Homélie du 10 décembre 2023   2ème dimanche de l’Avent   année B

Isaïe 40,1-5+9-11   Psaume 84   2Pierre3,8-14   Marc 1,1-8

Depuis dimanche dernier, nous sommes entrés en Avent par la recommandation du Christ lui-même : « Veillez et priez ». Aujourd’hui nous sont donnés les premiers versets de st Marc : « Commencement de l’Evangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu ». Ou, autrement dit : « Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus, Christ, Fils de Dieu. »

Nous sommes abreuvés de nouvelles. Et surtout de mauvaises nouvelles. Je ne vais pas en dresser la liste, vous la connaissez aussi bien que moi. En plus de ces mauvaises nouvelles, il y a les fake-news, les fausses informations qui créent des mouvements de panique ; souvenez-vous des débuts du covid : on ne trouvait plus ni moutarde ni farine à cause de rumeurs.

Comme on manque souvent d’éléments de discernement, on risque soit de privilégier un média qui devient alors parole d’évangile, soit de refuser toutes les sources d’information, et son se coupe du monde. On m’a cité le cas de quelques personnes qui ferment leur radio au moment du journal.

Tout cela pour dire que dans cet environnement nous risquons de ne pas recevoir à sa juste valeur la nouvelle qui nous est annoncée aujourd’hui. Bien sûr, nous croyons cette nouvelle ; nous croyons qu’elle est vraie, qu’elle nous concerne, qu’elle concerne le monde. Nous croyons en Jésus, fils de Marie, Fils de Dieu. Nous croyons qu’il est Christ, ce qui veut dire Messie. Nous croyons qu’il est mort et ressuscité. Nous croyons que nous communions à sa vie lorsque nous recevons le pain consacré lors de la messe. Nous croyons tout le credo même si nous butons parfois sur telle ou telle expression comme « les enfers », ou la « résurrection de la chair ». Oui, nous croyons tout cela mais comme si nous étions fatigués d’y croire. Où est l’enthousiasme des premiers chrétiens qui leur permit de gagner à la foi chrétienne le bassin méditerranéen ? Où est en nous la fraîcheur qui habite nos frères et sœurs les catéchumènes ?

Notre évangile met en scène Jean-Baptiste qui « proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés. »  Une des manières de préparer Noël est de demander et de recevoir le pardon du Seigneur. Le sacrement du pardon n’est pas très populaire à notre époque, contrairement à d’autres époques. Il y a de nombreuses raisons à cela qu’il serait trop long de développer ici ; mais en voici au moins une : on ne veut plus se confesser car on ne sait plus comment faire. Pourtant, le « Je confesse à Dieu » est très explicite. Il nous permet de dire que nous péchons en pensée lorsque nous pensons du mal d’autrui, en parole lorsque nous disons du mal contre autrui, par action, et même par omission quand nous aurions pu faire du bien à quelqu’un et que nous ne l’avons pas fait. Pensée, parole, action, omission, voici une bonne grille de réflexion pour évaluer notre vie et demander pardon au Seigneur.

Oui, le sacrement du pardon est une des formes de conversion que nous offre le Seigneur. Mais il y a une autre conversion, plus profonde et plus essentielle qui nous est suggérée aujourd’hui : accepter que la venue du Fils de Dieu en notre chair soit une nouvelle absolue, et que cette nouvelle est bonne pour chacun de nous et pour l’humanité. La vie spirituelle, c’est-à-dire la vie selon l’Esprit de Jésus-Christ, comporte bien sûr une nécessité d’amélioration morale ; mais il n’est pas nécessaire d’être croyants pour vouloir s’améliorer ; il est probable que nous connaissions des personnes plus justes et plus droites que nous alors qu’elles ne sont pas chrétiennes. La vie spirituelle, c’est-à-dire la vie animée par l’Esprit de Jésus-Christ est une vie toute tournée vers le Christ. Alors, la conversion que nous avons à vivre aujourd’hui est d’accueillir Noël comme si nous ne le connaissions pas. Accueillir Noël avec un regard d’enfant qui découvre ce qu’il n’a jamais vu. Accueillir Noël comme une nouvelle radicalement neuve. Accueillir Noël comme une réalité capable de rajeunir notre cœur trop vieilli par la lourdeur de la vie. Accueillir Noël comme une nouvelle bonne pour nous et pour tous les hommes.

Cette conversion, ce retournement de tout notre être vers Jésus aura comme effet une amélioration morale. Et parce que nous nous serons convertis à Jésus, nous saurons demander et accueillir le pardon de nos péchés.

Que l’Esprit Saint réalise en nous, durant les jours qui qui viennent, ce que disait la première prière du début de cette messe : « Dieu de puissance et de miséricorde …forme-nous à la sagesse d’en-haut qui nous fait entrer en communion avec ton Fils. »

Homélie du 3 décembre 2023    1er dimanche de l’Avent   Année B

Isaïe 63, 16b-17+19b – 64, 2b-7   Psaume 79   1 Co 1,3-9   Mc 13,33-37

Par le père Jean Paul Cazes

Quels moyens prendre pour casser en nous, pour détruire, pour brûler,  pour jeter à la poubelle, pour se débarrasser une fois pour toutes de cette image d’un Dieu qui nous regarderait d’en haut, qui entendrait nos prières mais semble sourd, l’image d’un Dieu à qui il faudrait offrir des prières et des messes et des pèlerinages pour, qu’en échange, il daigne s’apercevoir de notre misérable existence ?

Parce que, quand nous disons « Dieu », c’est souvent de cela dont il s’agit. Oui, nous disons « Notre Père » au moins une fois par jour, mais nous risquons tours de penser « Jupiter ». Nous sommes très semblables à ces peuples d’Amérique du sud que les espagnols ont baptisés à tour de bras, qui disent le Notre Père et le je vous salue Marie, mais qui, au fond de leur âme et de leur culture, restent fidèles à leurs anciens dieux.

Nous croyons en un Dieu « là-haut », alors qu’il ne cesse de s’approcher de chacun de nous. Dans un mois, nous fêterons la venue en notre chair du Verbe de Dieu, Parole de Dieu qui s’incarne dans le sein très pur de Marie. Pour nous, c’est un moment de l’année, et après, la vie reprend avec ses exigences. Pour Dieu lui-même, c’est une attitude fondamentale. Pour nous, c’est le 25 décembre ; pour Dieu, c’est toute l’année.

Car le Dieu que nous révèle Jésus-Christ, ce Dieu qui n’est pas une idée, ni un concept, mais une personne aimante, ce Dieu-là est un Dieu qui vient perpétuellement à notre rencontre. Nous l’imaginons là-haut, alors qu’il ne cesse de venir à notre rencontre. A sa manière si poétique, le prophète Isaïe le dit : « Ah, si tu déchirais les cieux, si tu descendais …Voici que tu es descendu… » L’évangéliste Marc, dont nous commençons aujourd’hui la lecture, s’est probablement souvenu d’Isaïe dans son récit de la mort de Jésus quand il relate le fait suivant : « … Jésus expira. Et le voile du sanctuaire se déchira en deux du haut en bas. » (Mc 15,37-38). Grâce à Jésus qui donne sa vie, Dieu et les hommes ne sont plus séparés par quelque rideau que ce soit ; Dieu peut venir à nous à tout moment, y compris à l’improviste. C’est là qu’il serait bon d’entendre nos amis catéchumènes nous dire comment le Seigneur a fait irruption dans leur vie alors qu’ils ne s’y attendaient pas.

Nous reprochons à Dieu de ne pas nous entendre, de ne pas nous comprendre, de ne pas nous répondre. Mais n’est-ce pas plutôt nous qui ne savons pas accueillir sa venue ? Isaïe dit encore : « Tu viens rencontrer celui qui pratique avec joie la justice, qui se souvient de toi en suivant tes chemins. » Ce qui veut dire, si j’ai bien compris, que, pour venir, Dieu cherche quelqu’un qui lui corresponde, quelqu’un qui, comme lui, aime la justice – c’est-à-dire la sainteté – et accepte de mettre en œuvre le commandement de l’amour. Est-ce Dieu qui se tient loin de nous, ou nous qui ne lui accordons pas d’importance ? L’aveugle peut-il accuser le soleil de ne plus briller ? Le sourd peut-il accuser la mélodie d’être inaudible ?

Le Dieu que nous révèle Jésus dans son incarnation est un Dieu qui ne cesse de venir à nous. Jésus nous a donné des moyens de reconnaître sa venue ; dimanche dernier, il nous a dit sa présence en ceux qui ont faim et soif, en ceux qui sont étrangers, nus, malades, en prison. Notre crèche ne vaudra rien si elle n’est pas remplie de ceux-là, ceux qui ressemblent à Jésus.

Dans sa mangeoire, Jésus nous apprend que Dieu est notre Père, notre rédempteur depuis toujours. Le Christ nous donne les moyens de casser définitivement cette image fausse, celle d’un Dieu tout-puissant dont la puissance ne serait que colère alors qu’elle n’est que miséricorde. Alors, puisque Dieu vient chez nous en la personne de son Fils, veillons et prions en reprenant les mots du psaume de ce jour :

 

Berger d’Israël, écoute …

Réveille ta vaillance

Et viens nous sauver…

Visite cette vigne (qui est ton peuple), protège-la…

Jamais plus nous n’irons loin de toi ;

Fais-nous vivre et invoquer ton nom !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Homélie du 26 novembre 2023  Christ, Roi de l’univers   Année A

Ezékiel 34,11-12+15-17   Psaume 22   1 Corinthiens 15,20-26+28 Matthieu 25,31-4

Par le père Jean Paul Cazes

Par tout son enseignement – surtout son enseignement en paraboles – par toute sa vie, sa mort et sa résurrection, Jésus est venu nous annoncer le Royaume. Dans les évangiles, on trouve différentes expressions : royauté royaume, règne. Mais c’est toujours la royauté de Dieu, le royaume des cieux, le règne de Dieu. Jésus lui-même se tient à distance de ces expressions ; il n’est jamais question, dans sa bouche, de sa royauté, de son royaume ni de son règne. Vous savez combien il est prudent face au titre de roi ; il ne l’acceptera de la bouche de Pilate que lorsqu’il sera clair qu’il n’est pas roi à la manière des rois de la terre. La seule couronne qu’il portera, durant sa vie terrestre, est la couronne d’épines. Le royaume qu’il annonce est un royaume de service : lui, le Maître et Seigneur, il lave les pieds de ses disciples et leur demande d’imiter son geste. C’est dans la lumière de la résurrection qu’il accepte le titre de roi comme le dit le premier verset de notre évangile : « Quand le Fils de l’homme viendra sans a gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. »   

La vie humaine de Jésus est une incarnation de l’existence du Fils unique du Père. Or, le Fils unique est issu du Père et se tourne vers le Père comme le dit le premier verset de l’évangile de Jean : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu ». De la même manière, la vie de Jésus vient de son Père et retourne au Père. Tout, dans la vie humaine de Jésus est centré sur le Père. Le royaume annoncé dans les paraboles est le royaume du Père ; à tel point que Paul écrit aux chrétiens de Corinthe : « Alors, tout sera achevé quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu son Père … »  

            Ce royaume de Dieu que Jésus est venu annoncer, il nous l’offre comme une promesse, comme un don actuel et comme une collaboration. Comme une promesse, car ce royaume ne sera pleinement achevé que lors du retour du Christ. Comme un don actuel car, comme dit Jésus, « le royaume est parmi vous » ; on peut aussi traduire : « le royaume est en vous », en chacun de nous par le baptême et la confirmation. Le royaume de Dieu demande et offre une collaboration de notre part ; rappelez-vous la parabole de dimanche dernier, parabole des talents dans laquelle le maître félicite les deux premiers serviteurs d’avoir fait fructifier ses biens.

            Mais nous ne sommes pas que des collaborateurs du royaume : nous sommes appelés, grâce à Jésus, à la même dignité que lui ; nous sommes appelés à devenir rois avec lui. Rappelez-vous le chant : « Peuple de prêtres, peuple de rois, assemblée des saints, peuple de Dieu … » ; les paroles de ce chant s’inspirent de ce que Pierre écrit dans sa première épître.  Un royaume humain est composé d’un roi et de sujets. Dans le royaume de Dieu, annoncé par Jésus, il n’y a pas de sujets. Il n’y a que des rois. Voilà pourquoi nous fêtons le couronnement de Marie comme signe de notre propre couronnement. Le désir du Père, pour ses enfants que nous sommes, est infiniment plus qu’une simple amélioration morale : il souhaite nous faire partager sa dignité !

            Mais comment ? C’est simple : en faisant partie de sa cour. La cour de notre roi : les affamés de toutes sortes de faim, les assoiffés de toutes sortes de soif, les étrangers d’où qu’ils viennent y compris les étrangers à notre foi, les nus et les démunis de tous liens humains, les malades et les handicapés, les prisonniers dans leurs rancunes et leurs addictions. Et la liste n’est pas close. Voilà les ducs, les comtes et les barons de notre roi. 

            Mais attention : essayons, autant que possible, de saisir l’intention de Jésus. Il ne nous donne pas un cours de morale sociale ; il nous donne des points de repère pratiques pour pouvoir reconnaître, dans un petit enfant, né dans une misérable grotte au milieu d’un pays sans gloire, le roi de l’univers.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Homélie du 19 novembre 2023    33ème dimanche ordinaire   Année A

Par le pere Jean Paul Cazes 

Pro 31 10-13+19-20+30-31     Ps 127     1 Th 5,1-6     Mt 25,14-30

 

Dans st Matthieu, les chapitres 24 et 25 forment le dernier grand discours de Jésus avant les événements  de la Passion. La liturgie dominicale nous donne en trois fois le chapitre 25 : notre passage d’aujourd’hui se trouve comme enchâssé entre la parabole des dix vierges sensées et écervelées, et l’épisode appelé celui du jugement dernier lu pour la fête du Christ Roi de l’univers.

La parabole des talents est probablement l’une des plus connues des paraboles de Jésus, avec celle du fils prodigue. On la connaît trop bien peut-être : il se peut que lorsque vous m’avez entendu lire : « A l’un il remit la somme de cinq talents, à un autre deux talents, au troisième un seul talent … » votre cinéma intérieur a commencé à fonctionner : « Ah oui, je connais cette histoire de ces deux types qui doublent leur salaire, et de celui qui a fait attention à ne rien perdre et qui est puni car on lui retire ce qu’il a su conserver : c’est une injustice. D’ailleurs, je n’ai jamais compris la dernière phrase : A celui qui a, on donnera encore …mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a. » Et pendant que votre imagination tournait, la lecture se poursuivait, et vous ne l’avez pas entendue !

Nos amies catéchumènes qui ont participé à la messe hier soir ont de la chance : elles ne connaissent pas cette parabole ! Leur cinéma intérieur n’a pas fonctionné ; elles ont pu accueillir d’une manière toute fraîche l’enseignement de Jésus. Elles sont comme une page blanche sur laquelle le St Esprit peut écrire à sa guise.

Et que nous dit le St Esprit ? Dans la parabole des dix jeunes filles, il nous dit : « Veillez donc … ». Dans la lettre de St Paul aux chrétiens de Thessalonique, il nous dit : « Alors, ne restons pas endormis comme les autres, mais soyons vigilants … » J’ai envie de traduire le mot de « veille » par celui de « sagesse ». Comme vous le savez, l’esprit de sagesse est un des sept dons de l’Esprit : nous l’avons reçu lors de notre Confirmation. Mais quel rapport avec notre évangile ?  

Quand on parle de sagesse, ou bien on pense aux enfants qui doivent être sages comme des images ; mais ce n’est pas de cette sagesse-là dont il est question. Ou bien on parle philosophie ; or, le christianisme est fondamentalement autre chose qu’une philosophie ; il est l’expérience d’une rencontre personnelle avec une personne vivante : celle du Seigneur Jésus-Christ. Alors, de quelle sagesse s’agit-il ? Certainement pas d’un système philosophique comme celui d’Aristote ou de Descartes. Il s’agit d’un esprit de vigilance ; le Pape François, en bon jésuite qu’il est, parlerait d’un esprit de discernement.

Et de quoi est donc fait cet esprit de sagesse ou de discernement ? Au moins de trois éléments. D’abord de confiance. L’homme de notre parabole « appela ses serviteurs et leur confia ses biens. » « Seigneur tu m’as confié cinq talents …Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle en peu de choses, je t’en confierai beaucoup. » Cinq fois de suite, le mot de confiance revient sous différentes formes. Le lien qui unit le maître et ses deux premiers serviteurs est un lien de confiance ; la faute du troisième n’est pas d’enfouir son talent mais de craindre son maître : « J’ai eu peur. » Quel est notre lien envers notre Père ?

Le second élément de l’esprit de sagesse ou de discernement, est l’audace : « Tu m’as confié cinq talents : voilà, j’en ai gagné cinq autres. » De même pour le second serviteur. Le maître les félicite tous deux d’avoir risqué de perdre ce qui lui appartient en vue de gagner davantage. Nous venons à la messe pour recevoir une richesse fabuleuse ; qu’en faisons-nous ? Si nous sortons de cette église en pensant : « Ça y est, j’ai reçu mon Jésus, je suis tranquille pour une semaine, je le garde pour moi. Je peux penser à autre chose. », ne serions-nous pas dans une situation semblable à celle du troisième serviteur ?

Le troisième élément de cette sagesse est peut-être le plus étonnant : c’est celui qui est évoqué dans la première lecture. Dans ce passage, il ne s’agit pas de décrire sociologiquement le sort de la femme palestinienne au temps de Jésus. La femme parfaite dont il est question, c’est la sagesse elle-même, la sagesse incarnée dans une femme. Or, que fait cette femme-sagesse ? En quoi est-elle sage ? En un système philosophique ? Non : mais dans la calme gestion de la vie ordinaire. La sagesse que notre Dieu nous demande de développer n’est pas dans les nuages, mais dans la manière de mener notre vie quotidienne, à travers ce qu’on appelait autrefois le devoir d’état. Certains d’entre vous savent que je tiens un rôle dans un spectacle dont je vous parlerai bientôt. Dans ce spectacle, un des personnages dit à un autre : « Matthias est un homme qui a suivi le Christ depuis le début …Nous sommes tous des Matthias appelés à venir marcher avec Jésus. Et les Evangiles … sont là pour nous y aider…Et puis, si nous regardons bien, nous avons aussi notre quotidien…C’est dans le quotidien que nous trouvons (le Christ). »  

Confiance dans le Seigneur, audace fondée sur cette confiance, gestion de notre vie quotidienne à la suite du Christ, voilà quelques traits de l’esprit de sagesse et de discernement que l’Ecriture nous suggère et que l’Esprit Saint nous donne pour suivre le Christ sans avoir peur. C’est ainsi que nous veillerons pour être attentifs aux si nombreux passages du Christ dans nos vies.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Homelie du 5 novembre 2023    31ème dimanche   Année A

Ml 1,14b – 2,2b+8-10     Psaume 130   1 Co 2,7b+9-13     Mt 23,1-12

Par le Père Jean Paul Cazes

Ce passage d’évangile est dur contre les scribes et les pharisiens, comme le passage du prophète Malachie est dur contre les prêtres juifs. Durs, mais lucides. Prêtres, scribes et pharisiens ne font pas le lien entre leur enseignement et leur style de vie. Ils disent, mais ne font pas.

Les prêtres de Jésus-Christ sont menacés par la même attitude. Certes, le message qu’ils ont à délivrer les dépasse infiniment ; ce n’est pas au nom de leur sainteté personnelle qu’ils parlent, mais parce qu’ils ont reçu une mission. Dans l’Ancien Testament comme dans le Nouveau, lorsque quelqu’un est appelé par le Seigneur, c’est pour remplir une mission ; s’il agit, s’il enseigne, c’est au nom de cette mission qu’il agit et enseigne, et non pas au nom de sa propre sainteté. Si le Seigneur ne devait choisir que des saints, il ne pourrait choisir personne. Il choisit toujours de pauvres pécheurs qui, comme n’importe quel baptisé, est appelé à la sainteté.

Mais la difficulté pour celui – ou celle – qui est choisi et qui agit et parle au nom du Seigneur, est de finir par croire que le seul fait de rappeler à tous l’enseignement de Jésus le place automatiquement au niveau de son enseignement. Vous connaissez peut-être la fable de l’âne qui porte des reliques ; je ne suis pas sûr qu’elle soit de La Fontaine, mais peu importe. Cette fable met en scène un âne qui, portant des reliques, en vient à penser que les gestes de vénération des fidèles s’adressent à lui. Et un jour où il ne porte pas ces reliques et qu’il commet une bêtise, il déchante rapidement quand son maître lui administre une belle volée de coups de bâton.

L’enseignement donné par un prêtre est saint dans la mesure où cet enseignement est fondé sur celui du Christ ; ainsi, St Paul peut écrire aux chrétiens de Corinthe : « Quand vous avez reçu la parole de Dieu que nous vous faisions entendre, vous l’avez accueillie pour ce qu’elle est réellement, non pas une parole d’hommes, mais la parole de Dieu qui est à l’œuvre en vous, les croyants. » Mais cette parole oblige le messager à se conformer à elle. Si le messager se contente de transmettre la parole de Dieu sans y conformer sa vie, s’il n’essaie pas de vivre lui-même ce qu’il enseigne, il passera loin de la sainteté, cette sainteté que nous venons de fêter il y a trois jours. Alors, prêtre de Jésus-Christ, il entendra le Christ lui dire : « Tu dis et ne fais pas. Tu attaches de pesants fardeaux, difficiles à porter, et tu en charges les épaules des gens ; mais toi-même ne veut pas les remuer du doigt. »

Pour moi, prêtre de Jésus-Christ, comme pour vous, la sainteté viendra à ma rencontre si j’essaie de conformer ma vie à mon enseignement ; si j’essaie de faire ce que j’enseigne ; en somme, si je me conforme au Christ qui dit ce qu’il fait.

Chaque page de l’Evangile nous révèle qui est Jésus et comment nous devons vivre pour le suivre et être ses disciples. Qu’apprenons-nous de lui aujourd’hui ?  

Plusieurs choses qu’il faudrait bien plus qu’une courte homélie pour en approfondir les richesses. Relisons, même rapidement, notre page d’évangile.

D’abord, nous apprenons à nouveau que Jésus est notre serviteur : « Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. » Il n’est pas venu pour être servi mais pour servir. Il est vraiment Maître et Seigneur, non pour se pavaner, non pour être remarqué par les gens et obtenir les places d’honneur dans les dîners mais pour mettre son pouvoir à notre service pour nous mener au salut. Sommes-nous les disciples de ce Maître-là ?

Nous apprenons aussi qu’il sera abaissé puis relevé : c’est une annonce de la Croix et de la résurrection. Le Messie auquel nous croyons est un Messie souffrant qui trouve sa gloire au sommet de la Croix. Sommes-nous les disciples de ce Maître-là ?

Nous apprenons qu’il est vraiment notre Maître. En quoi est-il notre Maître ? D’abord par la sainteté de son enseignement, bien sûr. Un enseignement nourri par la Parole de Dieu héritée de l’Ancien Testament médité, réfléchi, prié. Mais aussi un enseignement mis en pratique : Jésus fait ce qu’il dit. En lui, il n’y a pas de distance, ni d’opposition entre ce qu’il enseigne et ce qu’il vit. Il rejoint ainsi la première description de Dieu qui nous est donnée dès le premier chapitre de la Genèse : « il dit … et cela fut ». La Parole de Dieu est efficace. Dieu n’est pas un menteur ; Jésus non plus puisqu’il est vraiment Dieu venu dans notre chair. Sommes-nous les disciples de ce Maître-là ?

Prêtres de Jésus-Christ, et vous tous, fidèles de Jésus-Christ, sommes-nous vraiment ses disciples ? Il ne s’agit pas seulement de politesse évangélique où tout le monde s’appellerait « Frère » et « Sœur » tout en vivant en étranger les uns vis-à-vis des autres. Oui, nous sommes tous frères et sœurs, Jésus nous le dit : « Vous êtes tous frères », puisque nous avons le même Père; mais vivons-nous en frères ? Et pas seulement le temps d’un geste de paix à la messe, mais au cours de la semaine ? Essayons-nous vraiment – comme nous pouvons – de mettre en pratique les mots que nous disons ?

Que nous soyons prêtres ou laïcs, sommes-nous vraiment les disciples de Celui dont la Parole se traduit par des actes ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Homelie du 24 septembre 2023   25ème dimanche ordinaire    Année A

Par le Père Jean Paul Cazes

Isaïe 55,6-9     Psaume 144     Philippiens 1,20c-24+27a     Matthieu 20,1-16

Est-il nécessaire de redire que la parabole de ce jour n’est pas un traité d’économie sociale ? Une équipe de patrons chrétiens, que j’accompagnais, l’avait comprise de cette façon ; il a été nécessaire que je mette les points sur les « i ». Non, Jésus n’a jamais demandé, ni suggéré, de donner le même salaire à ceux qui travaillent une heure et à ceux qui travaillent toute la journée. La parabole ne s’adresse pas au MEDEF, elle s’adresse à chacun de nous pour nous faire toucher du doigt l’amour inconditionnel de notre Père.

Pour suggérer cet amour, Jésus choisit de nous provoquer en titillant notre porte-monnaie et notre sens inné de la justice. En langage moderne, on pourrait dire qu’il utilise notre pouvoir d’achat pour nous faire sentir ce qu’est le royaume de Dieu et pour nous faire mieux découvrir combien nous sommes aimés par le Père.

Et d’abord une remarque : qu’est-ce que le royaume de Dieu, ou, comme le dit Matthieu, le Royaume des cieux ? Jésus n’en donne aucune définition. Il dit avec prudence : « Le Royaume des cieux est comparable à … ». Plus tard, il dira de la même façon : « Il en va du Royaume des cieux comme … » Aucune définition scientifique ne saurait rendre compte du Royaume des cieux. Comme aucune définition ne peut rendre compte de l’amour. Il existe des réalités qui ne sont pas de l’ordre de la science exacte, ce qui ne les empêche pas d’être de vraies réalités, aussi importantes pour notre vie que les réalités scientifiques. Le Royaume des cieux est l’une de ces réalités qui ne peuvent être définies, mais seulement suggérées : « Le Royaume des cieux est comparable à … »

A quoi donc, selon Jésus, le Royaume des cieux est-il comparable ? A rien, mais à quelqu’un. Le Royaume des cieux est comparable au maître d’un domaine ; dans quinze jours nous entendrons : « Le Royaume des cieux est comparable à un roi … »   Le Royaume des cieux n’est pas quelque chose, mais quelqu’un. Le Royaume des cieux n’est pas un lieu, mais c’est quelqu’un. Le Royaume des cieux se confond avec le Seigneur lui-même. Celui qui entre dans le Royaume des cieux entre en Dieu, ni plus ni moins. Avec prudence, on pourrait même réécrire les paraboles de Jésus en disant : « Mon Père est comparable au maître d’un domaine qui sortit dès le matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. »  En passant, je vous rappelle que la vigne est, dans la Bible, une des images du peuple d’Israël. Par extension, la vigne désigne également le nouveau peuple d’Israël, c’est-à-dire l’Eglise dont nous sommes les sarments.

Parmi tout ce qu’on pourrait dire de l’attitude du maître de la vigne – son sens de la justice, sa persévérance, son amour pour sa vigne, son attention aux plus pauvres je ne retiens qu’un seul point : le nombre de ses sorties. Quand nous pensons au Royaume des cieux, nous imaginons une réalité loin de nous ; quand nous pensons à Dieu, nous l’imaginons au-dessus de nous, et loin de nos préoccupations. Or, ce n’est pas cela que nous révèle Jésus. Avez-vous compté combien de fois, dans notre parabole, le maître de la vigne sort pour embaucher de nouveaux ouvriers ? Il sortit dès le matin …Sorti vers neuf heures …Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures…Vers cinq heures il sortit encore …Cinq fois : il sort cinq fois. Le Père que Jésus nous révèle son Père qu’il nous donne comme Père n’est pas quelqu’un qui reste dans son ciel à nous attendre. C’est quelqu’un qui passe son temps, si je puis dire, à venir vers nous. Dans la parabole du fils prodigue, Jésus nous raconte la même chose : le père sort à la rencontre de son jeune fils qui revient au foyer ; et il sort à la rencontre du fils aîné qui refuse d’entrer. Je comprends mal les chrétiens qui disent : « Je ne m’adresse pas au Père parce qu’il est trop loin, trop haut. » Est-ce qu’ils ne se trompent pas de Dieu ? Ne confondent-ils donc pas notre Père avec Jupiter ? Notre Dieu sort de lui-même pour venir à notre rencontre ; c’est toujours lui qui fait le premier pas. Dans notre prière de ce soir, il serait intéressant pour chacun de faire le compte des moments où notre Père est venu à notre rencontre. Souvent, nous lui demandons de venir ; alors, il vient, c’est certain, mais nous l’imaginons venant dans toute sa gloire alors qu’il vient comme un petit enfant, ou comme un jeune crucifié, ou comme une pauvre hostie, ou comme un événement inattendu, ou comme une parole de réconfort… Il ne vient jamais comme nous l’imaginons, alors nous en tirons la conclusion qu’il ne vient pas. Nous sommes comme l’aveugle qui dit : « Il n’y a pas de lumière. »

Le Dieu que nous révèle Jésus par son enseignement et par sa vie est un Dieu de rencontre. Hier, à Marseille, dans son homélie, le Pape insistait sur la joie dont Marie tressaille à l’annonce de l’ange ; et il nous invitait à tressaillir de joie comme Marie à la rencontre de notre Seigneur. Dieu vient toujours, que ce soit dès le matin, ou à neuf heures, ou à midi, à trois heures ou même à cinq heures. Il ne se décourage jamais devant nos portes fermées. Il suffit seulement de lui entrouvrir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Homélie du 27 août 2023   21ème dimanche temps ordinaire   Année A

27 août 2023   21ème dimanche temps ordinaire   Année A

Isaïe 22,19-23     Ps 137     Romains 11,33-36     Matthieu 16,13-20

Par le Pere Jean Paul Cazes

Dans quelques semaines, le Saint Père viendra à Marseille comme il vient de se rendre à Lisbonne : des jeunes de notre paroisse y étaient. J’espère qu’ils accepteront, un jour, de nous parler de ces JMJ.

 

Il y a longtemps, un sympathique paroissien d’une de mes anciennes paroisses avait établi, pour moi, la liste de dix raisons pour laquelle, selon lui, le Pape est le Pape. Je me souviens seulement de deux de ces raisons. La première était, toujours selon ce paroissien, que le Pape est chef d’Etat, ce qui est exact ; mais à cela j’ai répondu que pendant de nombreux siècles le Pape n’était pas chef d’Etat et que cela ne l’empêchait pas d’être Pape. La seconde raison de mon paroissien était que le Pape donne une bénédiction urbi et orbi, c’est-à-dire sur la Ville de Rome et sur le monde ; ce qui est exact, là aussi ; mais j’ai demandé à mon paroissien à quelle longueur il estimait la portée de ma bénédiction ; et comme il hésitait à répondre, je lui ai dit que le Pape et moi avions une bénédiction de même longueur, car la bénédiction ne vient pas du ministre qui la donne, mais du Seigneur. Par contre, j’ai ajouté que je comprenais très bien qu’on aime recevoir la bénédiction de la part du Pape.

Je ne me souviens plus si mon paroissien avait ou non évoqué l’infaillibilité pontificale. Vaste et épineuse question que cette infaillibilité ! D’autant que parmi les catholiques que nous sommes certains admettent ce dogme, alors que d’autres le rejettent. En fait, affirmer, sans précaution, que le Pape est infaillible, est inexact. Comme si, dès le moment de son élection, le nouveau Pontife était subitement branché en ligne directe sur Dieu le Père ! Dire que le Pape est infaillible, sans précisions, semble dire qu’il est infaillible sur tous les sujets, et qu’il est infaillible dès qu’il ouvre la bouche. Ce n’est pas vrai. Le Pape est infaillible, certes, mais dans le domaine de la foi, et dans des conditions extrêmement précises et limitées par le dogme lui-même. Par contre, le Pape a le droit, et même le devoir, d’aborder des questions d’ordre politique, social, économique, artistique et autres ; il le fait pour éclairer la pensée des catholiques et préciser leur action en ce monde. Pour cela, il n’a pas besoin de proclamer un dogme chaque fois qu’il parle ou qu’il écrit.

Le dogme de l’infaillibilité pontificale a été précisé en 187O, lors du premier concile du Vatican. Depuis lors, seul Pie XII s’en est servi, en 1950, pour proclamer le dogme de l’Assomption de Marie. La question se pose de savoir si l’enseignement d’un Pape est important seulement lorsqu’il proclame un dogme ; si oui, l’enseignement de Jean XXIII, de Paul VI, de Jean-Paul Ier, de Jean-Paul II, de Benoît XVI et de François ne compte pas. Or, vous savez bien que ce n’est pas le cas. Les Papes nous guident par ce qu’on appelle leur ministère ordinaire, leur ministère quotidien. Prenons un exemple récent : l’encyclique Laudato si, signée par François, a revêtu une grande importance, au-delà même des frontières de l’Eglise catholique. Pourtant, cette encyclique ne proclame aucun dogme nouveau. Mais elle offre aux catholiques et à tous les hommes de bonne volonté un enseignement fondé sur la Bible et sur la pensée des premiers siècles chrétiens au sujet de la Création. Ce sujet ne peut être uniquement scientifique : il a une grande portée sociale et spirituelle que l’enseignement de François développe pour notre plus grand bien.

 

Comme vous, j’ignore ce que François va dire lors de son séjour à Marseille. Il parlera probablement des migrants. Il est possible que certains catholiques soient d’accord avec lui, alors que d’autres ne le soient pas. Sur ce sujet-là, comme sur l’écologie, il n’est pas infaillible. Un bon catholique a le droit de ne pas être d’accord avec le Pape sur des sujets semblables ; mais avant de critiquer la position du Pape, il faudrait d’abord la recevoir avec respect, et se demander ensuite si on a les mêmes informations que lui.

St Pierre s’est vu confier sa charge non pas parce qu’il était le meilleur des Apôtres, ou le plus intelligent, ou le plus instruit ; il a même trahi le Christ comme Judas. Mais, contrairement à Judas, il ne s’est pas refermé sur lui-même, il s’est tourné vers le Christ. Pierre a été choisi par le Christ en raison de sa foi : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. » Le ministère de Pierre et de tous ses successeurs est de nous conduire, toujours et toujours, à Jésus. Au cours de la dernière Cène, Jésus dit à Pierre : « J’ai prié pour que ta foi ne défaille pas. Et toi, quand tu seras revenu, affermis tes frères. »

 

Au cours de la longue histoire de l’Eglise, il y a eu des Papes indignes : et les Borgia ne sont pas les pires ! Il y a aussi eu des saints. L’Eglise catholique a eu la grâce, en ce dernier siècle, d’avoir été conduite par des Papes dont chacun fut remarquable à sa façon. Sachons en rendre grâce et remercier le Seigneur Jésus de nous donner, par son Esprit, des hommes capables de nous conduire au Père à travers les difficultés de notre monde.

 

 

Homelie du 11 juin 2023   Saint Sacrement du Corps et du sang du Christ

 

Deutéronome 8,2-3+14b-16a     Ps 147     1 Co 10,16-17     Jn 6,51-58

Par le Père Jean Paul Cazes 

Il fut un temps, pas si éloigné de nous, où la fringale de la communion avait saisi certains de nos ancêtres. Ils couraient de messe en messe pour pouvoir communier, sans pour autant participer à la messe. Ils pensaient que le salut chrétien consistait dans le nombre de communion. Voilà pourquoi l’Eglise, sagement, a souhaité, et souhaite toujours, qu’on ne communie pas plus d’une fois par jour ; même aux prêtres il est demandé de ne pas dire plus de trois messes dans le même week-end, ce qui est parfois impossible si le prêtre doit dire trois messes dans sa paroisse et courir ensuite en célébrer une quatrième dans un camp scout.

Communier fréquemment fut le souhait de St Pie X qui abaissa l’âge de la première communion pour les enfants. Communier fréquemment, certes, mais pas frénétiquement ! En tout, il faut de la sagesse, même en cette matière. Car ce n’est pas au nombre de communions reçues au cours de notre vie que nous serons sauvés. C’est le nombre de communions bien reçues et fécondes qui nous conduira vers la Trinité.

Mais alors, me direz-vous, qu’est-ce qu’une communion bien reçue et féconde ? Quels en sont les critères ? Il y en a évidemment un grand nombre, je ne pourrai pas les nommer tous en une seule homélie. Mais je souhaite en préciser au moins deux.

Le premier est exprimé dans la prière de communion du 27èmedimanche du temps ordinaire ; vous pourrez la retrouver dans votre missel, ou votre site internet. Je la cite : « par la communion à ce sacrement, comble notre soif et notre faim de toi ; afin que nous puissions devenir ce que nous avons reçu. » Je souligne : « afin que nous puissions devenir ce que nous avons reçu. »   Que recevons-nous ? Le corps et le sang sacramentels du Christ. En conséquence, il nous faut chercher à devenir de plus en plus le Corps ecclésial du Christ. Car vous savez bien que le corps du Christ est tout autant présent par le sacrement eucharistique que par l’Eglise, toute pécheresse qu’elle soit.

Puisque nous recevons le sacrement du corps et du sang du Christ, nous devons construire le corps du Christ qui est l’Eglise. Le brave chrétien qui viendrait pieusement communier le dimanche et qui s’en retournerait chez lui sans plus penser qu’à sa petite vie tranquille, pourra bien dire : « Nous avons mangé et bu devant toi… » il s’entendra répondre : « Je ne sais d’où vous êtes. Eloignez-vous de moi … » Cette citation vient de l’évangile selon st Luc, au chapitre 13, versets 26 et 27

On ne communie pas pour obtenir des points de bonne conduite : on communie au corps du Christ pour devenir partie prenante du corps du Christqu’est l’Eglise. L’eucharistie et l’Eglise marchent ensemble ; personne ne peut les dissocier ; des deux, on peut dire ce que le Christ dit du mariage : ne séparons pas ce que Dieu a uni. Communier lors de la messe (ou chez soi quand on est malade) nous rend acteurs de la construction de l’Eglise, de son action dans ce monde, c’est-à-dire de sa mission qui est d’annoncer le Christ, d’une manière ou d’une autre, à nos contemporains, là où nous sommes, dans l’état de vie dans lequel nous nous trouvons actuellement.

 

Le second critère d’une communion bien reçue se trouve dans la fécondité de l’évolution de notre vie spirituelle personnelle.

Une communion bien reçue produit l’inverse d’un repas ordinaire. Lors d’un repas, les aliments que nous consommons deviennent notre chair et notre sang ; c’est eux qui entrent en nous. Lors d’une communion, quand nous recevons le corps et le sang du Christ, c’est nous qui sommes assimilés en lui ; c’est nous qui devenons peu à peu ce qu’il est. Lui se fait nourriture pour nous ; nous devenons alors nourriture pour les autres. Mais une nourriture peut devenir immangeable : nous qui fréquentons l’eucharistie, sommes-nous mangeables ? Nous pleurons devant la diminution des pratiquants (d’ailleurs, ici, nous n’avons pas trop à nous plaindre) ; mais, si les églises se vident plus ou moins lentement, sommes-nous certains que c’est uniquement pour des questions de liturgie et de latin ? Sommes-nous certains que notre manière de vivre, durant la semaine, donne faim à ceux que nous rencontrons ? Pour attirer, il faut proposer quelque chose de nourrissant : le sacrement de l’eucharistie peut-il attirer par lui-même si ceux et celles qui le reçoivent ne montrent pas qu’il les nourrit, les transforme et les rend heureux d’être chrétiens ?

 

Ce que je vous dis n’est pas destiné à ralentir votre désir de recevoir l’eucharistie, au contraire. Mais vous savez bien que la routine nous guette toujours. Voilà pourquoi il nous est bon de reprendre de temps en temps conscience de la portée et des conséquences de ce que nous faisons lorsque nous recevons le corps du Christ en vue de ne constituer qu’un seul corps, nous qui avons tous part à un seul pain, comme l’écrit Paul.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Homélie du 4 juin 2023   Sainte Trinité 

Exode 34,4b-6+8-9     Ct Dn 3     2Co 1311-13     Jn 3,16-18

Par le Père Jean Paul Cazes 

Un philosophe, Gabriel Marcel, avait comparé un problème et un mystère. Sur un tableau noir, il avait tracé deux cercles égaux. L’intelligence faisait peu à peu le tour du premier ; et, quand le tour était achevé, le cercle disparaissait puisque le problème était résolu. Quant au second cercle, l’intelligence y entrait, car elle était faite pour cela, mais elle ne finissait jamais de découvrir l’ampleur du mystère et de s’en émerveiller.

Cela signifie que notre intelligence est faite pour le problème comme pour le mystère ; mais elle résout le premier et contemple le second. Elle fait disparaître le premier, et découvre sans cesse le second. Elle enferme le premier dans son raisonnement, elle est contenue par le second. Le problème est maîtrisé par notre intelligence, alors qu’elle s’émerveille et ne cesse de découvrir l’ampleur du mystère.

Je vous dis cela pour affirmer, une fois encore, que le mystère de la Sainte Trinité n’est pas une question de mathématique idiote ou 3 serait égal à 1. Il ne s’agit pas de mathématique, il s’agit de relation d’amour. Notre foi affirme que trois personnes distinctes, de même nature et d’égale dignité, s’aiment à ce point qu’elles ne forment qu’un seul Dieu ; ce n’est pas plus improbable que ce que disent tous les fiancés : ne faire plus qu’un par amour dans l’unité de leur nature humaine et le respect de leur égale dignité. Mais ce que le couple humain a tant de peine à réussir, les trois personnes divines le réalisent pleinement ; c’est pourquoi elles sont à l’origine de tout amour vrai.

Si le Dieu-Trinité est à l’origine de tout amour vrai, c’est parce qu’il vit cet amour de l’intérieur. Il ne peut nous demander d’aimer que parce que l’amour fait partie de sa propre vie ; mieux : l’amour est sa vie. St Jean écrit que Dieu est amour (1 Jn 4, 8, 16). Il ne s’aime pas lui-même égoïstement, comme s’il était renfermé sur lui, mais, entre les Trois personnes l’amour est une sorte de va et vient permanent. Et ce va et vient, cet échange permanent est fécond, comme est fécond l’échange d’amour entre les époux. L’amour en Dieu donne naissance au monde de manière permanente : Dieu ne cesse d’être créateur par amour comme les parents sont procréateurs par amour.

Le parallèle entre l’amour humain et l’amour qui unit les Trois personnes divines ne vient pas de moi, il est présent tout au long de la Bible depuis le début dans la figure d’Adam et Eve jusqu’au dernier chapitre de l’Apocalypse où l’Eglise est assimilée à une épouse qui attend impatiemment son époux (je cite) : « L’Esprit et l’épouse disent : Viens ! » (Apo 22,17)

 

Une autre manière d’aborder la sainte Trinité serait de de voir comment tout ce que nous disons et pensons de la personne humaine trouve son origine en elle. Nous sommes fiers, à juste titre, de la déclaration des droits de l’homme. Nous nous en réclamons chaque fois que les états totalitaires bafouent ces droits. Nous attendons de nos dirigeants qu’ils aient le courage de les rappeler dans leurs négociations internationales. Or, tous ces efforts pour promouvoir les droits de la personne humaine ont pour origine lointaine la méditation des pères de l’Eglise sur ce qu’est une personne à l’intérieur de la Trinité. Peu à peu, ils ont réussi à préciser ce que sont les personnes divines, ce qui a eu comme conséquence une meilleure vision de ce qu’est la personne humaine à l’image de la personne divine. D’une certaine façon, on peut affirmer que notre civilisation de la personne trouve ses racines en l’affirmation des Trois personnes en un seul Dieu.

En tout cela, notre intelligence est à l’œuvre pour inventorier la richesse de la foi en la Sainte Trinité. Mais si nous pensions parvenir un jour à tout savoir à son sujet, nous serions dans l’erreur. Ce serait la même erreur que d’affirmer que la fresque qui orne le cul de four de notre église est la Sainte Trinité. Non, cette fresque n’est pas la Sainte Trinité ; elle essaie de la traduire par des formes et des couleurs ; mais la sainte Trinité est bien autre chose que cette fresque, et bien au-delà. Personne d’entre nous, et pas même l’Eglise y compris dans ses plus hautes instances, ne peut affirmer connaître totalement la Sainte Trinité. Nous ne connaissons même pas totalement les personnes avec qui nous vivons, et pourtant, nous continuons à les croiser, à leur parler, car leur fréquentation est pour nous source de vie. De même la Trinité à laquelle nous ne pensons pas tout le temps, mais que nous marquons sur notre corps chaque fois que nous traçons sur nous le signe de la croix.

 

Même si, au point de vue esthétique, je n’apprécie pas spécialement notre fresque, je trouve très significatif qu’elle orne le chœur de notre église. Le simple fait d’entrer dans cette église est comme le symbole d’un cheminement spirituel : nous pénétrons par la porte d’entrée, nous cheminons vers le chœurpar la Parole et l’eucharistie ; grâce à Jésus crucifié et ressuscité, nous montons vers la Trinité. Et c’est finalement dans sa vie d’amour partagé que nous trouverons notre vie éternelle, nous dont la vocation est d’être divinisés.  

Alors, comme l’écrit Paul aux chrétiens de Corinthe, « Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint Esprit soient avec vous tous », vous, chrétiens de Courbevoie. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Homélie du 14 mai 2023    6ème dimanche de Pâques  Année A

Actes des Apôtres 8,5-8+14-17     Ps 65     1P 3,15-18     Jn 14,15-21

Par le Père Jean Paul Cazes 

St Pierre, dans l’extrait de sa première épître entendu il y a un instant, nous recommande d’être prêts, à tout moment, à rendre compte de notre foi à ceux qui en doutent ou même qui la combattent. Il précise qu’il faut le faire avec douceur et respect.

Nous savons tous que cela est difficile. Qui d’entre nous, au bureau, en famille, ou au cours d’une discussion, n’a pas hésité à prendre position pour défendre notre foi ? Pour ouvrir la bouche, il faut une bonne dose de courage et une grande confiance en l’Esprit Saint. Mais, quelles que soient les difficultés, la demande de St Pierre demeure toujours valable : nécessité de témoigner de notre foi.

Cependant, je me demande si nous témoignons bien de la foi chrétienne. Nous pensons à Dieu, nous prions Dieu, nous parlons de Dieu, mais est-ce à la Sainte Trinité que nous pensons ? Car la Trinité semble être une difficulté supplémentaire pour beaucoup de chrétiens. Croire à la Trinité, qu’est-ce que cela change dans la foi ? Est-ce que croire à la Trinité nous aide à mieux vivre notre foi au milieu des contraintes de la vie quotidienne ? Est-ce que cette manière de voir n’est pas seulement un sujet de théologiens, bien éloigné des sujets de la vie contemporaine ? N’est-ce pas se torturer l’esprit alors que tant de problèmes requièrent notre attention et nos forces ? Ne suffit-il pas de croire en Dieu, tout simplement, et, pour ce qui est de la vie quotidienne, suivre les enseignements de Jésus, ce qui est déjà assez dur comme ça ?

La Trinité serait-elle donc une difficulté inutile ? En disant cela, je m’inspire du titre d’un théologien actuel qui a fait paraître un livre tout à fait remarquable sous le titre : « Dieu, un détour inutile ? » (éditions du Cerf) avec un point d’interrogation.

Pourtant, tous ceux et celles qui sont baptisés le sont au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit. Nous avons commencé cette messe au nom du Père, et du Fils et du Saint Esprit et c’est ainsi qu’elle se terminera. Le Gloire à Dieu, le Je crois en Dieu nomment le Père, le Fils et l’Esprit. La prière eucharistique commence et finit par la glorification du Père, passe par l’invocation de l’Esprit sur le pain le vin et sur l’assemblée que nous sommes ; les paroles de la consécration actualisent les paroles de Jésus et le rendent sacramentellement présent au milieu de nous pour notre nourriture. Jésus, lorsqu’il forme ses disciples à la prière, ne leur apprend pas autre chose que le Notre Père ; et dans l’évangile d’aujourd’hui, il promet de nous donner l’Esprit de Vérité. Dans la même phrase, il évoque, avec lui, les deux autres personnes de la Trinité : « Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous … »

Est-ce donc si important de croire à la Trinité ? Dire Dieu, penser à Dieu, prier Dieu, n’est-ce pas suffisant ? Non, effectivement. Le mot de Dieu, la réalité de Dieu n’est pas spécifiquement chrétien ; toutes les grandes religions parlent de Dieu. Alors, autant être musulmans, c’est plus simple ! Mais je ne crois pas que Mahomet a sauvé l’humanité. C’est Jésus-Christ, fils de Marie et Fils de Dieu, lui qui est vrai Dieu et vrai homme, qui, en nous donnant de son Esprit, nous uni au Père et fait de nous des fils et des filles du Père, en même temps que des frères et des sœurs les uns pour les autres. Et ceci est typique du christianisme. Typique de notre foi, celle dont Jésus-Christ est venu témoigner.

Il est évident qu’une pauvre petite homélie de douze minutes est incapable de rendre compte de la plénitude de notre foi en la Trinité. Si j’évoque ce sujet c’est, d’une part, parce que Jésus en parle lui-même et nous prépare à la Pentecôte. Et que, d’autre part, hier, dans la groupe « Vivre la Bible », j’ai senti la difficulté exprimée par plusieurs de penser à la Trinité ; voilà pourquoi je soulève cette question.

Question à laquelle je répondrai par un seul élément alors qu’il serait nécessaire d’évoquer tout ce qui relie notre vie chrétienne et la Trinité. Le seul élément que je vous soumets est celui-ci : si notre foi est de croire seulement en Dieu, sans aucune autre précision, alors, nous ne pouvons pas dire, en toute vérité, que nous sommes ses fils et ses filles. Si nous croyons en Dieu, sans autre précision, alors nous ne pouvons pas dire qu’il a envoyé son Fils unique pour nous sauver et nous rendre participants de sa divinité. Au mieux, nous serons les serviteurs de Dieu, alors que Jésus est venu faire de nous ses amis. : c’est lui-même qui l’affirme.

Croire que le Dieu unique est une unité d’amour et de respect entre le Père, le Fils et le Saint Esprit a des répercussions profondes sur notre vie de foi : nous sommes fils et filles du Père, frères et sœurs de Jésus et entre nous, temples du Saint Esprit.

C’est cette foi que st Pierre nous incite à défendre, avec douceur et respect, aux yeux de nos collègues de travail, de nos familles et de nos amis, avec l’aide et la force de l’Esprit de Vérité.