Homelie du 3 novembre 2024      31ème dimanche ordinaire

Par le pere Jean Paul Cazes

Dt 6,2-6   Psaume 17 (18)   Hbx 7,23-28   Mc 12,28b-34

 

Souvent, des enfants, et même des adultes, disent : « Le christianisme est difficile : tous ces dogmes, tout le credo ... » C’est le « ressenti », comme on dit maintenant ; mais est-ce exact ? Le christianisme est tout entier dans ce que Jésus nous dit aujourd’hui : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu …Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Tout est dit, ce n’est pas bien difficile. Ce qui est difficile, ce n’est pas de mémoriser ces deux phrases, mais de les mettre en pratique.

Pour nous, chrétiens, disciples du Christ, le lien entre ces deux phrases est fondamental. On ne peut les séparer. Dans sa première lettre, st Jean écrit que personne ne peut aimer Dieu, qu’il ne voit pas, s’il n’aime pas son frère qu’il voit (1 Jn 4,20) . Vous savez aussi qu’on ne peut pas choisir entre l’attitude de Marthe et celle de Marie : les deux sont indissociables (Lc 10,38-42). Pourquoi ?

Parce que c’est ce que Jésus lui-même a fait. Il n’a jamais séparé l’amour qu’il offrait à son Père de l’amour qu’il nous donne. C’est parce qu’il aime son Père qu’il nous aime ; et c’est en nous aimant jusqu’au bout qu’il honore son Père. En lui, les deux amours se répondent. Si les deux commandements se trouvent dans deux livres différents – le premier dans le Deutéronome (Dt 6,4-5)le second dans le Lévitique (Lv 19,18)– Jésus les rassemble dans une phrase étonnante : « Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. » Ce qui veut dire : il n’y a qu’un seul commandement, et ce commandement est double. Le génie de Jésus, si je puis dire, c’est d’avoir lié définitivement ces deux commandements. Il ne les a pas inventés, ils se trouvent dans la Torah ; mais il les a rassemblés, dans sa pensée comme dans sa vie.

Pour le dire autrement, Jésus divinise l’amour humain et il humanise l’amour que nous offrons à Dieu.

Jésus divinise l’amour humain. Comment cela ? L’amour est dans notre ADN ; c’est par amour que la Création existe. L’amour maternel, si sacré qu’il soit entre un nourrisson et sa mère, se trouve aussi à sa manière dans le règne animal. L’amour est naturel. De cet amour, Jésus en fait l’image de l’amour que Dieu nous porte. La moindre parcelle d’amour, même chez l’homme tombé au plus bas, est signe de la présence de Dieu. Attention donc au regard que nous portons les uns sur les autres. Attention même au regard que nous portons sur nos ennemis ; Jésus n’a pas sauté au cou de Pilate, mais il a donné sa vie à tous les hommes, y compris à Pilate. Nos ennemis, nos adversaires, ont quelque chose de Dieu en eux : comment les regardons-nous ?

Jésus humanise l’amour que nous offrons à Dieu. D’abord parce qu’Il a aimé son Père à la manière d’un homme ; il n’a pas fait semblant d’être homme. Il a aimé son Père par des gestes d’homme, par des paroles d’homme. Ensuite parce que son amour pour son Père est aussi passé par son amour pour les autres hommes. Il n’y a qu’à relire les évangiles pour voir comment Jésus a respecté celles et ceux qu’il croisait, comment il les a écoutés, comment il les a compris, comment il les a guéris, comment il les a sauvés. Et comment il continue de nous sauver. C’est de cette manière qu’il humanise l’amour qu’il porte à son Père. Et c’est de cette manière, à sa suite, que nous pouvons aimer Dieu de tout notre sensibilité, de toute notre aspiration à la vie divine, de toute notre intelligence et même de toutes nos forces physiques.

 

L’amour dont Jésus nous parle est tout autre chose que de la guimauve. L’art des derniers siècles, et même certaines formes de l’art moderne, ne nous aide pas : il est souvent dégoulinant de bons sentiments, de pieuseries niaises : les magasins de Lourdes en sont remplis ! L’amour humano-divin vécu par Jésus est fort et n’a rien d’une atmosphère de bisou-nours. C’est un amour qui est passé par le feu de la Croix. C’est là que l’amour pour Dieu, qui est vertical, croise l’amour pour l’homme qui est horizontal. C’est au croisement des deux que se tient le cœur de Dieu, et c’est là qu’il nous invite à l’imiter.

 

Homelie du 13 octobre 2024     28ème dimanche ordinaire   Année B

Par le pere Jean Paul Cazes

Messe des familles

Sg 7,7-11     Psaume  89     Mc10, 17-30

 

La question centrale de l’évangile d’aujourd’hui est la manière d’acquérir la vie éternelle, cette vie de justice et d‘amour dans laquelle Jésus lui-même est entré depuis sa résurrection. Jésus va dire à ses disciples qu’il est difficile aux riches d’entrer dans cette vie.

Pour éviter une erreur, il faut tout de suite préciser que Jésus est venu sauver les riches comme les pauvres. La lutte des classes n’existe pas dans l’évangile ; elle existe chez Karl Marx que Jésus n’a pas lu. Jésus aime tous les hommes, il est venu leur offrir à tous son amour et la possibilité d’entrer dans sa vie, c’est-à-dire la vie éternelle. Mais il observe qu’il est plus difficile aux riches qu’aux pauvres d’y entrer. Et comme il souhaite que tous accèdent à sa vie, il propose aux riches une chose très simple à dire mais plus difficile à faire : à cause de lui, à cause de notre amour pour lui, quitter nos biens :  « Amen, je vous le dis, nul n’aura quitté à cause de moi et de l’Evangile une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle. »

Alors, là aussi, attention aux mauvaises interprétations. Jésus ne nous demande absolument pas de vivre solitaires et dans le dénuement. Nous ne sommes pas des St François d’Assise. Pour vivre, il nous faut un logement, et ceux qui se battent pour loger les sans-abris font une belle œuvre aux yeux de Dieu. Nous avons tous une famille, et même moi qui n’ai pas fondé de famille, j’ai une famille à laquelle je suis très très attaché ; et ceux qui promeuvent la beauté de la famille font une belle œuvre aux yeux de Dieu ; sinon on ne comprendrait pas que l’Eglise honore la Sainte Famille quelques jours après Noël.  Alors, essayons de bien comprendre ce que souhaite Jésus.

Si on regarde les quatre évangiles avec soin, on s’aperçoit que Jésus bénéficiait de la maison de Pierre à Capharnaüm, de celle de Marthe, de Marie et de Lazare à Béthanie. On s’aperçoit qu’il a vécu dans une famille, qu’il n’a pas rejeté sa mère et qu’il a honoré son père Joseph. Certes, il n’a pas eu d’enfants et n’a pas été propriétaire. Mais alors, si lui-même a bénéficié d’un logement, si lui-même était membre d’une famille, comment le comprendre quand il dit qu’il faut quitter tout cela ? Comme dit notre première lecture, demandons le discernement.

Qu’on soit chrétien ou non, on a besoin d’un logement, on a besoin de moyens de vivre, et il est bon de vivre au milieu d’une famille. Mais la valeur de notre vie ne se mesure pas à la taille de notre maison, ni à notre richesse financière, ni à la puissance de notre famille. Pour nous, chrétiens, la valeur de notre vie se mesure à notre attachement à Jésus-Christ. Voilà pourquoi il dit : « nul n’aura quitté à cause de moi et de l’Evangile … » Le critère d’une vie réussie, c’est notre amour pour lui.

Dans notre première lecture, l’auteur ne nous dit pas qu’il a renoncé à la puissance ; il ne nous dit pas qu’il a renoncé à la lumière ; Il nous dit qu’il a préféré la sagesse et que tous les biens lui sont venus par elle et, par ses mains, une richesse incalculable. Préférer Jésus, ce n’est pas regarder ce qui est humain comme négligeable ou mauvais ; préférer Jésus c’est le prendre comme critère fondamental de la réussite de notre vie. En l’aimant, lui, le premier, nous aimons véritablement nos frères, nos sœurs, nos parents et nos biens matériels.

Notre évangile ne nous dit pas de sortir nus de cette église.  Il nous dit que le critère d’une belle vie, le critère pour aimer saintement nos familles et nos biens et ne pas en faire des absolus, c’est notre amour pour Jésus. Seul Jésus, avec son Père et l’Esprit Saint, est un absolu. Et c’est lui qui nous permet d’entrer dans la vie éternelle et d’y faire entrer ceux que nous aimons.

La bonne question à nous poser aujourd’hui peut être celle-ci : quel est notre vrai trésor ? En y répondant, nous saurons si nous sommes sur le chemin de la vie éternelle à la suite de Jésus.

 

Homelie du 6 octobre 2024   27ème dimanche ordinaire   Année B

par le père Jean Paul Cazes

Gn 2,18-24   Ps 127   Hbx 2,9-11   Mc 10,2-16

 

Ah, le permis et le défendu, comme c’est pratique, comme c’est rassurant ! Les lois humaines fonctionnent de cette manière ; l’état de droit est une bonne chose et il faut le garder et l’entretenir car, normalement, il défend les plus faibles. Le remettre en cause serait d’une gravité exceptionnelle. Il nous dit ce qui est permis et ce qui est défendu ; il précise la morale.

Mais la foi, et en particulier notre foi en Jésus-Christ, est-elle une morale ? Certes, elle contient une morale, mais elle est bien autre chose que cela. Avant d’être une règle, notre foi est une rencontre et un amour. C’est parce qu’il y a un amour partagé que des règles viennent au jour pour défendre cet amour ; ce n’est pas un contrat de mariage qui fait naître l’amour, mais c’est l’amour qui se peut se concrétiser par un contrat. De même, si notre foi reposaitsur tout un code de permis et de défendu, elle ne serait pas foi chrétienne. Notrefoi repose sur une rencontre perpétuelle avec le Christ grâce aux sacrements, à la méditation de la parole de Dieu, à la vie fraternelle. Notre foi chrétienne ne repose pas sur une morale, elle repose sur cette rencontre à renouveler à tout instant ; mais de notre foi sort une morale. Et pour que la morale soit bonne et belle, il faut que notre rencontre avec Jésus-Christ soit perpétuellement renouvelée.

Les pharisiens en sont au niveau du permis et du défendu ; le Christ, dans sa réponse, souhaite les élever à un niveau supérieur : celui du dessin même de Dieu et de son désir pour l’être humain. Voilà pourquoi il les ramène « au commencement », c’est-à-dire non pas au début chronologique, mais au fondement même du désir de Dieu pour l’homme.

Notre merveilleuse première lecture nous parle non pas des premiers moments qui ont suivi le big-bang, mais du désir de Dieu pour l’être humain, ce désir qui est toujours d’actualité en 2024.

Dans le livre de la Genèse, on peut lire deux récits successifs de création. Vous connaissez quasiment par cœur le premier récit, il est lu lors de la nuit pascale : « Il y eut un soir, il y eut un matin … » Le second récit est au chapitre deux ; nous en avons un extrait aujourd’hui. Une des difficultés de ce passage est une difficulté de traduction. En français, le mot homme signifie soit l’être humain en général – c’est pourquoi, mesdames, vous êtes des hommes – soit l’être humain masculin. C’est plutôt ainsi qu’il faudrait lire le texte : « Le Seigneur Dieu dit : « Il n’est pas bon que l’être humain soit seul. » Aucun des animaux auxquels l’être humain donne des noms, ne peut correspondre à ce désir de l’être humain. Alors, c’est du côté de l’être humain que Dieu va façonner un second être. Comme dans le chapitre premier, Dieu a séparé le continent d’avec l’amas des eaux, et qu’il leur a donné un nom – terre et mer – de même, il tire un second être du premier ; il les sépare, non pour les opposer,mais, au contraire, pour leur permettre d’entrer en relation. C’est à partir de ce moment-là qu’il leur donne leur identité particulière : Ish, qui veut dire l’homme masculin, et Isha qui veut dire l’homme féminin. En rigueur de terme, il n’y a pas eu de création de la femme ; il y eut, en premier lieu, création de l’être humain. Dans cet être humain, Dieu créateur a distingué le masculin et le féminin, qui dans leur relation d’égalité et de différence sont la véritable image de Dieu ; tous deux ne font plus qu’un dans la diversité des personnes, et l’unité de leur commune nature. Comme la terre et la mer ne forment qu’un seul astre et comme, surtout, le Père, le Fils et le St Esprit ne forment qu’un seul Dieu par l’unité de leur amour réciproque.

Cette unité divine dans la diversité des personnes, les pharisiens ne peuvent la connaître en s’appuyant uniquement sur la Loi, sur la Torah. Jésus vient nous révéler qui est Dieu, ce Dieu unique dont l’unité vient d’un partage d’un amour absolu. De cet amour absolu, le couple humain en est, fondamentalement, l’image.

Nous sommes bien loin du permis et du défendu. Mais, à ce niveau si fondamental, seul l’Esprit de Dieu peut nous permettre de demeurer et d’en tirer les conséquences comme le fait Jésus : Ainsi ils ne sont plus deux mais une seule chair. C’est le couple qui est l’image de Dieu grâce à la présence et à l’action de l’Esprit Saint.

 

Homelie du 29 septembre 2024    26ème dimanche ordinaire   Année B

29 septembre 2024    26ème dimanche ordinaire   Année B

Nb 11,25-29   Psaume 18 B   Jc 5,1-6   Mc 9, 38-43+45+47-48

St Pierre-St Paul   Dimanche de rentrée paroissiale

 

Ceux et celles qui le pouvaient ont célébré, ce matin, la rentrée paroissiale.

Qu’est-ce qu’une paroisse ? Le catéchisme de l’Eglise catholique définitla paroisse comme une communauté précise de fidèles, constituée de manière stable, et dont la charge est confiée au curé. Elle est le lieu où tous les fidèles peuvent être rassemblés par la célébration dominicale de l’Eucharistie. Elle a plusieurs devoirs : initier à la liturgie, rassembler le peuple chrétien, enseigner le salut et pratiquer la charité du Christ.

Je trouve cette définition très intéressante car elle n’est pas d’abord géographique et territoriale. Elle met l’accent sur la communauté et sur sa centralité : la messe dominicale. Certes, une paroisse est inscrite dans un territoire ; chacune des trois paroisses de Courbevoie s’est vu attribuer ainsi un territoire particulier. Mais celui qui viendrait d’au-delà de ce territoire et qui serait fidèle à la messe dominicale serait un authentique paroissien. D’ailleurs, ce doit être le cas de quelques-uns d’entre vous.

D’une certaine manière, ce qui est vrai pour l’appartenance à la communauté paroissiale est vrai aussi pour la vie de foi. Si la vie de foi est vécue et portée par les baptisés, elle n’est pas réduite au nombre des baptisés. D’ailleurs, il existe malheureusement des baptisés qui ne sont pas croyants. Et il existe aussi des non-baptisés qui sont attirés par la foi en Jésus-Christ. C’est le cas de tous ceux et de toutes celles qui entrent au catéchuménat et qui préparent leur baptême, leur confirmation et leur participation à l’eucharistie. La démarche de foi déborde les limites du peuple de Dieu. Dit d’une autre manière, le domaine de la foi est infiniment plus large que les limites repérables de l’Eglise. Je suis très frappé par ce que dit Jésus à Paul au sujet de Corinthe : « Dans cette ville, un peuple nombreux m’est destiné. » (Ac 18,10) Or, Paul n’a pas encore commencé son ministère à Corinthe que déjà l’Esprit du Christ y est à l’œuvre.

Il me semble que c’est le sens – ou du moins un des sens – des premiers versets de notre évangile : « Celui qui n’est pas contre nous est pour nous. » Et Jésus ajoute : « Celui qui vous donnera un verre d’eau au nom de votre appartenance au Christ, amen, je vous le dis, il ne restera pas sans récompense. » Jésus ne précise pas si celui qui donne un verre d’eau fait partie ou non de sa communauté. Il dit seulement : celui qui vous donnera un verre d’eau, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne, pourvu qu’il vous donne un verre d’eau en reconnaissant que vous, vous êtes de mes disciples.

J’étais hier dans les locaux de st Jean-Baptiste de Neuilly pour participer à ce qui était appelé « Congrès Mission. » Pour faire vite, il s’agissait de montrer toutes les initiatives des paroisses de Levallois, Neuilly et Courbevoie dans le domaine de la Mission. Or, ces initiatives, sont multiples ; elles témoignent de beaucoup de générosité pour annoncer la Bonne Nouvelle du Christ. Car il y a dans ces villes, comme à Corinthe, un peuple nombreux qui est destiné au Christ. On s’imagine souvent que la Mission consiste à semer la parole du Christ sur une terre complètement vierge, et cela fait peur ; voilà pourquoi tant de baptisés se retirent quand on leur parle de Mission. Or, le Christ nous précède toujours dans le cœur des hommes. Le premier laboureur est l’Esprit Saint. Voilà pourquoi tant d’adultes se tournent vers le catéchuménat. Voilà pourquoi nous connaissons tous des personnes dont le style de vie est proche de l’Evangile même s’ils ne sont pas baptisés. La Mission chrétienne consiste à aider les personnes à découvrir celui qui, depuis longtemps, les habite et les oriente vers le bien. Les missionnaires humains, qu’ils soient dans les pays lointains ou dans leur propre famille, viennent en second après l’Esprit du Christ.

La paroisse St Pierre-St Paul est plus vaste que l’ensemble de celles et ceux qui viennent à la messe du dimanche : elle demande à être peu à peu rassemblée autour du Christ, son Pasteur par la prière et le témoignage de chacun de nous.

 

 

 

 

 

Homélie du 22 septembre 2024

22 septembre 2024    25ème dimanche ordinaire   Année B

par le père Jean Paul Cazes

Sg 2,12+17-20   Psaume 53   Jc 3,16-4+3   Mc 9,30-37

 

 

Comment parler de Jésus entre nous et autour de nous ? Car Jésus est le sujet central de notre foi. Le sujet central de notre foi n’est pas la morale, ou la liturgie, ou la hiérarchie... Le sujet central de la foi chrétienne, c’est Jésus. Ce n’est même pas Dieu ; Dieu, on en parle à tort et à travers. Personne ne le connaît, à part Jésus qui nous enseigne et nous ouvre le chemin vers Dieu. On parle trop de Dieu – et mal – et pas assez de Jésus. On parle trop de Dieu aux enfants, et pas assez de Jésus. Mais comment parler de Jésus entre nous et autour de nous ?

L’évangile d’aujourd’hui soulève deux difficultésqui furent celles des disciples et qui sont toujours les nôtres. D’abord celle de la compréhension : les disciples ne comprenaient pas les paroles de Jésus. Pourtant, c’est la seconde fois que Jésus annonce sa Passion et sa résurrection. Non seulement les disciples ne comprennent pas, mais ils ont peurd’interroger le Maître. La seconde difficulté des disciples est qu’ils se trompent de messie ; ils désirent un messie qui libérera Israël de la présence romaine et qui restaurera la dynastie de David ; voilà pourquoi ils se disputent pour savoir qui sera le plus grand dans le futur royaume.

Il n’est pas trop difficile de transposer ces difficultés : nous aussi nous avons du mal à accepter un messie crucifié, et nous hésitons face à la résurrection. Nous aussi nous avons tendance à utiliser la foi à notre profit au lieu de devenir les imitateurs de l’humilité de Jésus.

Comment parler de Jésus entre nous et autour de nous ? Aux difficultés relevées dans l’évangile, nous pouvons ajouter les nôtres. Nous nous estimons insuffisamment formés. Nous avons peur de dire des erreurs et de nous trouver en dehors de la saine doctrine. Nous préférons laisser aux prêtres le soin de parler du Seigneur.  Et puis, sans nous en rendre compte, une mauvaise compréhension de la laïcité nous ferme la bouche ; sous couvert de respecter de l’opinion d’autrui, nous avons peur d’affirmer la nôtre ; pourtant, la laïcité n’est pas le nivellement par le bas, mais la liberté d’exprimer sa foi au milieu des autres positions.

Comment parler de Jésus entre nous et autour de nous ? Nous ne manquons pas de sujets de conversation, tant à l’international qu’à l’intérieur. Et ce n’est pas l’évangile qui nous donnera des solutions pratiques pour éteindre la guerre au Proche Orient ou pour réduire la dette extérieure de la France. Pourtant, quelle lumière avons-nous, nous, chrétiens, sinon la lumière qu’est Jésus lui-même ? N’est-il pas la lumière du monde ? Nous connaîtrions la lumière du monde et nous ne la répandrions pas ? Ce serait aussi criminel que connaître un médicament efficace et ne pas le répandre.

Alors, comment nous aider mutuellement à parler de Jésus entre nous et autour de nous ? Samedi prochain, dans les locaux de St Jean-Baptiste de Neuilly, se tiendra durant l’après-midi une sorte de grande fête de la mission : des ateliers et des stands pour découvrir les mille et une idées des paroisses de Levallois, de Neuilly et de Courbevoie. Et ce qui se passera là se passera dans tout notre diocèse. Moi-même, je tiendrai un stand qui aura comme sujet les liens entre l’art et l’annonce de la foi en Jésus ; je vous y attend. Des indications pratiques seront données à la fin de la messe. Ne manquez pas cet événement qui nous aidera tous à découvrir des possibilités toutes simples pour apprendre à comment parler de Jésus entre nous et autour de nous.

 

 

 

Homelie du 18 août 2024 20ème dimanche ordinaire   Année B

Par le pere Jean Paul Cazes

Pro 9,1-6     Psaume 33     Eph 5,15-20     Jn 6,51-58

 

On oppose très souvent la raison à la foi. La raison est une question de démonstration et des preuves. La foi est du côté des sentiments et du ressenti. Si on applique cette rapide définition à l’évangile d’aujourd’hui, on pourra dira qu’aucune démonstration scientifique ne peut prouver que nous mangeons la chair du Christ et que nous buvons son sang ; il s’agit d’affirmation de foi, de confiance dans la parole du Christ. Et d’une certaine manière, c’est heureux ; car si on pouvait démontrer scientifiquement les affirmations de foi, si on pouvait donner des preuves irréfutables, tout le monde serait obligé de croire ; or, la foi suppose la liberté. Une foi obligée n’est plus la foi.

Donc, d’un côté la raison et la foi de l’autre ; c’est clair. Mais est-ce si exact ? Le merveilleux livre de la Sagesse que je vous conseille de lire en entier (il n’est pas très long) nous dit aujourd’hui : « Quittez l’étourderie et vous vivrez, prenez le chemin de l’intelligence. » De son côté, Paul écrit aux chrétiens de la vielle d’Ephèse : « ne vivez pas comme des fous, mais comme des sages. »Foi et sagesse seraient donc compatibles ? Il faudrait ici reprendre et méditer les enseignements de Jean-Paul II et de Benoît XVI.

Mais enfin, comment comprendre le chapitre 6 de l’évangile selon st Jean qui nous accompagne depuis le 28 juillet et qui sera encore des nôtres dimanche prochain ? Comme il ne peut en aucun cas s’agir d’anthropophagie, la plussimple façon d’accueillir les paroles de Jésus n’est-elle pas d’admettre qu’elles sont symboliques, et uniquement symboliques ? La langue française possède des expressions qui utilisent les mêmes mots que Jésus en leur donnant une valeur symbolique : on parle du corps des pompiers, d’un corps d’armée ; la jeune maman va manger de baisers son nouveau-né ; on boit les paroles d’un bon orateur (et peut-être même celles d’un prêtre, de temps à autre !) Je viens d’essayer de lire un des derniers livres de Michel Onfray. Michel Onfray est philosophe, résolument non croyant. Il a souhaité passer plusieurs jours dans une abbaye. Comme il est cultivé et qu’il écrit bien, son regard sur la vie monastiqueet sur la liturgie est vraiment intéressant. Il comprend tout, il analyse tout comme étant symbolique. Pourquoi pas ? La difficulté c’est que, sans le dire, il oppose le symbolique et le réel, ce qui rejoint notre question de départ au sujet de l’opposition entre foi et raison. En d’autres termes, pour Michel Onfray, ce qui est symbolique peut-être très beau mais n’est pas vrai.

Or nous disons, dans notre foi, que l’eucharistie est la présence réelle du Christ ressuscité. Mais de quelle réalité s’agit-il ? Dans la vie quotidienne, on mesure, on compte, on pèse. Or, Dieu ne peut être ni mesuré, ni compté, ni pesé ; et pourtant il est bien réel, mais il fait partie d’un autre aspect de la réalité. Les sentiments s’approchent de cet autre aspect de la réalité ; même si on dit que l’amour (ou la joie, ou la peur …) est grand ou petit, on ne peut ni le mesurer, ni le compter, ni le peser. Et pourtant lui aussi est bien réel, mais il fait partie d’un autre aspect de la réalité.

Comment, avec sagesse, accueillir les paroles de Jésus ? Réalistes ? mais alors on est en pleine anthropophagie. Symboliques ? Mais alors on leur accorde une sorte de valeur poétique qui n’a rien de réel.

Il faudrait reprendre ici toute la sagesse de nos pères, toute la méditation de l’Eglise, toutes les déclarations conciliaires en ce que concerne l’Eucharistie ; je vais seulement préciser une chose. Pour désigner le pain et le vin consacrés, on parle de la présence réelle ; quand on vient adorer, on sait qu’on est devant la présence réelle du Christ. Mais cette manière de dire est une manière tronquée qui risque de nous conduire sur de mauvais chemins. Notre dogme catholique désigne l’eucharistie comme présence réelle et sacramentelle. Dire seulement « présence réelle » est insuffisant ; car la réalité dont il est question est autre que la réalité physique. Il faut donc préciser de quelle réalité on parle quand on parle de la présence réelle du Christ dans l’eucharistie ; il s’agit d’une présence sacramentelle. Ou bien on pourrait dire : présence réelle de ressuscité, c’est la même chose. Par l’eucharistie, le Christ se donne à nous réellement mais dans sa réalité de ressuscité. Par sa résurrection, Jésus est entré dans la réalité fondamentale, la réalité qui fonde notre réalité actuelle et vers laquelle notre réalité actuelle se dirige lorsque notre monde sera transfiguré. C’est cette réalité-là que Jésus nous offre dans l’eucharistie, et dans les autres sacrements, en attendant de la partager définitivement avec nous dans son royaume.

 

Voilà pourquoi l’évangile de ce matin se termine par l’évocation du royaume ; Jésus affirme : « Celui qui mange ce pain vivra éternellement. » Ni anthropophagie, ni symbolisme désincarné : mais présence réelle et sacramentelle. Là est le chemin de l’intelligence de la foi.

 

 

 

 

Homélie du 30 juin 2024 FETE PAROISSIALE ST PIERRE ST PAUL

par le père Jean Paul Cazes.

Ac 12,1-11 Ps 33(34) 2Tm 4,6-8+17-18 Mt 16,13-19

Célébrer avec toute l’Eglise nos deux saints patrons, ce n’est pas seulement nous souvenir d’eux mais nous inspirer d’eux afin que notre vie paroissiale devienne de plus en plus ce que doit être une paroisse : c’est à dire une communauté de foi en Jésus-Christ qui, par sa foi et sa vie fraternelle, annonce le Christ.

Vous connaissez, en gros, le parcours humain et spirituel de Pierre et de Paul.

Pierre a probablement peu d’éducation, mais il sait gérer sa petite entreprise de pèche. Alors que sa vie est centrée sur le lac de Tibériade Jésus ouvre son horizon restreint et l’envoie comme pécheur d’hommes.

Dans les toutes premières années de la vie de l’Eglise, il lui faudra être libéré plusieurs fois afin qu’il réalise vraiment qu’il est envoyé pour répandre la Bonne Nouvelle dans le monde entier. L’épisode de notre première lecture, qui est représentée par un des tableaux qui ornent le chœur de notre église, montre Pierre en prison, libéré par l’ange. Pierre doit être libéré de sa prison physique mais aussi de ses a priori ; il doit découvrir que la Bonne Nouvelle est o0erte par le Christ à tous les

hommes et non seulement aux juifs de naissance ; il doit découvrir que le baptême est offert à tous, qu’ils soient juifs ou romains, car Dieu ne fait pas de différence entre les hommes. Il devra mener une difficile lutte intérieure pour passer de son régionalisme juif à l’universalité de l’Eglise voulue par le Christ. Il n’est pas facile d’avoir un cœur universel ; pourtant, l’Eglise fondée par Jésus est universelle par naissance, ce que nous traduisons par « catholique ». Voilà quel est le ministère de Pierre et de ses successeurs : rassembler dans l’unité de leur diversité tous les peuples pour leur annoncer l’évangile du salut, ces peuples qui sont déjà présents le jour de la Pentecôte : Parthes, Mèdes, Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, etc. La liste complète est au chapitre 2 des Actes des Apôtres.

J’en proffite pour vous dire combien je me réjouis de constater que notre assemblée paroissiale est une figure, bien modeste mais réelle, de cette universalité de l’Eglise grâce à la diversité d’origine de ses membres.

Paul, quant à lui, est à l’opposé de Pierre. Juif de naissance, il est aussi citoyen romain par son père. Cultivé, parlant le grec avec aisance, il fait partie de l’élite intellectuelle. Il est pharisien, passionnément attaché à la loi de Moïse qu’il défendra jusqu’au crime contre ceux qui suivent Jésus, un prétendu messie. Il lui faudra le choc du chemin de Damas pour découvrir en même temps le Christ ressuscité et sa propre mission : « Va, c’est au loin, vers les nations païennes, que je vais, moi, t’envoyer » (Ac

Homelie du 16 juin 2024    11ème dimanche du temps ordinaire   Année B

 

Ez 17,22-24   Ps 91   2Co 5,6-10   Mc 4,26-34

Par le pere Jean Paul Cazes

Par deux fois, et même par d’autres paraboles semblables, Jésus annonce le règne de Dieu. Dans les évangiles, on trouve des expressions équivalentes : le règne des cieux, le royaume de Dieu. On trouve aussi le Seigneur sous les aspects d’un roi dans le célèbre passage du chapitre 25 de st Matthieu : « Il placera les brebis à sa droite et les chèvres à sa gauche. Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite … » (etc).

Le règne signifie la manière dont on gouverne ; le royaume signifie le territoire sur lequel on gouverne. Quelle est la manière dont Dieu gouverne, et quelle est l’étendue de son royaume ? Pour aborder ces questions, Jésus ne nous donne pas d’explications ; il nous répond par paraboles. Ici, il nous en livre deux, celle de l’épi, et celle de la graine de moutarde. Toutes deux sont des paraboles de croissance. L’épi germe seul jusqu’à porter du blé ; la graine pousse seule jusqu’à devenir un arbre. Le blé est moissonné, l’arbre abrite les oiseaux.

Mais Jésus ne donne aucune définition ni de la manière dont Dieu gouverne, ni de l’étendue du royaume. Jésus ne nous explique rien, il évoque le règne. Il dit : « Il en est du règne de Dieu, comme d’un homme … » Ou encore : « A qui allons-nous comparer le règne de Dieu … ? Il est comme une graine de moutarde … » Jésus n’est pas un professeur de sciences physiques ; Jésus est un poète.

Il y a quelques jours, le groupe dans lequel je me trouvais me demandait des explications au sujet de l’eucharistie. Cette demande est légitime ; notre intelligence a besoin de comprendre. Mais il y a beaucoup de choses qui ne peuvent pas être mises en équation. Il y a des choses qui sont si vastes et si riches qu’une seule équation est incapable d’en rendre compte : l’amour, par exemple. Les fiancés que nous recevons en vue de leur mariage donnent des raisons pour évoquer leur amour mutuel ; et c’est heureux ; mais leur amour ne se réduit pas aux raisons qu’ils évoquent ; il est infiniment plus vaste et ne pourra jamais, s’il est authentique, être enfermé dans une seule définition.

Notre passage se termine par ces mots : « Jésus expliquait tout à ses disciples en particulier. » Ces explications ne nous sont pas parvenues. Est-ce que ça veut dire que les disciples avaient mauvaise mémoire, ou bien est-ce que ça veut dire que ces explications n’étaient pas nécessaires à notre salut ? Car vous savez bien que les évangiles sont rédigés pour notre salut. Jésus nous aurait-il caché quelque chose d’essentiel ? C’est impossible à croire.

Il faut donc admettre que les images que prend Jésus sont suffisantes pour nous faire non seulement comprendre mais adhérer au règne de Dieu. Encore une fois, il existe des réalités qui ne peuvent être exprimées que par des ressemblances, des images, et non pas par des explications de type scientifique. Jésus lui-même ne s’y risque pas ; il utilise des comparaisons. Il fait œuvre de poète.

Je sais que la poésie a mauvaise réputation, on accuse les poètes de ne pas avoir les pieds sur terre. Mais comment voulez-vous parler de Dieu et des réalités de foi ? Par le moyen d’équations rationnelles ? Je pense, quant à moi, que le langage poétique est mieux adapté pour en parler. Un auteur contemporain écrit : « On range depuis longtemps la poésie du côté … de la verroterie, alors qu’elle est pur et dur cristal… elle touche aux racines mêmes de l’être… » (François CASSINGENA-TREVEDY, Poétique de la théologie, page 17, éd. Ad Solem) Jésus utilise ce langage. Quand je parle de langage poétique, je ne parle pas de vers ou de rimes ; je parle de la puissance des images et des comparaisons. C’est le langage des paraboles. Jésus ne donne aucune définition du règne de Dieu : il l’évoque par un épi de blé et une graine qui croissent tout seuls et produisent du fruit.

Je dis tout cela en pensant particulièrement à nos amis du catéchuménat. Ils sont avides de découvrir et de connaître, et ils ont raison. Mais connaître quelqu’un, en général, et Jésus en particulier, ne passe pas par un ensemble de définitions, même si les définitions ont leur utilité. Connaître Jésus passe par un accompagnement, une suite. Aux deux premiers disciples qui lui demandent : « Maître, où demeures-tu ? » Jésus répond : « Venez, et vous verrez. » (Jn 1,39) Pour connaître Jésus, il faut vivre avec lui, il faut vivre de lui. C’est la grande loi de l’amour valable tout autant pour un amour humain que pour aimer Jésus. Pour comprendre l’enseignement de Jésus, il faut entrer dans sa poésie, c’est-à-dire sa façon de regarder le monde. Je disais tout à l’heure qu’on accuse souvent les poètes de ne pas avoir les pieds sur terre : bien au contraire, les poètes sont ceux qui savent regarder le monde et la vie pour en saisir la richesse et le sens.

Il n’est pas facile de regarder le monde, surtout en ce moment. Mais pensez-vous que c’était plus facile pour Jésus, dans un pays occupé par les romains depuis une centaine d’années, un pays déchiré entre les factions politiques et religieuses ? Jésus sait apercevoir ce qui est petit et qui grandit. Il sait apercevoir ce qui donne de l’espérance. Il sait se réjouir de la ferveur autour des reliques de Ste Thérèse ; il sait se réjouir des visages inconnus qui se sont mêlés à nous pour notre pèlerinage à Lisieux ; il sait se réjouir du nombre de ceux qui suivent l’école d’oraison ; il sait se réjouir de voir celles et ceux qui frappent chaque mois à la porte du catéchuménat ; il sait se réjouir de nos trois amies qui entrent en catéchuménat ce soir et de celles et ceux qui recevront la confirmation demain ; il sait se réjouir des deux jeunes qui ont été ordonnés ce matin dans notre diocèse. Voilà la vraie poésie, voilà le regard posé sur la réalité qui donne à comprendre la croissance du règne de Dieu en notre temps et qui renforce l’espérance.

Oui, le temps de la moisson est arrivé, le temps où les oiseaux peuvent faire leur nid à l’ombre de l’arbre de la foi.

 

 

 

homélie du 12 mai 2024   7ème dimanche de Pâques  année B

Par le père Jean Paul Cazes

Actes 1,15-17+20a.c+26   Psaume 102   1 Jn 4,11-16   Jn 17,11b-19

 

Jésus prie : « Père saint … »

Les Evangiles sont très discrets au sujet du contenu de la prière de Jésus. En revanche, nous en avons ici un magnifique exemple, situé dans le grand discours tenu juste après la Sainte Cène du Jeudi saint. Pour nous, c’est une petite difficulté chronologique : nous venons de fêter l’Ascension et nous nous préparons à fêter la Pentecôte. Le passage d’évangile qui nous est offert aujourd’hui se situe avant la Passion, donc bien avant l’Ascension.

Au seuil de sa Passion, Jésus prie. Nous croyons que Jésus est vraiment Dieu et vraiment homme ; en tant que Dieu, il ne se prie pas lui-même, mais en tant qu’homme, il s’adresse à son Père de qui il tient tout et vers lequel il se prépare à revenir.

Sa prière personnelle est à l’image de celle qu’il a donnée à ses disciples : « Lorsque vous prierez, dites : Notre Père ». Jésus vient du Père ; il a tout reçu du Père, il retourne au Père ; Il est logique qu’il s’adresse au Père.

Il prie le Père mais non pas pour lui-même : il le prie pour nous. Et il utilise trois mots fondamentaux qui donnent une colonne vertébrale à notre vie de disciples-missionnaires : fidélité, unité, vérité.

Si personnellement et communautairement, nous sommes fidèles à Dieu notre Père, si nous construisons entre nous l’unité qui est tout autre chose que l’uniformité et si nous adhérons à la Vérité qui n’est pas une doctrine mais qui est Jésus lui-même, alors nous serons vraiment les artisans du salut du monde. Car c’est de cela dont il s’agit dans cette prière comme dans toute la vie de Jésus : le salut du monde.

Ici, il faut mettre à jour une difficulté de langage. St Jean utilise le mot « monde » au moins dans deux sens différents. D’abord dans un sens très positif lorsque Jésus dit à Nicodème : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils… » (Jn 3,16) Ensuite dans un sens négatif : « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï en premier. » (Jn 15,18) Il faut préciser : ce qui doit être rejeté et combattu, ce n’est pas le monde, mais le prince de ce monde, ou le Mauvais dont parle Jésus ici même ; et les armes pour le combattre sont la fidélité, l’unité et la vérité. S’il faut rejeter le prince de ce monde, il faut convertir le monde.

Voilà pourquoi Jésus ne demande pas au Père de nous retirer du monde mais de nous donner la force de combattre les mauvaises coutumes de ce monde. C’est ce que, dès le début du christianisme, les disciples ont compris. Je tiens à vous citer quelques lignes d’un très ancien document du second siècle de l’Eglise qu’on appelle la lettre à Diognète. « Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les coutumes… Ils habitent les cités grecques et les cités barbares suivant le destin de chacun ; ils se conformant aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et le reste de l’existence, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur manière de vivre. Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens, et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie leur est une terre étrangère. Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés. » On peut trouver la totalité de ce texte extraordinaire sur internet : je ne peux que vous encourager à le chercher.

En ce temps de vote pour le Parlement européen, en ce temps où la guerre gronde aux portes de l’Europe, en Terre sainte et dans bien d’autres lieux du monde, en ce temps où la vie est menacée depuis le sein de la mère jusqu’aux derniers moments, il est bon de se redire que si nous nous conformons aux usages locaux , nous avons à manifester, humblement mais réellement, les lois paradoxales de notre propre manière de vivre. L’auteur de la lettre à Diognète donne comme exemple le fait que les chrétiens du second siècle n’abandonnent pas leurs nouveau-nés à l’encontre des coutumes du moment. L’ancien archevêque de Marseille, Mgr Coffy, disait : « Les croyants ne vivent pas une autre vie que la vie ordinaire, mais ils vivent autrement la vie ordinaire. »

Le Seigneur Jésus n’a pas prié son Père de nous retirer du monde ; comme lui, et avec lui, nous sommes envoyés dans le monde. Seul Jésus est capable de sauver le monde qu’il aime, mais il fait de nous ses collaborateurs pour que nous vivions dans notre monde, le monde de notre époque, en étant liés à lui par la fidélité, l’unité et la vérité, qui sont trois dons de l’Esprit Saint.

 

Telle est la prière de Jésus au seuil de sa Passion.

 

 

 

 

Homélie du 21 avril 2024   4ème dimanche de Pâques   Année B

Par le Père Jean Paul Cazes

Actes 4,8-12   Psaume 117   1 Jean 3,1-2   Jean 10,11-18

L’Eglise tout entière continue de célébrer le Christ mort et ressuscité. Tout au long de ce temps de Pâques, elle met en lumière les richesses de foi contenues dans le mystère pascal. Aujourd’hui, elle s’émerveille devant le Christ véritable Prêtre pour toute l’humanité.

Le Christ mort et ressuscité est le vrai Prêtre car son sacerdoce ne vient pas d’une génération humaine, comme pour les prêtres juifs, mais vient directement de Dieu. Le Christ mort et ressuscité est le vrai Prêtre car il n’offre pas des victimes extérieures à lui-même, comme des victimes animales, mais il s’offre lui-même, par amour pour nous et pour son Père. Le Christ mort et ressuscité n’offre pas de victimes sur l’autel du Temple de Jérusalem mais sur la Croix du Golgotha. Le Christ mort et ressuscité est le vrai grand Prêtre car il s’est offert une fois pour toutes et n’est pas obligé, comme le grand prêtre des Juifs, de réitérer des sacrifices chaque année. Le Christ mort et ressuscité offre le pardon non seulement à Israël mais à tous les hommes de tous les temps et de toutes les cultures. En tout cela, le Christ est l’Unique grand Prêtre dont le sacrifice a trouvé grâce aux yeux du Père.

Voilà pourquoi nous fêtons aujourd’hui le Bon Pasteur, celui qui connaît ses brebis, celui qui veut conduire toutes les brebis, même celles qui sont encore éloignées, celui qui donne librement sa vie par amour. Le Christ mort et ressuscité est l’Unique Grand Prêtre qui nous réconcilie définitivement avec notre Père. Et c’est grâce à lui que nous pouvons célébrer aujourd’hui notre messe, ce culte qui est le sien.

Mais faisons attention aux mots. Le Christ mort et ressuscité est l’Unique GrandPrêtre, ce qui ne veut pas dire le seul. Il est Unique car son sacerdoce vient directement du Père. Mais ce sacerdoce est répandu sur toute son Eglise qui est son peuple sacerdotal. Et, dans ce peuple sacerdotal, des hommes sont appelés à être prêtres. Ils ne sont pas prêtres par nature, mais par grâce. Leur rôle est de rappeler à tous que, tous ensemble, nous sommes le peuple sacerdotal qui offre le vrai sacrifice, celui du Christ. Leur mission est de rappeler à tous que, tous ensemble, nous sommes les témoins des merveilles de Dieu que nous sommeschargés d’annoncer au monde dans lequel nous vivons. Leur présence concrète au milieu des baptisés rappelle que le peuple de Dieu est un peuple de célébrants et de missionnaires.

Voilà pourquoi, en ce dimanche du Bon Pasteur, l’Eglise prie pour les vocations sacerdotales. A ce sujet, j’aurais bien des choses à vous dire au nom de mes 55 ans de ministère. Mais je souhaite privilégier deux questions qu’il faudrait, évidemment, développer bien plus que je ne peux le faire ce soir.

La première est celui du nombre. Nous prions pour que se lèvent des jeunes, ne serait-ce que pour remplacer les prêtres qui meurent. Le discours habituel est de dire que nous manquons de prêtres. C’est relativement faux en région parisienne, mais cruellement vrai en différents lieux de province, et dans beaucoup de régions du monde. Oui, il est nécessaire de prier pour les vocations sacerdotales, et surtout pour la sainteté des prêtres. Pas forcément pour leur nombre. Car, pour le nombre, ils sont suffisants en Ile de France. Ils sont suffisants pour le ministère qu’ils doivent remplir. Sur mes 55 ans de ministère, je fus curé de paroisse 25 ans. Heureusement pour moi, j’ai toujours trouvé, à mes côtés, des hommes et des femmes qui m’ont aidé à faire vivre mes différentes paroisses. Sinon, j’aurais dû passer quasiment la moitié de mon temps à remplir des dossiers, à gérer les fonds, à compter les quêtes, à recevoir les ouvriers …toutes choses qui sont nécessaires mais qui ne font pas partie de la grâce de l’ordination. Pourquoi vouloir plus de prêtres ? Faut-il qu’ils soient PDG ou DRH ? Si oui, la formation du séminaire ne les y prépare pas. Alors, si les communautés paroissiales prenaient les choses en main, en union bien sûr avec leurs prêtres, le nombre actuel des prêtres en région parisienne serait suffisant. Dès les débuts de l’Eglise, la question s’est posée. On trouve cela au chapitre 6 des Actes des Apôtres ; les Douzecherchent dans la première communauté chrétienne des hommes qui s’occuperont ce que nous appellerions aujourd’hui les aspects sociaux de la vie communautaire. « Quant à nous, dit St Pierre, nous continuerons à assurer la prière et le service de la Parole. Et, dit le texte, cette proposition fut agréée par toute l’assemblée. » (Actes 6,4-5) Pour quels services voulons-nous demander des prêtres au Seigneur ?

La seconde question est liée à la première. Où trouver ces nouveaux prêtres ? Je connais des familles chrétiennes qui veulent que se lèvent des vocations mais dans la famille d’à-côté. Comment, dans vos familles, présente-t-on la vocation sacerdotale ? Si on insiste sur le petit salaire des prêtres, si l’on dit qu’on ne peut se marier, si l’on insiste sur le manque d’enfants, si l’on songe aux pauvres prêtres de campagne – et tout cela est vrai, bien sûr, et il ne convient pas d’être naïfs et de le cacher aux jeunes – mais si les familles chrétiennes ne disent que cela, alors je comprends que beaucoup de jeunes n’aient pas envie de donner leur vie au Seigneur Jésus. Toute vocation entraîne des privations, même la vocation au mariage. Mais quand deux amoureux se marient, ils sont entraînés par leur amour, et ils ont raison ; ils ne mettent pas au premier plan leurs futurs problèmes, même s’ils ont eu la sagesse de les évoquer. Parler de la vocation sacerdotale sans orienter les jeunes vers le visage du Christ, c’est se condamner à ne plus faire se lever de vocations. Mais cela pose, en arrière-plan, la question de la place du Christ dans la vie familiale, dans les engagements chrétiens de la famille, dans la qualité de la prière familiale.

 

Demander au Seigneur Jésus des prêtres pour qu’ils s’occupent de bien gérer la vie matérielle de la paroisse et pour multiplier les messes afin que chaque paroissien trouve son horaire sans bousculer son emploi du temps, je ne pense pas que ce soit une prière entenduepar notre Père. Demander des prêtres, dans la famille d’àcôté mais surtout pas dans la sienne, je ne pense pas que ce soit une prière encouragée par le Christ. Alors, quelle peut-être une bonne prière de demande ?

Laissons agir l’Esprit Saint en toute liberté. Pour cela, acceptons de parler avec autant de joie du sacerdoce que du mariage qui sont deux vocations admirables : de cette façon, le jeune aura la liberté de choisir vraiment.

Et, surtout, désirons fermement que le Christ soit un véritable membre de nos familles.