Homélie du 19 novembre 2023    33ème dimanche ordinaire   Année A

Par le pere Jean Paul Cazes 

Pro 31 10-13+19-20+30-31     Ps 127     1 Th 5,1-6     Mt 25,14-30

 

Dans st Matthieu, les chapitres 24 et 25 forment le dernier grand discours de Jésus avant les événements  de la Passion. La liturgie dominicale nous donne en trois fois le chapitre 25 : notre passage d’aujourd’hui se trouve comme enchâssé entre la parabole des dix vierges sensées et écervelées, et l’épisode appelé celui du jugement dernier lu pour la fête du Christ Roi de l’univers.

La parabole des talents est probablement l’une des plus connues des paraboles de Jésus, avec celle du fils prodigue. On la connaît trop bien peut-être : il se peut que lorsque vous m’avez entendu lire : « A l’un il remit la somme de cinq talents, à un autre deux talents, au troisième un seul talent … » votre cinéma intérieur a commencé à fonctionner : « Ah oui, je connais cette histoire de ces deux types qui doublent leur salaire, et de celui qui a fait attention à ne rien perdre et qui est puni car on lui retire ce qu’il a su conserver : c’est une injustice. D’ailleurs, je n’ai jamais compris la dernière phrase : A celui qui a, on donnera encore …mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a. » Et pendant que votre imagination tournait, la lecture se poursuivait, et vous ne l’avez pas entendue !

Nos amies catéchumènes qui ont participé à la messe hier soir ont de la chance : elles ne connaissent pas cette parabole ! Leur cinéma intérieur n’a pas fonctionné ; elles ont pu accueillir d’une manière toute fraîche l’enseignement de Jésus. Elles sont comme une page blanche sur laquelle le St Esprit peut écrire à sa guise.

Et que nous dit le St Esprit ? Dans la parabole des dix jeunes filles, il nous dit : « Veillez donc … ». Dans la lettre de St Paul aux chrétiens de Thessalonique, il nous dit : « Alors, ne restons pas endormis comme les autres, mais soyons vigilants … » J’ai envie de traduire le mot de « veille » par celui de « sagesse ». Comme vous le savez, l’esprit de sagesse est un des sept dons de l’Esprit : nous l’avons reçu lors de notre Confirmation. Mais quel rapport avec notre évangile ?  

Quand on parle de sagesse, ou bien on pense aux enfants qui doivent être sages comme des images ; mais ce n’est pas de cette sagesse-là dont il est question. Ou bien on parle philosophie ; or, le christianisme est fondamentalement autre chose qu’une philosophie ; il est l’expérience d’une rencontre personnelle avec une personne vivante : celle du Seigneur Jésus-Christ. Alors, de quelle sagesse s’agit-il ? Certainement pas d’un système philosophique comme celui d’Aristote ou de Descartes. Il s’agit d’un esprit de vigilance ; le Pape François, en bon jésuite qu’il est, parlerait d’un esprit de discernement.

Et de quoi est donc fait cet esprit de sagesse ou de discernement ? Au moins de trois éléments. D’abord de confiance. L’homme de notre parabole « appela ses serviteurs et leur confia ses biens. » « Seigneur tu m’as confié cinq talents …Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle en peu de choses, je t’en confierai beaucoup. » Cinq fois de suite, le mot de confiance revient sous différentes formes. Le lien qui unit le maître et ses deux premiers serviteurs est un lien de confiance ; la faute du troisième n’est pas d’enfouir son talent mais de craindre son maître : « J’ai eu peur. » Quel est notre lien envers notre Père ?

Le second élément de l’esprit de sagesse ou de discernement, est l’audace : « Tu m’as confié cinq talents : voilà, j’en ai gagné cinq autres. » De même pour le second serviteur. Le maître les félicite tous deux d’avoir risqué de perdre ce qui lui appartient en vue de gagner davantage. Nous venons à la messe pour recevoir une richesse fabuleuse ; qu’en faisons-nous ? Si nous sortons de cette église en pensant : « Ça y est, j’ai reçu mon Jésus, je suis tranquille pour une semaine, je le garde pour moi. Je peux penser à autre chose. », ne serions-nous pas dans une situation semblable à celle du troisième serviteur ?

Le troisième élément de cette sagesse est peut-être le plus étonnant : c’est celui qui est évoqué dans la première lecture. Dans ce passage, il ne s’agit pas de décrire sociologiquement le sort de la femme palestinienne au temps de Jésus. La femme parfaite dont il est question, c’est la sagesse elle-même, la sagesse incarnée dans une femme. Or, que fait cette femme-sagesse ? En quoi est-elle sage ? En un système philosophique ? Non : mais dans la calme gestion de la vie ordinaire. La sagesse que notre Dieu nous demande de développer n’est pas dans les nuages, mais dans la manière de mener notre vie quotidienne, à travers ce qu’on appelait autrefois le devoir d’état. Certains d’entre vous savent que je tiens un rôle dans un spectacle dont je vous parlerai bientôt. Dans ce spectacle, un des personnages dit à un autre : « Matthias est un homme qui a suivi le Christ depuis le début …Nous sommes tous des Matthias appelés à venir marcher avec Jésus. Et les Evangiles … sont là pour nous y aider…Et puis, si nous regardons bien, nous avons aussi notre quotidien…C’est dans le quotidien que nous trouvons (le Christ). »  

Confiance dans le Seigneur, audace fondée sur cette confiance, gestion de notre vie quotidienne à la suite du Christ, voilà quelques traits de l’esprit de sagesse et de discernement que l’Ecriture nous suggère et que l’Esprit Saint nous donne pour suivre le Christ sans avoir peur. C’est ainsi que nous veillerons pour être attentifs aux si nombreux passages du Christ dans nos vies.