Par le pere Jean Paul Cazes
Pro 9,1-6 Psaume 33 Eph 5,15-20 Jn 6,51-58
On oppose très souvent la raison à la foi. La raison est une question de démonstration et des preuves. La foi est du côté des sentiments et du ressenti. Si on applique cette rapide définition à l’évangile d’aujourd’hui, on pourra dira qu’aucune démonstration scientifique ne peut prouver que nous mangeons la chair du Christ et que nous buvons son sang ; il s’agit d’affirmation de foi, de confiance dans la parole du Christ. Et d’une certaine manière, c’est heureux ; car si on pouvait démontrer scientifiquement les affirmations de foi, si on pouvait donner des preuves irréfutables, tout le monde serait obligé de croire ; or, la foi suppose la liberté. Une foi obligée n’est plus la foi.
Donc, d’un côté la raison et la foi de l’autre ; c’est clair. Mais est-ce si exact ? Le merveilleux livre de la Sagesse que je vous conseille de lire en entier (il n’est pas très long) nous dit aujourd’hui : « Quittez l’étourderie et vous vivrez, prenez le chemin de l’intelligence. » De son côté, Paul écrit aux chrétiens de la vielle d’Ephèse : « ne vivez pas comme des fous, mais comme des sages. »Foi et sagesse seraient donc compatibles ? Il faudrait ici reprendre et méditer les enseignements de Jean-Paul II et de Benoît XVI.
Mais enfin, comment comprendre le chapitre 6 de l’évangile selon st Jean qui nous accompagne depuis le 28 juillet et qui sera encore des nôtres dimanche prochain ? Comme il ne peut en aucun cas s’agir d’anthropophagie, la plussimple façon d’accueillir les paroles de Jésus n’est-elle pas d’admettre qu’elles sont symboliques, et uniquement symboliques ? La langue française possède des expressions qui utilisent les mêmes mots que Jésus en leur donnant une valeur symbolique : on parle du corps des pompiers, d’un corps d’armée ; la jeune maman va manger de baisers son nouveau-né ; on boit les paroles d’un bon orateur (et peut-être même celles d’un prêtre, de temps à autre !) Je viens d’essayer de lire un des derniers livres de Michel Onfray. Michel Onfray est philosophe, résolument non croyant. Il a souhaité passer plusieurs jours dans une abbaye. Comme il est cultivé et qu’il écrit bien, son regard sur la vie monastiqueet sur la liturgie est vraiment intéressant. Il comprend tout, il analyse tout comme étant symbolique. Pourquoi pas ? La difficulté c’est que, sans le dire, il oppose le symbolique et le réel, ce qui rejoint notre question de départ au sujet de l’opposition entre foi et raison. En d’autres termes, pour Michel Onfray, ce qui est symbolique peut-être très beau mais n’est pas vrai.
Or nous disons, dans notre foi, que l’eucharistie est la présence réelle du Christ ressuscité. Mais de quelle réalité s’agit-il ? Dans la vie quotidienne, on mesure, on compte, on pèse. Or, Dieu ne peut être ni mesuré, ni compté, ni pesé ; et pourtant il est bien réel, mais il fait partie d’un autre aspect de la réalité. Les sentiments s’approchent de cet autre aspect de la réalité ; même si on dit que l’amour (ou la joie, ou la peur …) est grand ou petit, on ne peut ni le mesurer, ni le compter, ni le peser. Et pourtant lui aussi est bien réel, mais il fait partie d’un autre aspect de la réalité.
Comment, avec sagesse, accueillir les paroles de Jésus ? Réalistes ? mais alors on est en pleine anthropophagie. Symboliques ? Mais alors on leur accorde une sorte de valeur poétique qui n’a rien de réel.
Il faudrait reprendre ici toute la sagesse de nos pères, toute la méditation de l’Eglise, toutes les déclarations conciliaires en ce que concerne l’Eucharistie ; je vais seulement préciser une chose. Pour désigner le pain et le vin consacrés, on parle de la présence réelle ; quand on vient adorer, on sait qu’on est devant la présence réelle du Christ. Mais cette manière de dire est une manière tronquée qui risque de nous conduire sur de mauvais chemins. Notre dogme catholique désigne l’eucharistie comme présence réelle et sacramentelle. Dire seulement « présence réelle » est insuffisant ; car la réalité dont il est question est autre que la réalité physique. Il faut donc préciser de quelle réalité on parle quand on parle de la présence réelle du Christ dans l’eucharistie ; il s’agit d’une présence sacramentelle. Ou bien on pourrait dire : présence réelle de ressuscité, c’est la même chose. Par l’eucharistie, le Christ se donne à nous réellement mais dans sa réalité de ressuscité. Par sa résurrection, Jésus est entré dans la réalité fondamentale, la réalité qui fonde notre réalité actuelle et vers laquelle notre réalité actuelle se dirige lorsque notre monde sera transfiguré. C’est cette réalité-là que Jésus nous offre dans l’eucharistie, et dans les autres sacrements, en attendant de la partager définitivement avec nous dans son royaume.
Voilà pourquoi l’évangile de ce matin se termine par l’évocation du royaume ; Jésus affirme : « Celui qui mange ce pain vivra éternellement. » Ni anthropophagie, ni symbolisme désincarné : mais présence réelle et sacramentelle. Là est le chemin de l’intelligence de la foi.