Isaïe 60,1-6 Ps 71 Eph 3,2-3a+5-6 Mt 2,1-12
Par le Père Jean Paul Cazes
Comment ne pas en rester à l’imaginaire pour accueillir vraiment la signification de cette fête ? Ou, autrement dit : est-ce que l’Epiphanie a quelque chose à dire à notre foi d’aujourd’hui, au-delà des rois et des galettes ? Ce qui est ennuyeux, ce n’est pas qu’on imagine que les mages étaient trois, qu’ils étaient rois, qu’ils se nommaient Gaspard, Melkior et Baltazar, toutes choses qui ne sont pas dans l’évangile d’aujourd’hui mais qui ont été rajoutées par la riche imagination de nos ancêtres. Ce qui est ennuyeux, c’est qu’on en reste là et que cette fête, si importante pour les premiers siècles de l’Eglise, ne nous aide pas à vivre plus chrétiennement dans le monde tel qu’il est.
La liturgie a bien senti cette difficulté du passage de l’imaginaire à la signification. Dans quelques instants, après les offrandes, voici la prière que je dirai en votre nom : « Regarde avec bonté, Seigneur, les dons de ton Eglise qui ne t’offre plus ni l’or, ni l’encens, ni la myrrhe, mais celui que ces présents révélaient, qui s’immole et se donne en nourriture : Jésus, le Christ, notre Seigneur. »
Quelle pouvait être la signification de l’Epiphanie pour les premiers chrétiens ? Rappelons-nous : les tout premiers chrétiens étaient juifs ; certains d’entre eux découvraient, en Jésus, le Messie promis à leur peuple depuis longtemps. Mais très vite, grâce en particulier au ministère de Paul, ils ont découvert que ce Messie, ce Sauveur, avait, si je puis dire, une envergure universelle. Jésus n’est pas venu que pour les Juifs, mais tout autant pour les non-juifs, ceux qui étaient païens aux yeux des juifs. Deux découvertes donc : Jésus est le Messie attendu, Jésus est Messie pour tous les peuples. C’est ce que Paul écrit aux chrétiens d’Ephèse et que nous entendons aujourd’hui : « Ce mystère – c’est-à-dire cette réalité de foi – c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse(que le peuple juif), dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Evangile. » J’ai un peu modifié le texte de Paul, j’espère qu’il me le pardonnera. Il utilise le mot « mystère » dans un sens tout à fait différent du sens français ; chez lui, le mot « mystère » veut dire : « une réalité de foi ». Il n’y a rien de caché, mais au contraire, la signification de l’Epiphanie est révélée dans le fait que nous, les peuples non-juifs, les païens, nous entrons, grâce à Jésus et par l’annonce de l’Evangile, dans l’héritage promis au peuple juif.
Ce qui explique que depuis la seconde génération chrétienne – la génération des peuples évangélisés par Paul et les autres Apôtres – la fête de l’Epiphanie était une merveille : le Messie était venu aussi pour eux. Voilà pourquoi, pendant plusieurs siècles, la fête de l’Epiphanie fut célébrée avec plus de faste que celle de Noël ; d’ailleurs nos frères orthodoxes ont gardé cette coutume, tout en fêtant aussi, bien sûr, la naissance du Sauveur.
Que les mages soient trois ou mille, qu’ils soient rois ou non, qu’ils se nomment Gaspard, Melkior, Baltazar, ou Thibaud, Henri et Yvan, ça n’est pas là l’important. L’important est qu’ils soient païens et qu’ils viennent adorer le roi des Juifs. En eux, les païens devenus chrétiens se sont reconnus.
Au-delà des couronnes et de la galette, quelle peut-être la – ou les valeurs – de l’Epiphanie pour nous, aujourd’hui ?
D’abord une valeur d’action de grâce. Nous sommes depuis trop longtemps chrétiens, ça fait partie de nos habitudes. Il n’est jamais trop tard pour nous réveiller et pour nous émerveiller du don qui nous est fait en Jésus. Pour la plupart, nous sommes issus de peuples païens ; il nous est donné, à nous aussi, et sans mérite de notre part, d’être associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse que le peuple juif. Sans mérite de notre part, il nous est donné de devenir fils et filles de Dieu, de constituer l’Eglise qui est le Corps du Christ, et de recevoir tous les dons du salut. Que de motifs de remerciements ! Et que d’ingratitude souvent de notre part, nous qui savons si mal et si peu remercier notre Père !
Ensuite, une valeur missionnaire. Il n’est pas facile d’évangéliser, ni pour vous, ni pour moi. Mais si nous estimons que la Bonne Nouvelle du salut en Jésus-Christ est valable pour toute l’humanité, comment refuser de la diffuser ? Les peuples dont les mages sont les symboles sont loin de tous connaître Jésus : comment leur faire connaître ? Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que si nous acceptons de le faire, le Seigneur nous donnera les idées et les moyens de le faire. Nous ne pouvons pas garder pour nous une richesse qui appartient de droit à toute l’humanité.
Enfin, une valeur d’accueil et d’écoute. Il existe des païens qu’il faut aller rencontrer. Il y a aussi des païens qui viennent vers Jésus : j’en suis le témoin dans le Catéchuménat de notre paroisse. Et ces païens-là portent en eux d’étonnantes richesses. Ils viennent, eux, les non baptisés, avec leur or, leur encens et leur myrrhe. Les catéchistes et les accompagnateurs du Catéchuménat vous diront tous qu’ils sont eux-mêmes évangélisés par les enfants et les catéchumènes. Car le catéchisme et le Catéchuménat sont bien plus qu’un savoir à déverser : c’est un partage de ce que l’Esprit du Christ répand dans le cœur des baptisés comme dans celui des non-baptisés.
Il y a encore beaucoup à dire au sujet de la valeur de l’Epiphanie. A chacun de nous de découvrir la richesse infinie de ce mystère qui nous révèle que toutes les nations sont associées, avec le peuple de la Première Alliance, au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Evangile.