Homélie du premier dimanche de l’Avent

Premier dimanche de l’Avent B, 29 novembre 2020
Lectures : Is 63,16-64,7 ; Ps 79 ; 1 Co 1,3-9 ; Mc 13,33-37
Au début de ce temps de l’Avent, nous commençons une nouvelle année liturgique dans la même disposition d’attente que celle où nous nous trouvions à la fin de l’année liturgique. Dimanche dernier, en la fête du Christ Roi de l’univers, nous attendions son retour glorieux en tournant notre regard vers la fin des temps. Aujourd’hui, le premier dimanche de l’Avent nous dispose à attendre plutôt l’avènement du Messie à l’aube de la nouvelle Alliance : Dieu vient parmi les hommes en Jésus-Christ. Tel est le mystère de l’incarnation que nous célébrerons à Noël, la fête de la Nativité du Seigneur Jésus !
L’attente nous fait souvent éprouver une absence, un manque, et donc le désir de quelque chose, ou plutôt le désir de quelqu’un : oui, nous avons soif de Dieu ! Mais en sommes-nous pleinement persuadés ? Avons-nous réellement soif de Dieu ? Nous manque-t-il vraiment ?
En cette année cruelle, où le confinement se prolonge et crée un malaise dans notre société, nous manquons de relations humaines, d’affection, d’écoute et de consolation. Bien des personnes que nous rencontrons sont tristes et angoissées, parce qu’elles font l’expérience d’une rupture, d’une absence ou d’un vide d’humanité. Mais souvent nous avons aussi l’impression que c’est la présence de Dieu qui est laissée comme une place vide dans le monde. Qui n’a pas fait l’expérience de l’absence de Dieu, de ce Dieu impalpable et invisible qui cache son visage et que nos sens extérieurs ne peuvent atteindre ? Qui n’a pas fait aussi l’expérience de l’abandon de Dieu ?
C’est exactement ce que ressentait le peuple d’Israël dans les propos du prophète Isaïe, dans la première lecture. La méditation d’Israël sur son histoire est exprimée comme une confession adressée à Dieu, qu’il appelle « notre père, notre rédempteur depuis toujours ». Israël reconnaît en effet qu’il s’est égaré dans l’errance, en dehors des chemins de Dieu, qu’il s’est endurci à cause de son péché et qu’il est sans crainte, c’est-à-dire que le lien spirituel au Seigneur s’est disloqué. C’est pourquoi, Israël crie son désir de la venue d’un Dieu qui se fasse proche de lui : « Reviens, à cause de tes serviteurs (…). Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais, les montagnes seraient ébranlées devant ta face. » Et aussitôt le peuple d’Israël reçoit la capacité de se souvenir de la puissance et de la bonté que Dieu lui a manifestées dans le passé, Israël peut se disposer à attendre une nouvelle manifestation de la puissance et de la miséricorde divines à son égard, car répète-t-il : « maintenant, Seigneur, c’est toi notre père. Nous sommes l’argile, c’est toi qui nous façonnes : nous sommes tous l’ouvrage de ta main. » En invoquant le nom de Dieu comme Père, Israël, comme un fils, reprend le chemin de la foi et persévère dans la confiance en son Seigneur qui peut tout pour lui. Le psalmiste ajoute aussitôt après : « Réveille ta vaillance et viens nous sauver. Dieu de l’univers, reviens ! »
C’est vrai, pendant l’Avent, nous sommes tous invités à nous réveiller du sommeil, de l’engourdissement spirituel, du laisser-aller ou de l’habitude qui s’installe en nous. « Prenez garde, restez éveillés », nous dit Jésus aujourd’hui à la fin de l’Évangile de Marc, juste avant d’entrer dans sa Passion. La parabole laisse d’ailleurs entendre que Dieu est « comme un homme parti en voyage ». Comme des veilleurs, nous attendons alors son retour impromptu. « Veillez donc, car vous ne savez pas quand vient le maître de la maison, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin ; s’il arrive à l’improviste, il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis. Ce que je vous dis là, je le dis à tous : Veillez ! » Quelle insistance de la part de Jésus dans cette attitude de veille active, qui signifie une quête inlassable des signes de la venue du Seigneur parmi les hommes ! Il nous arrive bien parfois d’avoir quelques grâces, mais trop souvent Dieu se cache ; la foi est davantage une vie spirituelle menée dans l’obscurité que dans la lumière éclatante du matin de Pâques. En ce moment, la nuit qui s’allonge progressivement à la fin de l’automne est un signe sensible de notre nuit intérieure. C’est pourquoi le temps de l’Avent est propice à la disposition du cœur qui veille dans la nuit, c’est-à-dire un cœur attentif aux visites inattendues de Dieu dans notre vie quotidienne, un cœur attentif à la proximité de Dieu dans les événements qui nous entourent, un cœur qui se laisse modeler par le travail secret de la grâce divine en lui et qui place toute son espérance dans le Seigneur. L’Avent est chaque année un temps de grâce qui nous est accordé pour accueillir Dieu qui vient dans notre chair raviver notre désir de vivre et d’agir pour lui et de préparer le retour final du Christ, comme nous le disons dans la liturgie : « Nous attendons ta venue dans la gloire. » Voilà pourquoi nous devons tous aiguiser notre vigilance.
Dans la nuit obscure et dans la nuit de la foi, l’Avent nous situe donc dans une attente vigilante, mais il nous dispose également à la joie. Comme un ami attend son ami, comme une mère attend son enfant, comme la Vierge Marie attend la mise au monde de Jésus, notre cœur est tendu vers la venue joyeuse du Sauveur. C’est ainsi que Noël ne sera pas le pur souvenir d’un événement du passé, mais un véritable mémorial, au même titre que l’eucharistie, c’est-à-dire l’actualisation du mystère de la Nativité de Jésus ou plus précisément la réalisation dans notre vie de foi aujourd’hui de la venue de Dieu dans notre chair pour nous sauver. Même si cette année Noël ne sera peut-être pas un Noël normal, se préparer à la visite et à la manifestation divine devrait déjà instiller la joie au fond de nous et nous inviter déjà à rendre grâce dans notre prière.
C’est ce que fait saint Paul dans la deuxième lecture quand il écrit aux Corinthiens : « Je ne cesse de rendre grâce à Dieu à votre sujet, pour la grâce qu’il vous a donnée dans le Christ Jésus ; en lui vous avez reçu toutes les richesses, toutes celles de la parole et de la connaissance de Dieu. » Avec saint Paul, moi aussi je veux rendre grâce à Dieu pour vous, chrétiens de Courbevoie, qui pendant ces dernières semaines de confinement pour des raisons sanitaires, avez mené une vie de foi cachée chez vous, coupés de la célébration habituelle de la messe, et qui avez apporté un élan de ferveur dans notre église paroissiale en participant à la seule communion proposée le dimanche midi ainsi qu’à la prière personnelle, aux offices et à l’adoration. Avec les restrictions qui nous sont encore imposées, persévérons toujours dans la foi et la relation vivante avec le Seigneur !
Quelle grâce allons-nous donc demander à Dieu en ces jours qui nous séparent de Noël ? Nous lui demanderons de nous aider à adopter une attitude positive de veilleurs au cœur de nos nuits ou de nos détresses, de nous aider à ne pas baisser la garde mais à garder courage. Nous lui demanderons d’être animés par la joie et intérieure et extérieure, parce qu’elle est la joie d’une foi agissante qui nous rend témoins de l’espérance qui est en nous. Oui, montrons autour de nous, dans notre famille, dans notre quartier, dans notre lieu de travail, que nous vibrons à la fois sous le signe de la présence actuelle de Jésus et dans l’attente de son retour. « Gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit, au Dieu qui est, qui était et qui vient, pour les siècles des siècles. Amen ! »