Solennité de la Toussaint 2020
Lectures : Ap 7,2-14 ; Ps 23 ; 1 Jn 3,1-3 ; Mt 5,1-12
Dans le livre de l’Apocalypse, nous entrevoyons une foule immense de saints de toutes nations, races, peuples et langues, se tenant debout devant le trône de Dieu et devant l’Agneau, revêtus de robes blanches et portant les palmes de la victoire à la main. Ce scénario représente l’adoration du Dieu Très-Haut. La solennité de la Toussaint que nous fêtons aujourd’hui manifeste l’élévation de l’Église des saints vers le Ciel et lui confère une dimension d’éternité.
Mais cette élévation lumineuse semble obscurcie en ce moment par la seconde vague de contamination du Covid qui nous replonge dans le confinement et par le massacre d’innocents qui priaient leur Seigneur il y a quelques jours dans une église de Nice. Ce regard vers le ciel semble bientôt nous abaisser vers la terre, quand demain nous célébrerons une dernière messe pour commémorer nos fidèles défunts, ces êtres qui nous sont chers et qui sont morts tout au long de l’année, tout particulièrement ceux qui ont succombé à la pandémie ou qui sont morts au printemps dernier dans l’enfermement et la solitude la plus inhumaine des maisons de retraite. Avec le changement d’heure récent, la précocité de la nuit et l’approche de l’hiver nous apparaissent aussi comme des signes de mort. Cependant évoquer la mort le 2 novembre au lendemain de la fête glorieuse de la Toussaint ne signifie pas vivre la mort comme une condamnation, mais la vivre comme un passage qui nous fait vivre en plénitude la vie éternelle déjà reçue au baptême. Dans trois semaines enfin, en la solennité du Christ-Roi de l’univers, nous achèverons l’année liturgique et nous insisterons sur la récapitulation de tous les temps dans le Christ.
En fêtant aujourd’hui tous les saints officiels ou inconnus, nous voulons célébrer Dieu et sa gloire. Une des prières eucharistiques adresse à Dieu cette parole : « Toi qui es vraiment saint, toi qui es la source de toute sainteté, Seigneur, nous te prions. » Dieu seul est saint. Il a déjà manifesté sa sainteté dans le passé, dans de majestueuses théophanies, comme au mont Sinaï dans le buisson ardent ou à l’intérieur du temple de Jérusalem. La sainteté de Dieu exprime toute la richesse, toute la vie, toute la puissance et toute la bonté qui le distinguent du monde où nous nous trouvons. Pourtant puisque l’homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, l’homme est lui-même revêtu de cette sainteté et il la reçoit par participation. Sa vie acquiert donc un caractère sacré, que nul n’est en droit de soustraire, un caractère inaliénable qui va de sa conception à son terme. C’est pourquoi un meurtre est une atteinte à la sainteté de Dieu ; et c’est pourquoi le pape François plaide pour l’abolition universelle de la peine de mort. Personne ne peut s’arroger le droit de se prendre pour Dieu, qui est le seul maître de la vie et de la mort.
Pour un chrétien, c’est l’Esprit Saint qui au baptême produit en l’homme la sanctification de sa vie, dans laquelle il doit sans cesse se replonger et se renouveler. Le saint, c’est celui qui se laisse inonder, envahir par le Dieu saint, c’est celui qui est habité par l’Esprit de Dieu et qui devient un temple du Seigneur. Le saint n’est pas un héros inaccessible ou une vedette de spectacle, mais celui qui mène sa vie en communion avec Dieu dans la plus grande simplicité et souvent de façon effacée.
Il est vrai que certaines figures de saints nous frappent par leurs dons exceptionnels ou leurs talents de thaumaturge, comme saint Antoine du désert, qui au IIIème siècle, guérit à la manière de Jésus des personnes possédées par le démon, comme saint Martin de Tours, qui au IVème siècle guérit un paralytique, ou plus près de nous, comme le Padre Pio, qui au XXème siècle possédait le don d’ubiquité. D’autres saints cependant revêtent moins d’éclat, mais ont été de véritables lumières, là où ils se trouvaient, comme saint Jean de la Croix au XVIème siècle, qui traça la réforme de l’ordre du Carmel sur les routes d’Espagne, ou Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus au XIXème siècle, qui vécut au fond de son Carmel à Lisieux et fut pourtant déclarée patronne des missions. Il y a aussi près de nous le bienheureux Carlo Acutis, emporté par une leucémie foudroyante en 2006 à l’âge de 15 ans et béatifié à Assise il y a seulement 15 jours, parce que dès son plus jeune âge il avait un amour de l’eucharistie hors du commun, qu’il savait témoigner du Christ dans sa famille peu pratiquante et auprès de ses amis avec une audace inouïe et qu’il nourrissait les pauvres croisés sur son passage.
Ce qui anime la plupart des saints, c’est en fait l’expérience des béatitudes qui les a unis au plus haut point à Jésus. Tout être aspire au bonheur et cette aspiration est inscrite en son cœur. Mais tous les êtres n’ont pas la conscience éclairée du vrai bonheur auquel ils sont destinés par Dieu. Jésus, venu parmi nous, nous enseigne comment vivre le bonheur en communion avec Dieu son Père, le bonheur qui plaît à son Père. Justement les saints, d’une manière ou d’une autre, ont approché cette réalité spirituelle : c’est la pauvreté du cœur qui n’a d’autre richesse que celle du cœur de Dieu ; ce sont les larmes qui sont versées sur leur péché et qui accueillent la consolation du Père de toute miséricorde ; c’est la douceur du tempérament ou du caractère qui reçoit en échange de Dieu un espace de douceur ; c’est la faim et la soif de Dieu, car Dieu est leur seule justice ; c’est la miséricorde donnée aux autres qui leur ouvrent alors les portes de la miséricorde que Dieu veut leur donner ; c’est la pureté du cœur qui donne accès à la vision de Dieu ; c’est la recherche de la paix qui est une œuvre de Dieu ; c’est l’acceptation de l’épreuve, de la souffrance ou de la persécution, pour accompagner le fardeau porté par le crucifié.
Ces huit béatitudes sont huit expressions du bonheur authentiquement et pleinement vécu par Jésus lui-même. En prenant notre condition humaine, Jésus mène à sa perfection le chemin que tout être doit parcourir pour mener à bien son existence selon le projet de Dieu le Père. Ce chemin est un élan vers Dieu, et précisément le mot « heureux » signifie en hébreu « marcher droit devant soi » ou bien « progresser » ; d’ailleurs le traducteur et poète André Chouraqui traduit ce mot par « en marche ! » Ce mouvement de bonheur, qui fait vivre selon le bon vouloir du Père, introduit alors dans le royaume des Cieux, là où l’homme est consolé, rassasié, comblé de miséricorde et d’allégresse. L’homme et la femme n’ont donc d’autre but que la vision de Dieu qui est leur destinée pour l’éternité. Si ici-bas nous ne voyons Dieu qu’à travers le voile de la foi, le jour de sa manifestation pour chacun d’entre nous, nous le verrons face-à-face, tel qu’il est, comme l’écrit saint Jean dans sa première lettre. Par les fruits de justice que nous recueillons sur cette terre, par l’application que nous mettons à connaître, à servir et à aimer Dieu, nous préparons notre accès à la gloire du Ciel, où déjà nous précèdent ceux qui ont rougi leurs vêtements dans le sang de Jésus, l’Agneau, par le sacrifice de leur vie, et où nous précèdent ceux qui ont blanchi leurs vêtements dans une vie unie au Christ dans l’amour. Le monde a besoin de saints, pas seulement au Ciel, mais aussi sur la terre ; soyons de ceux-là ! Ce défi vous est lancé à tous, en particulier en ces temps difficiles. Il est lancé aux enfants, il est lancé aux jeunes, il est lancé aux adultes, il s’adresse aussi aux personnes âgées. Que chacun à sa place rivalise de zèle pour transformer notre monde qui donne la triste impression d’être mortifère !
Père Yvan Maréchal