice sans lois : ici-bas, pour l’Eglise comme pour la société, il semble que ce ne soit pas possible. Notre nature humaine est trop marquée par les limites et par le péché pour que nous puissions nous passer de lois. Pour l’Eglise, le problème n’est pas d’ignorer les lois, mais de les conformer sans cesse à la pensée et aux gestes de Jésus. Jésus qui n’est pas seulement le messager de la miséricorde, mais qui est la miséricorde faite chair, ne se détourne jamais de la nécessité de la loi. Le double amour qu’il nous donne – l’amour pour Dieu et l’amour pour le prochain – est présenté par lui comme une loi fondamentale. Ce qui signifie que lui-même n’oppose pas miséricorde et loi puisque ce double amour est une loi.

Je vous ai fait grâce de la lecture complète de l’évangile puisque j’en ai seulement retenu la lecture brève. Dans le verset 17 – que je n’ai donc pas lu – Jésus affirme : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. » Et, ce qui est étonnant, c’est qu’à chaque fois, il a l’air de durcir la Loi de Moïse : « Vous avez appris …Eh bien moi je vous dis… » Et il va jusqu’à affirmer : « Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux. »

Alors, comment nous, chrétiens, dans nos rapports entre nous, dans nos questions de mariage, de vie sexuelle, de justice, de respect de la vie et de tant et tant de questions vitales, devons-nous être encore plus durs que les scribes et les pharisiens ? En ce cas, comment penser la miséricorde ?

Si la miséricorde de Jésus inclut la compréhension, la tendresse, l’écoute, elle s’adresse aux personnes, pas aux actes ; la dureté de Jésus vise les actes, pas la personne. En accueillant la femme adultère, il relève la personne, mais réprouve son adultère et lui demande de ne plus pécher. En demeurant chez Zachée, il restaure sa dignité de fils d’Abraham mais l’aide à changer de vie. La Loi de Moïse, que Jésus n’est pas venu détruire mais mener à son accomplissement – à son épanouissement n’est pas là pour brimer notre liberté ou pour empêcher la miséricorde. Elle est là comme un chemin de choix entre l’eau et le feu, entre la vie et la mort, comme le dit Ben Sira le Sage qui ne fait que reprendre les paroles magnifiques de Moïse dans le livre du Deutéronome : « Vois : je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur, moi qui te commande aujourd’hui d’aimer le Seigneur ton Dieu, de suivre ses chemins, de garder ses commandements, ses lois et ses coutumes. Ainsi tu vivras … et le Seigneur ton Dieu te bénira dans le pays où tu entres pour en prendre possession. » (Dt 30,15-16) Ce pays, c’est bien autre chose que la terre d’Israël : c’est le Royaume de Dieu. Miséricorde et lois sont faits pour faciliter notre accession au Royaume.

 

Il n’est jamais facile, que ce soit pour l’Eglise en général, ou pour chacun de nous en particulier, de lier avec justesse, à la suite du Christ, la miséricorde et les lois ; mais c’est le seul chemin qui nous soit possible avec l’aide de l’Esprit Saint. Pour rester fidèles au Christ, c’est le chemin ardu qu’il faut suivre en Eglise selon la belle phrase de Ben Sira : « Si tu le veux, tu peux observer les commandements, il dépend de ton choix de rester fidèle. »

 

 

 

 

 

 

Homélie du 29 janvier 2023   4ème dimanche  temps ordinaire   Année A

So 2,3 ; 3,12-13     Ps 145     1 Co 1,26-31     Mt 5,1-12a

Par le Père Jean Paul Cazes

Il y a une bonne douzaine d’années, en quittant Rueil, j’ai vécu 10 mois au milieu de personnes souffrant d’un handicap, dans un des foyers de l’Arche, près de Saumur, en pleine campagne. Là, j’ai commencé à apprendre la sagesse des pauvres, la sagesse de ceux qui ne sont ni puissants, ni de haute naissance. J’ai appris, avec eux, à chanter les paroles de Paul : « Ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi. Ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi. »

Pour chanter cela en vérité, il m’a fallu vivre un lent mouvement de conversion, conversion qui n’est d’ailleurs pas achevée. Deux paroles bibliques ont marqué mon chemin. La première m’a été donnée par le psaume 138 qui dit : « C’est toi… qui m’a tissé dans le sein de ma mère. Je reconnais devant toi …l’être étonnant que je suis. ». Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais je sais que j’ai du mal à me reconnaître comme un être étonnant, même pour le Seigneur ; c’est probablement de la fausse humilité. Voilà que, depuis 3 ou 4 mois, je partageais la vie d’une trentaine de personnes souffrant de handicaps mentaux et physiques divers. Je les voyais avec leurs visages déformés, leurs gestes malhabiles, leurs difficultés à parler, leurs raisonnements simplistes. Je commençais à connaître les peurs de celui-là, les blessures d’une autre, les raisons du mutisme d’un troisième. Et le psaume me disait : « Je reconnais devant toi l’être étonnant que je suis. »  Vraiment, ces personnes : étonnantes ? Il m’a fallu du temps pour l’admettre. Et je ne l’ai admis que parce que c’est devant le Seigneur que ces êtres sont étonnants ; moi, j’avais plus de mal que le Seigneur. Mais, je commençais à être apprivoisé. Il faut du temps pour être apprivoisé, dit le renard au Petit Prince. Il faut du temps pour accepter d’être cœur à cœur avec de telles personnes. C’est comme un nouveau langage à apprendre :  celui du cœur. Il devrait être naturel, mais il ne l’est pas. Il a fallu que je l’apprenne au milieu d’eux. Un langage fait de gestes simples et de sourires. Un langage où la foi aussi est toute simple ; j’ai reçu des confessions magnifiques ; j’ai célébré deux baptêmes extraordinaires ainsi que des premières communions remplies de joie. Je parle là de personnes adultes, pas d’enfants. Oui, je vivais au milieu d’êtres étonnants.

Et pourtant, il a fallu que je franchisse une autre marche de conversion, grâce encore, là aussi, à la Bible. Un jour, dans la lettre que Paul écrit aux chrétiens de Philippe, j’ai lu ceci : « avec humilité, considérez les autres comme supérieurs à vous. » (Ph 2, 3) Je me suis battu avec cette phrase des mois durant. Comment reconnaître, non seulement avec humilité, mais en vérité, que ces personnes étaient supérieures à moi ? Moi, j’ai été éduqué par mon père dans le culte de l’intelligence, l’intelligence rationnelle, celle qui avance dans la résolution de problèmes et la mise en œuvre de solutions techniques.

Je me refusais à redire le verset des Philippiens comme un perroquet. Je voulais pouvoir le dire en vérité, mais je n’y parvenais pas.

Il a fallu que l’Esprit Saint s’en mêle. J’ai été invité à partir avec une quinzaine de personnes handicapées vivre une retraite de trois jours dans un monastère près de Bordeaux. Je n’animais pas cette retraite, j’y étais présent seulement pour la vivre avec toutes ces personnes et dire la messe pour elles. J’y ai vécu des expériences extraordinaires, par le langage des gestes et par le regard. Et un jour où j’étais seul dans ma cellule, en train de repasser en moi ce que je vivais par cette retraite, j’ai vu clair, et cette lumière ne m’a pas quitté depuis. J’ai compris quelque chose de tout simple : j’ai compris que nous étions tous supérieurs les uns aux autres, et que cette supériorité n’était pas là pour écraser les autres mais pour servir. La supériorité des personnes au milieu desquelles j’avais le bonheur de vivre était celle du cœur, cette fraîcheur qui ne juge pas, cette spontanéité qui sait accueillir. Je vivais au milieu des Béatitudes, mais il m’a fallu un long temps, et une bonne dose d’Esprit Saint pour le découvrir.

Je précise : ce n’est pas parce que ces personnes souffrent d’un handicap qu’elles sont parfaites. Comme tout le monde, elles ont besoin de conversion car, comme tout le monde, elles ont des défauts et commettent des péchés. Mais Jean Vanier leur répétait souvent qu’il y a en chacune d’elles une vraie beauté : la beauté des « pauvres de cœur », la beauté des « humbles du pays ». Cette beauté est en chacun de nous, souvent recouverte par de fausses supériorités.

Je souhaite et j’espère que notre prochain Carême soit le moment privilégié pour redécouvrir cette beauté intérieure à la suite de Jésus, doux et humble de cœur.

 

 

Homélie du 15 janvier 2023    2eme dimanche ordinaire   Année A

Isaïe 49, 3+5-6     Ps 39     1 Co 1,1-3     Jn 1,29-34

La liturgie est obligée de condenser en trois mois, entre Noël et Pâques, les trente-trois ans de la vie terrestre de Jésus. A cause de cela, des événements de la vie du Seigneur risquent de passer inaperçus : j’en veux pour preuve la fête de lundi dernier qui, au lendemain de l’Epiphanie, fut celle du Baptême de Jésus. Heureusement, pour compenser cela, les 5 versets de st Jean consacrés à cet événement nous sont donnés aujourd’hui.  

Dans ces versets écrits par l’évangéliste Jean, c’est Jean le Baptiste qui parle. Vous le savez, Jean le Baptiste est le fils de Zacharie et d’Elisabeth, il est le cousin éloigné de Jésus. C’est lui qui raconte ce qu’il a compris lors du baptême de son cousin. Il dit une chose très surprenante; parlant de Jésus, il affirme : « Je ne le connaissais pas. » Ou bien il galèje, ou bien il dit vrai. Lui, ne pas connaître Jésus ? Ce serait vraiment étonnant qu’il ne l’ait jamais rencontré, qu’il n’ait jamais joué avec lui durant leur enfance, qu’ils ne se soient jamais parlé lors de leur adolescence, qu’ils n’aient jamais rien partagé de leurs espérances au seuil de l’âge adulte. En ce sens, Jean-Baptiste connaît Jésus. Mais nous savons, par expérience, que nous pouvons rencontrer mille fois quelqu’un sans le connaître vraiment ; ça arrive souvent même dans les couples.Jean-Baptiste connaissait Jésus avant son baptême, mais il a fallu que Jésus soit baptisé pour que Jean découvre que son cousin était l’Agneau de Dieu.  Le baptême de Jésus fut l’occasion, pour Jean-Baptiste, et pour nous, de découvrir que Jésus est le Fils unique du Père et qu’il est venu pour ôter le péché du monde.

Effectivement, avant que Jésus ne soit baptisé, Jean-Baptiste ne connaissait pas la personnalité de son cousin ni l’ampleur de sa mission. Et voilà qu’à l’occasion de son humble ministère de baptiseur, il découvre que Jésus est le Christ, le Messie attendu.

Si je vous donnais une conférence, il serait intéressant d’aborder plusieurs points suggérés dans ces versets. D’abord, il serait intéressant de voir comment ce passage d’évangile plonge ses racines dans le Premier Testament, par le titre d’Agneau de Dieu qui renvoie à la sortie de l’esclavage d’Egypte, et par la présence de la colombe comme à la fin du déluge.

Il serait intéressant aussi de nous arrêter à la première manifestation de la Sainte Trinité dans l’évangile. Jésus nous est manifesté comme le Fils unique grâce à la présence de l’Esprit et par la voix du Père. Ce n’est pas une Epiphanie, comme dimanche dernier, c’est une théophanie, c’est-à-dire une manifestation de Dieu, « theos » en grec. Lors de la Transfiguration, nous aurons droit à une autre théophanie.

Il serait intéressant, aussi, de voir les points communs et les différences entre le baptême reçu par Jésus et le baptême donné par Jésus. Pour faire vite, je dirai que Jésus a voulu recevoir le baptême donné par son cousin, non pour le pardon de péchés qu’il n’a pas commis, mais pour faire comme les personnes les plus croyantes de son époque. Mais lui nous a donné le baptême total, en nous plongeant dans sa vie, dans sa mort et sa résurrection. Le geste d’eau est le même ; la signification est différente. Ce n’est pas Jean-Baptiste qui sauve, mais Jésus, seul.

Toutes ces questions-là seraient importantes à aborder, mais je préfère vous laisser sur une expression de notre première lecture tirée du prophète Isaïe : « Oui, j’ai de la valeur aux yeux du Seigneur … » Si je comprends le contexte, cette phrase est destinée au peuple juif tout entier : le peuple de la Première Alliance a de la valeur aux yeux du Seigneur, et il l’a toujours.

Mais cette phrase, comment ne pas l’appliquer au Christ lui-même ? Si on poursuit la lecture, on a en effet comme un portrait prémonitoire de la mission du Christ : « Je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. »  Oui, le Christ a de la valeur aux yeux de son Père, il est son Fils bien-aimé. Les gestes, les paroles de Jésus ont de la valeur aux yeux de son Père. La vie, la mort de Jésus ont de la valeur aux yeux de son Père. La prière de Jésus a de la valeur aux yeux de son Père.

Or, cette valeur de Jésus n’est pas là pour appuyer par contraste sur notre misère. Au contraire, elle est là pour nous révéler notre propre valeur. Oui, nous avons-nous aussi de la valeur aux yeux de notre Père. Avons-nous plus ou moins de valeur que Jésus ? Je n’en sais rien. Il ne s’agit pas de comparaison mais de révélation. La valeur de Jésus nous révèle ce que nous valons nous-mêmes aux yeux de notre Père commun. Nous ne valons pas d’abord à cause de nos œuvres ; nous avons de la valeur aux yeux de Dieu parce que Dieu nous aime. Notre valeur, comme celle de jésus, vient fondamentalement de l’amour de notre Père. Toute vie humaine est aimée de Dieu ; il est important de redire cela au moment où nos députés discutent de l’avortement et de l’euthanasie. Si Dieu est sacré pour nous, toute vie humaine est sacrée aux yeux de Dieu.

Comme les chrétiens de Corinthe, dont la vie était loin d’être exemplaire, nous avons été sanctifiés dans le Christ Jésus, par notre baptême, et nous sommes appelés à être saints. Voilà les vœux que nous adresse la Parole de Dieu en ce début d’année.

 

 

 

 

 

Homélie du 8 janvier 2023   EPIPHANIE du SEIGNEUR   Année A

Isaïe 60,1-6     Ps 71     Eph 3,2-3a+5-6     Mt 2,1-12

Par le Père Jean Paul Cazes

Comment ne pas en rester à l’imaginaire pour accueillir vraiment la signification de cette fête ? Ou, autrement dit : est-ce que l’Epiphanie a quelque chose à dire à notre foi d’aujourd’hui, au-delà des rois et des galettes ? Ce qui est ennuyeux, ce n’est pas qu’on imagine que les mages étaient trois, qu’ils étaient rois, qu’ils se nommaient Gaspard, Melkior et Baltazar, toutes choses qui ne sont pas dans l’évangile d’aujourd’hui mais qui ont été rajoutées par la riche imagination de nos ancêtres. Ce qui est ennuyeux, c’est qu’on en reste là et que cette fête, si importante pour les premiers siècles de l’Eglise, ne nous aide pas à vivre plus chrétiennement dans le monde tel qu’il est.

La liturgie a bien senti cette difficulté du passage de l’imaginaire à la signification. Dans quelques instants, après les offrandes, voici la prière que je dirai en votre nom : « Regarde avec bonté, Seigneur, les dons de ton Eglise qui ne t’offre plus ni l’or, ni l’encens, ni la myrrhe, mais celui que ces présents révélaient, qui s’immole et se donne en nourriture : Jésus, le Christ, notre Seigneur. »

Quelle pouvait être la signification de l’Epiphanie pour les premiers chrétiens ? Rappelons-nous : les tout premiers chrétiens étaient juifs ; certains d’entre eux découvraient, en Jésus, le Messie promis à leur peuple depuis longtemps. Mais très vite, grâce en particulier au ministère de Paul, ils ont découvert que ce Messie, ce Sauveur, avait, si je puis dire, une envergure universelle. Jésus n’est pas venu que pour les Juifs, mais tout autant pour les non-juifs, ceux qui étaient païens aux yeux des juifs. Deux découvertes donc : Jésus est le Messie attendu, Jésus est Messie pour tous les peuples. C’est ce que Paul écrit aux chrétiens d’Ephèse et que nous entendons aujourd’hui : « Ce mystère – c’est-à-dire cette réalité de foi – c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse(que le peuple juif), dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Evangile. » J’ai un peu modifié le texte de Paul, j’espère qu’il me le pardonnera. Il utilise le mot « mystère » dans un sens tout à fait différent du sens français ; chez lui, le mot « mystère » veut dire : « une réalité de foi ». Il n’y a rien de caché, mais au contraire, la signification de l’Epiphanie est révélée dans le fait que nous, les peuples non-juifs, les païens, nous entrons, grâce à Jésus et par l’annonce de l’Evangile, dans l’héritage promis au peuple juif.

Ce qui explique que depuis la seconde génération chrétienne la génération des peuples évangélisés par Paul et les autres Apôtres la fête de l’Epiphanie était une merveille : le Messie était venu aussi pour eux. Voilà pourquoi, pendant plusieurs siècles, la fête de l’Epiphanie fut célébrée avec plus de faste que celle de Noël ; d’ailleurs nos frères orthodoxes ont gardé cette coutume, tout en fêtant aussi, bien sûr, la naissance du Sauveur.

Que les mages soient trois ou mille, qu’ils soient rois ou non, qu’ils se nomment Gaspard, Melkior, Baltazar, ou Thibaud, Henri et Yvan, ça n’est pas là l’important. L’important est qu’ils soient païens et qu’ils viennent adorer le roi des Juifs. En eux, les païens devenus chrétiens se sont reconnus.

Au-delà des couronnes et de la galette, quelle peut-être la – ou les valeurs – de l’Epiphanie pour nous, aujourd’hui ?

D’abord une valeur d’action de grâce. Nous sommes depuis trop longtemps chrétiens, ça fait partie de nos habitudes. Il n’est jamais trop tard pour nous réveiller et pour nous émerveiller du don qui nous est fait en Jésus. Pour la plupart, nous sommes issus de peuples païens ; il nous est donné, à nous aussi, et sans mérite de notre part, d’être associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse que le peuple juif. Sans mérite de notre part, il nous est donné de devenir fils et filles de Dieu, de constituer l’Eglise qui est le Corps du Christ, et de recevoir tous les dons du salut. Que de motifs de remerciements ! Et que d’ingratitude souvent de notre part, nous qui savons si mal et si peu remercier notre Père !

Ensuite, une valeur missionnaire. Il n’est pas facile d’évangéliser, ni pour vous, ni pour moi. Mais si nous estimons que la Bonne Nouvelle du salut en Jésus-Christ est valable pour toute l’humanité, comment refuser de la diffuser ? Les peuples dont les mages sont les symboles sont loin de tous connaître Jésus : comment leur faire connaître ? Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que si nous acceptons de le faire, le Seigneur nous donnera les idées et les moyens de le faire. Nous ne pouvons pas garder pour nous une richesse qui appartient de droit à toute l’humanité.

Enfin, une valeur d’accueil et d’écoute. Il existe des païens qu’il faut aller rencontrer. Il y a aussi des païens qui viennent vers Jésus : j’en suis le témoin dans le Catéchuménat de notre paroisse. Et ces païens-là portent en eux d’étonnantes richesses. Ils viennent, eux, les non baptisés, avec leur or, leur encens et leur myrrhe. Les catéchistes et les accompagnateurs du Catéchuménat vous diront tous qu’ils sont eux-mêmes évangélisés par les enfants et les catéchumènes. Car le catéchisme et le Catéchuménat sont bien plus qu’un savoir à déverser : c’est un partage de ce que l’Esprit du Christ répand dans le cœur des baptisés comme dans celui des non-baptisés.

Il y a encore beaucoup à dire au sujet de la valeur de l’Epiphanie. A chacun de nous de découvrir la richesse infinie de ce mystère qui nous révèle que toutes les nations sont associées, avec le peuple de la Première Alliance, au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Evangile.

 

Homélie du 24 décembre 2022     NOËL   

 Par le Père Jean Paul Cazes

Pour composer cette homélie, je me suis demandé ce que j’aimerais qu’on me dise si j’allais, incognito, à la messe de Noël.

Je sais tout ce qu’il faut savoir au sujet de Noël : le recensement, la grotte de Bethléem, la crèche, les bergers, Marie et Joseph, les anges, l’âne et le bœuf. Je sais trop de choses, ce qui m’empêche de m’émerveiller comme si c’était mon premier Noël.

De plus, les nouvelles sont inquiétantes, le présent difficile et l’avenir morose. Fêter Noël relève un peu de l’exploit, ou de la méthode koué : se dire heureux pour essayer de l’être, se souhaiter la paix en espérant que la guerre ne s’étendra pas, s’embrasser – mais de loin puisque certains trains ne roulent pas …Certes, les décorations sont accrochées aux sapins, les cadeaux achetés ; on les ouvrira tout à l’heure ou demain, et les enfants auront le regard que nous devrions tous avoir en adorant Jésus qui vient de naître. Car, s’il est né il y a deux mille ans, il naît à chaque instant dans le cœur de celui qui veut bien l’accueillir. Ce que nous fêtons ce soir n’est pas un simple souvenir : par la foi, nous chantons notre Dieu qui ne cesse de venir jusqu’à nous si, encore une fois, nous voulons bien l’accueillir.

Et pour l’accueillir, pourquoi ne pas être un peu poète ? Je sais que la poésie n’est pas le mode d’expression préféré des français. Nous sommes trop réalistes, et il faut bien l’être en ces temps où les prix flambent alors que le pouvoir d’achat diminue. Mais la vraie poésie n’est pas faite pour nous évader du monde tel qu’il est ; son rôle est de nous aider à voir ce que les chiffres sont incapables de nous montrer. La poésie ne consiste pas à écrire des vers mais elle est un regard qui vient d’une qualité de l’âme, un regard porté sur la vie. Et qu’est-ce que nous offre l’Evangile sinon le regard de Dieu lui-même à travers les yeux de l’Enfant qui vient de naître ? Dieu est le premier des poètes .

La poésie, ce soir, pourrait consister à nous identifier à l’un des personnages de la crèche.

Serions-nous Marie ? Pourquoi pas ? Lorsque nous communierons tout à l’heure, nous porterons vraiment Jésus en nous, comme Marie. Si nous ne croyons pas que Jésus est vraiment présent par le pain et le vin consacrés, ce n’est pas la peine de communier. Mais si nous croyons à sa vraie présence, alors, nous le portons en nous comme Marie.

Ou bien serions-nous comme Joseph ? Il y a quelques années, le Pape a écrit un très beau texte au sujet de Joseph, époux, père, travailleur, juste, éducateur. Il est vénéré comme protecteur de Marie et de Jésus, mais aussi comme protecteur de l’Eglise qui en a vraiment besoin en ce moment. Ne pouvons-nous pas nous identifier à l’un des aspects de la personne de Joseph ?

Ou bien serions-nous comme les bergers ? Ce sont des pauvres ; ils n’ont rien à offrir ; peut-être ont-ils apporté un agneau, un peu de laine, un peu de lait de brebis, mais c’est bien tout. Ils n’ont presque rien à offrir, mais ils sont présents. Si nous connaissons des personnes malades, nous savons combien est précieuse notre présence auprès d’elles. Ne rien offrir, ne rien dire, mais être là. Ne sommes-nous pas les bergers de ce soir ? Ils ont été les premiers à parvenir auprès de Jésus.

Je ne dirai rien de l’âne et du bœuf, mais que de belles choses on peut dire d’eux : la chaleur de leur présence, leur humble utilité. Personne n’est inutile autour de Jésus.

On pourrait parler des anges aussi, eux qui sont comme des ambassadeurs du Seigneur, eux qui le chantent. Mais je terminerai non pas par une personne, mais par une chose. Je terminerai par la mangeoire. Marie a déposé son fils dans une mangeoire. Une mangeoire en pierre ou en bois ? Je l’ignore. Mais une sorte de récipient rempli de paille pour la nourriture des animaux. Pas un de ces berceaux comme celui du Roi de Rome, ou celui d’Henri IV au château de Pau. Pas un berceau pour régner comme les puissants, mais un berceau pour être mangé, un berceau pour nourrir les pauvres. Et si nous étions ce berceau ce soir ? Si c’est en nous que Marie voulait déposer son fils pour l’offrir en nourriture au monde entier ? Et si cela était, qui d’entre nous oserait le refuser ?

 

Gloire à Dieu, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime !