Par le père Jean Paul Cazes
Mi 5,1-4a Ps 79 Hbx 10,5-10 Lc 1,39-45
En ce qui concerne le corps humain, notre époque est complètement
désorientée. Jamais notre corps n’a été aussi soigné, adulé, idolâtré. Jamais,
non plus, il n’a été aussi méprisé, torturé, sali, dégradé, avili. Nous savons tous
ce qu’il en est dans l’éducation nationale, dans les milieux sportifs, artistiques,
sanitaires. Et même dans les familles. Nous le savons aussi dans l’Eglise, ou
quelques hommes consacrés au Seigneur ont profité de leur état pour abuser
des jeunes. Notre évêque nous en a dit deux mots dans sa dernière lettre où il a
voulu que soit montrée la statue de l’enfant qui pleure.
Pourtant, une des richesses de notre foi est le regard que Dieu porte sur
notre condition d’êtres humains ; une des richesses du christianisme est
l’incarnation, l’incarnation du Christ et la nôtre. Notre foi ne repose pas sur les
dogmes, elle repose sur un Dieu incarné. Les dogmes sont là pour essayer
d’éclairer la foi, ils sont précieux, mais ils ne sont pas les fondements de la foi
chrétienne. Le fondement de la foi chrétienne, c’est Jésus, « ls de Marie, Fils de
Dieu, mort et ressuscité. Pour parler de ce Dieu incarné, St Jean, dans sa
première lettre, utilise tous nos sens : l’oreille, les yeux, les mains ;
il dit :
«Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie …nous vous l’annonçons … » (1 Jn 1, 1-3)
Et quelques versets plus loin, il ajoute :
« … tout (homme) qui confesse Jésus-Christ venu dans la chair est de Dieu. » (1 Jn 4, 2)
Ce serait une trop longue histoire, et trop complexe, pour dire ici pourquoi les chrétiens, qui sont héritiers d’une si belle réalité, ont laissé cette réalité s’amoindrir, se transformer, jusqu’à mépriser le corps, ce corps qui est créature de Dieu, ce corps dans lequel le Fils de Dieu lui-même est entré :
« En entrant dans ce monde, le Christ dit (à son Père) : Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande (comme pour le culte du Temple de Jérusalem), mais tu m’as formé un corps. » (Hbx 10,5)
Dans ce corps, le Fils de Dieu a connu la mort et la résurrection. Unis à lui par le baptême, nous sommes faits pour la résurrection. Notre corps n’est pas promis à la mort ; la mort est un fait biologique général, pas une promesse ; par contre, notre corps est promis à la résurrection par amour du Créateur et du Rédempteur. Notre corps, pour la foi chrétienne, est bien plus et bien autre chose qu’une simple enveloppe. A tel point que st Paul écrit aux chrétiens de Corinthe que notre corps est le temple du Saint Esprit (1Co 6,19).
Le Christ Jésus est venu sauver l’homme tout entier, pas seulement
son âme. Notre être tout entier est important pour notre Dieu ; sinon, je ne
comprendrais pas pourquoi le mariage est un sacrement.
Toutes ces réalités fantastiques qui nous touchent et, en même temps
nous dépassent, sont comme contenues dans la fraîcheur du visage de Marie.
« En ces jours-là, dit l’évangile, Marie se mit en route rapidement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée. » Regardons-la cette toute jeune fille, cette lumineuse « gamine ».
Elle est toute pleine de joie, je l’imagine en train de danser, de courir. Elle ne tient plus en place. Pourquoi ?
Parce qu’elle vient de recevoir une nouvelle fabuleuse : elle, qui est toute petite ; elle qui habite un village de rien du tout, elle vient de recevoir la visite du Très-Haut ; elle vient de recevoir l’aboutissement de la promesse que son peuple tout entier attendait depuis des siècles ; elle vient de recevoir l’assurance que le Messie de Dieu allait prendre chair de sa chair.
Elle n’a pas reçu une nouvelle loi gravée dans la pierre ; elle n’a pas reçu un nouveau commandement à transmettre aux Grands Prêtres de Jérusalem ; elle n’a pas reçu la révélation d’un dogme.
Elle a reçu l’assurance de la présence en elle d’un petit enfant. Un être de chair va naître de sa chair.
Alors, elle court, elle ne peut garder cela pour elle, il faut qu’elle partage cette nouvelle avec quelqu’un qui peut la comprendre. C’est pourquoi elle se précipite vers sa cousine qui attend, elle aussi, un enfant. Et c’est la merveilleuse rencontre d’une vieille femme stérile et d‘une jeune femme vierge, toutes deux mères.
Si nous en avions le temps, il nous faudrait rester en silence pour admirer la Visitation, comme on admire une œuvre d’art. La Visitation : une des
œuvres d’art de Dieu. Deux femmes qui portent deux enfants, à l’entrée d’une humble maison, dans un paysage de montagne.
Et l’aînée dit à la cadette :
«Le fruit de tes entrailles est béni. »
Elle l’appelle :
« mère de mon Seigneur » ;
elle lui reconnaît la béatitude de la foi qui vient de permettre au Verbe de Dieu de s’incarner.
Et la cadette répond :
« Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon sauveur. »
Et nous qui allons communier dans quelques instants, réjouissons-nous
de nous trouver dans une situation semblable à celle de Marie : nous allons
porter, dans notre corps, le corps ressuscité de notre Seigneur afin de
consolider son corps entier qu’est l’Eglise, pour la gloire de Dieu et le salut du monde.
«Désormais il sera grand jusqu’aux lointains de la terre, et lui-même, il
sera la paix ! » (Mi 5, 4a)