Par le pere Jean Paul Cazes
Gn 15, 5-12+17-18 Ps 26(27) Ph 3,17 – 4,1 Lc 9, 28b-36
Commençons par un sourire. Si je vous demandais le nom de la montagne de la Transfiguration, vous diriez tous que c’est le mont Tabor. Pourtant, dans ce que je viens de lire, pas plus de mont Tabor que de mont Blanc. Dans st Matthieu et dans st Marc, il n’est pas nommé non plus. En fait, on ne sait pas avec certitude quelle est la montagne de la Transfiguration. Le mont Tabor ? C’est possible, mais pas certain. Peu importe. Ce que l’on sait, c’est que Jésus monte sur une montagne, et il y en a beaucoup dans son pays. Traditionnellement, symboliquement, la montagne est le lieu privilégié de la rencontre entre Dieu et l’homme : rappelez-vous du Sinaï. Aujourd’hui, en ce temps de Carême, Jésus nous convie à monter avec lui, par la puissance de l’Esprit, à la rencontre de son Père.
Si le Verbe de Dieu s’est incarné, s’il a partagé totalement notre condition humaine, à part le péché, c’est pour nous introduire dans sa divinité. Les grands théologiens chrétiens des premiers siècles osent parler de la divinisation de l’homme. Il ne s’agit pas pour l’homme de devenir dieu à la place de Dieu, mais d’être associé, par grâce, à la nature de Dieu. Je précise : l’homme n’est pas invité à perdre sa nature humaine, mais à découvrir que cette nature atteint sa perfection et sa vraie grandeur en étant divinisée. Très souvent, moi comme vous, devant une faute ou une erreur, nous avons l’habitude de dire : « C’est bien humain. » Nous chrétiens, nous qui croyons en Jésus, homme-Dieu, avons-nous raison de dire que l’erreur, ou la faute, est bien humaine ? Dans la foi, qu’est-ce qui est vraiment humain ? N’est-ce pas plutôt cette divinisation vers laquelle nous emmène Jésus quand il monte sur la montagne avec Pierre, Jean et Jacques ?
La nature humaine que nous avons reçue à la naissance, nous savons l’abimer de mille manières par l’égoïsme, l’orgueil, l’indifférence aux autres, le mauvais amour de soi… Or, Dieu notre Père n’a jamais baissé les bras devant cette constatation. Par son Fils, il veut de tout temps non pas nous faire changer de nature, mais la mener jusqu’à sa vraie grandeur, cette grandeur pour laquelle il l’a créée. La Résurrection n’ajoute rien à la nature humaine du Christ, maiselle révèle la vraie beauté qui est en elle depuis toujours. Le Ressuscité qui est assis à la droite du Père, comme le représente la fresque qui orne le cul de four de notre église, n’a rien perdu de son humanité, au contraire : son humanité n’est plus une humanité blessée comme la nôtre, mais portée à sa beauté ultime. La Transfiguration nous dit comme une espérance qui nous est offerte.
Jésus monte à la rencontre du Père. Toute sa vie humaine est liée au Père mais, aujourd’hui, il veut le manifester pour affermir la foi des apôtres avant la grande douleur de la Passion. Il veut montrer aux apôtres ce qu’il est et ne cesse d’être : celui qui est promis par la Bible symbolisée par Moïse et Elie, celui qui est enveloppé par l’ombre de l’Esprit, celui qui est le Fils choisi, celui que nous sommes invités à écouter. Dans sa Transfiguration, Jésus nous montre qui il est réellement ; il nous montre sa beauté intérieure ; il est lumière, il resplendit. Dans sa Transfiguration, Jésus ne cesse pas d’être un homme ; par contre, il montre à quelle grandeur le Père appelle la nature humaine. Voilà quelle est notre espérance, voilà ce que le Christ nous montre et nous promet dans sa Transfiguration.
En suivant le Christ, notre chemin de Carême est un chemin de transfiguration progressive.
Paul l’a merveilleusement exprimé lorsqu’il écrit aux chrétiens de Philippes : « Nous avons notre citoyenneté dans les cieux, d’où nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus-Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux, avec la puissance active qui le rend même capable de tout mettre sous son pouvoir. » (Ph 3, 20-21)