Am 8,4-7 Ps 112 1Tm 2,1-8 Lc 16,1-13
Par le Père Jean Paul Cazes
Dimanche dernier, nous avions droit aux trois paraboles de la miséricorde en St Luc : la brebis retrouvée, la pièce d’argent retrouvée et l’enfant prodigue. Ces trois paraboles étaient destinées à un public très vaste de collecteurs d’impôts, de pécheurs, de pharisiens et de scribes. La parabole qui suit immédiatement – la parabole qui nous est donnée aujourd’hui – s’adresse aux disciples, ce qui est un public plus restreint que le précédent. Comme si le Maître souhaitait donner un enseignement plus précis à ceux qui ont choisi de le suivre. J’ignore quel nom vous donneriez à cette parabole ; moi je lui en ai trouvé plusieurs : « Du bon usage de l’argent » ou « Eloge de l’habileté spirituelle » ou « Fils de ce monde et fils de la lumière ». A vous de chercher et de trouver ce qui vous semble le plus important dans cette parabole.
Une parabole que les disciples – et nous en faisons partie – n’ont pas pu recevoir sans un minimum de sens de l’humour. Certes, dans les évangiles, on ne voit pas Jésus rire. Mais ça ne l’empêche pas d’être rempli d’humour. Rien ne nous empêche de le voir sourire quand il raconte ses paraboles qui s’apparentent souvent à des histoires d’humour juif. C’est le cas aujourd’hui. Si ce n’est pas de l’humour, on risque de recevoir cette parabole comme un encouragement à la malhonnêteté, ce qui est un faux-sens, bien sûr. Jésus fait l’éloge de l’habileté du gérant mais pas de sa malhonnêteté. D’où la conclusion provisoire de la parabole : « Les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière. » Une conclusion qui sera comme redoublée sous une autre forme par le verset suivant : « Eh bien moi, je vous dis : Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles. » Si j’avais poursuivi la lecture, j’en serais parvenu à la conclusion définitive de tout ce discours : « Vous ne pouvez servir à la fois Dieu et l’argent. »
Souvent – et je le vois au catéchisme – un enseignement est mieux accueilli s’il est donné avec le sourire. L’enseignement d’aujourd’hui est grave. Jésus nous invite à choisir entre son Père et le dieu de ce monde. Ce qui était vrai pour les disciples autour de Jésus est aussi vrai aujourd’hui. Même si ça tombe mal !
Ça tombe mal au moment de la crise énergétique. Ça tombe mal au moment où le pouvoir d’achat diminue encore. Ça tombe mal au moment où le prix de fruits, des légumes verts, du pain augmente. Ça tombe mal au moment où 75% des français sont pessimistes face à l’avenir. Ça tombe mal au moment où le temps de l’abondance touche, paraît-il, à sa fin, cette abondance que même beaucoup de français n’ont d’ailleurs jamais connue.
Mais dans ce moment morose, nous qui avons Jésus comme lumière et comme guide, nous qui avons reçu la force et l’humour de l’Esprit, il est plus que temps de devenir ce que nous sommes : le sel. Car nous sommes le sel de la terre et la lumière du monde. Jésus nous demande d’être aussi habiles et astucieux que les diplomates, les industriels, les politiciens, les financiers…
Si 75% des français sont moroses face à l’avenir, j’imagine que beaucoup de catholiques font partie de ces 75% ; le contraire serait étonnant. Catholiques ou non, le prix de l’énergie est le même pour tous, le prix de la nourriture et de la santé est le même pour tous, les questions face à la réforme des retraites sont les mêmes pour tous, les inquiétudes face au dérèglement du climat sont les mêmes pour tous. Mais nous, nous avons Jésus !
Bien sûr, ce n’est pas Jésus qui va régler les factures de fin de mois. Ce n’est pas lui qui va remplir le panier de la ménagère, ce n’est même pas lui qui va rétablir le climat d’un coup de baguette magique. Si quelqu’un doit se retrousser les manches, ce n’est pas lui, car c’est déjà fait ; c’est nous. Chacun de nous à notre mesure, et nous, collectivement. Nous particulièrement les chrétiens parce que nous avons Jésus. Jésus ne règle rien, mais il ouvre un avenir car il nous aime. Un fiancé me disait un jour : « Je suis amoureux. Je dois toujours travailler, payer mes impôts, ça ne change pas. Mais je suis amoureux : et ça, ça change tout. »
Notre habileté à nous, fils et filles de la lumière, nous la puisons dans la prière, dans les sacrements, dans la Parole de Dieu lue et étudiée. Notre habileté à nous se trouve dans ce grand mouvement de synodalité que le Pape François souhaite pour l’Eglise. Notre habileté ici, dans cette paroisse, réside dans vos engagements, dans l’accueil réservé à ceux qui viennent de loin demander un sacrement, dans les projets de meilleure utilisation de nos locaux paroissiaux, dans les mouvements de jeunes … Nous ne sommes pas démunis. Nous avons tout cela. Mais, surtout, nous avons Jésus.
Sommes-nous suffisamment amoureux de Jésus pour changer notre monde ? Car là est la source de notre habileté.
L’humour, notre humour et celui de Jésus, ce n’est pas la rigolade : c’est la capacité que donne l’amour de prendre du recul pour pouvoir améliorer la vie et l’orienter vers notre Père.