27 décembre 2020
par le Père Jean Paul Cazes
Gn 15, 1-6 + 21, 1-3 Ps 104 (105) Hbx 11, 8+11-12+17-19 Lc 2,22-40
Avant-hier, prêcher était un exercice délicat : comment ne pas être naïf et cependant laisser l’espérance ouverte ? Comment ne pas être naïf en laissant croire que parce que nous fêtons Noël, tout est beau et merveilleux ? Et en même temps – comme on dit en haut lieu – comment cultiver l’espérance, justement parce que Jésus est né ?
Aujourd’hui, c’est une autre difficulté qui nous attend : parler de la famille à l’occasion de la fête de la sainte famille de Jésus.
Il est probable que la famille est, plus que jamais, une valeur sûre. Pourtant, elle est sujette à beaucoup de bouleversements. Ces bouleversements, vous les connaissez aussi bien que moi. Je les connais dans ma propre famille, et il est certain que beaucoup d’entre vous, ce matin, les vivent.
Il y a quelques générations, la description de la famille se concentrait au noyau père/mère/enfants. Mais déjà c’était une évolution puisque, auparavant, les grands-parents faisaient partie de la famille ; enfants et petits-enfants vivaient avec eux. Les « anciens » finissaient leur vie en famille ; la mort faisait partie de la vie, ce n’était pas un sujet tabou.
Puis le noyau familial s’est rétréci à ce que nous avons connu il y a encore peu. Et l’évolution a continué sous les effets conjugués de nombreux facteurs économiques et sociaux. La famille existe toujours et peut-être même plus qu’avant, mais sa description est aujourd’hui aléatoire. Et de nombreuses questions se posent douloureusement à notre foi : les divorces, les familles dites « recomposées », mais aussi, les personnes qui vivent une union homosexuelle, les questions relatives à l’enfant, que ce soit l’adoption, la GPA, les mères porteuses … toutes ces questions qui sont très délicates, douloureuses, et qui sont vécues parfois dans un climat de revendication qui n’aide pas à y voir clair.
Quel que soit l’angle sous lequel le prédicateur aborde le sujet de la famille, il devient aux yeux de certains soit un abominable conservateur, soit un dangereux laxiste. Et, dans tous les cas, la nouveauté évangélique n’est ni perçue, ni reçue.
Or, que ce soit dans les bouleversements actuels ou dans l’évangile, la famille est aimée. C’est un point commun important entre la mentalité de notre temps et l’évangile. Alors, au cas où nous serions tentés de nous traiter mutuellement de réactionnaires ou de progressistes, il nous est possible de partir de ce point commun : l’amour de la famille.
La première lecture de ce jour est tirée du livre de la Genèse et la seconde, de la lettre aux Hébreux. Ces deux textes ont environ 600 ans de distance. Mais ils disent, chacun à leur façon, des réalités fondamentales.
Ils disent que la famille – qui est une réalité ô combien charnelle, sociologique, amoureuse, culturelle, économique – est d’abord une réalité de foi. « (Le Seigneur) déclara : Telle sera ta descendance ! Abram eut foi dans le Seigneur… » Voilà ce que dit la Genèse. Et on lit dans la lettre aux Hébreux : « Grâce à la foi, Sara … fut rendue capable d’être à l’origine d’une descendance … »
Si nous, chrétiens, nous ne savons pas regarder la famille sous cet angle, qui le fera ? Pour nous, la famille est d’abord une réalité de foi, quelle que soit sa forme. En Occident, sa forme a évolué. En Afrique, elle ne revêt pas la même réalité. Du temps d’Abraham, elle était autre que pour nous maintenant. Alors, au lieu de nous déchirer, cherchons les uns et les autres, dans la réflexion et la prière, ce que notre Dieu désire pour nos familles.
La seconde leçon de nos deux lectures est la fécondité. Là encore, je prends le risque de blesser les couples qui ne peuvent pas avoir d’enfants et je les prie de me pardonner mes indélicatesses. Mais si l’enfant est le signe tangible de la fécondité, elle ne se réduit pas à lui. Il nous est demandé, à tous, d’être féconds. Je connais des foyers sans enfant. Ils sont blessés de ne pouvoir transmettre la vie; mais leur amour mutuel est si authentique qu’ils rayonnent autour d’eux.
Dans notre vie quotidienne, dans notre travail, nos relations, sommes-nous féconds ? Donnons-nous aux autres la possibilité de naître ? Vous savez peut-être que j’ai passé un an dans un des foyers de l’Arche de Jean Vanier, cette œuvre extraordinaire qui accueille des personnes handicapées mentales. Là, j’ai vu des personnes renaître grâce à l’amitié et au respect qu’on a pour elles. Cette œuvre est merveilleusement féconde. Elle est une vraie famille pour tous ces blessés de la vie.
La fête de la Sainte Famille ne nous donne pas forcément la description ultime de ce que devrait être une famille. Elle nous donne, par contre, un esprit qui devrait pouvoir marquer toutes nos relations. Nos familles, quelles qu’elles soient, vivent-elles un esprit de famille ? Sont-elles une réalité animée par la foi ? Sont-elles une réalité féconde ? Voilà deux questions que même notre assemblée paroissiale serait bien inspirée de se poser pour attirer nos concitoyens vers Jésus, ce Messie dont nous avons fêté la naissance.