Ha 1,2-3 ; 2,2-4 Ps 94 2Tim 1, 6-8+13-14 Lc 17, 5-10
Par le Père Jean Paul Cazes
Nous sommes en présence d’une des formes de l’humour de Jésus. L’arbre qui se déracine et qui va se planter dans la mer est à mettre en parallèle avec lamontagne qui, dans l’évangile de St Marc, fait la même chose : « si quelqu’un dit à cette montagne « Ote-toi de là et jette-toi dans la mer » et s’il ne doute pas en son cœur, mais croit que ce qu’il dit arrivera, cela lui sera accordé. » (Mc 11,23) En st Marc, il ne faut pas douter ; en st Luc, il suffit d’avoir de la foi gros comme une graine de moutarde, ce qui n’est pas grand-chose. Ni vous ni moi n’avons l’équivalent d’une graine de moutarde de foi dans le cœur, heureusement d’ailleurs, car alors nos plages risqueraient de ressembler à la forêt amazonienne.
Je n’ai pas étudié la question, mais il me semble bien que ces images d‘arbre ou de montagne dans la mer sont des images de l’humour juif. L’humour de Jésus est bien celui de son peuple. Trop souvent, nous nous représentons Jésus grave, solennel. Grave, certes ! Ce qu’il vient nous révéler est nécessaire à notre salut. Grave, évidemment ! Il donne sa vie. Mais ça ne l’empêche pas d’avoir beaucoup d’humour. Il faut apprendre à le voir sourire lorsqu’il raconte plusieurs de ses paraboles ; c’est aujourd’hui le cas.
Les apôtres se sont tournés vers lui pour lui demander : « Augmente ne nous la foi ! » Je ne sais pas sur quel ton ils ont demandé cela. Sur le ton de l’humilité ? Sur celui de la revendication ? De l’amertume ? ou de la simple constatation ? En tous les cas, Jésus leur répond sur le ton de l’humour. Il aurait pu être découragé devant la lenteur à croire de ses apôtres. Il aurait pu les rabrouer, ou se moquer d’eux. Non, il se contente de sourire en leur disant qu’en effet leur foi n’est pas plus grosse qu’une graine de moutarde.
Alors, au lieu de s’amuser à déplacer les forêts, les apôtres sont invités à faire humblement ce qu’ils peuvent faire. Au lieu de rêver de devenir les champions du monde de la foi, Jésus leur demande de mettre en œuvre leur foi telle qu’elle est au moment où ils parlent pour accomplir leur mission. Il faut toujours désirer développer notre foi, c’est évident ; mais il ne faut pas attendre qu’elle soit au top niveau pour la mettre en œuvre. Notre foi est déjà grande ? Tant mieux, elle fera des miracles. Notre foi est encore petite ? Elle peut déjà servir. Comment la développer ? Vous savez que c’est en marchant qu’on apprend à marcher ; c’est en croyant qu’on découvre la foi. « Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir. » Quand j’étais gamin, la traduction disait : « Nous sommes des serviteurs inutiles … ». Le mot à mot grec dit à peu près ceci : « Nous sommes des esclaves non indispensables … » Je pense qu’on pourrait dire : « Nous ne sommes que d’humbles serviteurs … »Que nous soyons de grands mystiques ou de pauvres pécheurs – d’ailleurs, les grands mystiques sont aussi des pécheurs – il y a toujours moyen de servir à la table du Seigneur. Il y a tant à faire. Le serviteur fondamental est le Christ lui-même qui s’est fait serviteur par amour pour son Père et pour nous. Nous, nous sommes les serviteurs du serviteur.
Ayant alors accompli notre devoir avec les forces que nous avons, avec la foi qui est en nous, petite ou grande, nous aurons le bonheur d’entendre le Christ nous dire : « Je ne vous appelle plus serviteurs… ; je vous appelle amis. » (Jn15,15) C’est ainsi que Jésus rejoint le prophète Habacuc qui nous disait il y a quelques instants : « Le juste vivra par sa fidélité. » (Ha 2,4)