par le père Yvan Maréchal
Lectures : 2 S 7,1-16 ; Ps 88 ; Rm 16,25-27 ; Lc 1,26-38 20 décembre 2020
« Je vous salue, Marie, pleine de grâce. » Combien de fois avons-nous prononcé cette prière toute simple, dans les moments de joie comme dans les moments de peine, en reprenant les paroles de la salutation de l’ange Gabriel : « Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi. » L’Angélus, que nous pouvons prier matin, midi et soir, ne fait pas autre chose quand il nous introduit dans la venue du Seigneur Jésus dans notre chair, en portant l’annonce joyeuse de l’ange, en énonçant le consentement de Marie et en affirmant l’incarnation du Fils de Dieu en elle.
Nous sommes peut-être habitués aux représentations picturales de l’Annonciation. Nous connaissons par exemple les peintures de Grünewald, de Donatello ou de Fra Angelico, où Gabriel est souvent figuré toutes ailes déployées, majestueux et plein d’assurance, devant Marie assise en prière, en extase, sans peur aucune, mais pleine de confiance.
À l’Annonciation se réalise en effet ce qui était attendu depuis des siècles, comme l’exprime saint Paul dans la lettre aux Romains : « révélation d’un mystère gardé depuis toujours dans le silence, mystère maintenant manifesté au moyen des écrits prophétiques, selon l’ordre du Dieu éternel, mystère porté à la connaissance de toutes les nations pour les amener à l’obéissance de la foi ». Le mot « mystère » signifie ce qui est fermé et conservé dans le silence, ce que Dieu gardait dans son cœur, mais qui est désormais révélé, porté à la connaissance des hommes, ce qui est donc manifesté. Ce mystère, c’est donc ici la révélation du Dieu caché faite à toutes les nations. Depuis les prophètes qui l’ont annoncée, depuis David qui a reçu la promesse d’une descendance et d’une royauté pour toujours, la venue du Sauveur est attendue par toute l’humanité. À l’Annonciation s’accomplit alors le consentement au salut exprimé par le oui de Marie.
Dans la première lecture, c’est-à-dire dans le Deuxième livre de Samuel, le roi David de Jérusalem habite une maison de cèdre et il a la mauvaise conscience de savoir que l’arche d’alliance, qui symbolise la présence de Dieu, est abritée par une simple toile de tente. C’est pourquoi il prend la décision de construire un temple pour Dieu. Ainsi Dieu qu’il honore et qu’il veut servir pourra être vraiment présent au milieu de la cité de Jérusalem. Cependant Dieu lui-même intervient par l’intermédiaire de son prophète Nathan pour lui faire à la fois un blâme et une promesse. En effet, contrairement au projet royal, David ne construira pas le temple, parce que la maison de Dieu ne peut pas être faite de mains d’homme. Mais Dieu, qui a édifié le royaume de David en le soutenant dans ses victoires, lui bâtira une maison : cette maison voulue par Dieu ne sera pas une maison de pierre, parce que Dieu ne peut pas vraiment être contenu dans la pierre, elle sera plutôt la grande famille royale, la descendance de David : « Ta maison et ta royauté subsisteront toujours devant moi, ton trône sera stable pour toujours. » Cette construction inouïe sera donc avant tout humaine et spirituelle. Bien plus, la promesse faite à David et à sa descendance s’adresse à nous aussi aujourd’hui, si nous croyons qu’elle s’est accomplie en Jésus-Christ.
Dans l’Évangile de saint Luc, Marie reçoit à son tour un messager prestigieux, bien plus qu’un prophète, puisqu’il s’agit de l’ange Gabriel qui lui annonce qu’elle a été choisie par Dieu pour mettre au monde un fils ; elle a donc été élue pour être le temple dans lequel Dieu établira son Fils, elle sera le temple de la présence du Seigneur. Marie est « Comblée-de-grâce », parce que dès le premier instant de son existence, Dieu avait choisie Marie et il l’avait préparée, pour qu’elle devienne le temple déjà annoncé à David 1000 ans auparavant et pour qu’elle établisse en elle la demeure de son divin Fils. Ce Fils, c’est Jésus, qui est plus que le fils de David : « Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il régnera pour toujours sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. » En Marie, Dieu veut donc former un corps composé à la fois d’une nature divine semblable à la sienne et d’une nature humaine semblable à la nôtre. Ce Fils de Dieu et de Marie sera le Messie attendu par Israël. Il est aujourd’hui le sauveur attendu par toute l’humanité.
À l’Annonciation, Marie s’interroge pourtant sur la façon dont se fera la conception de son enfant. « Comment cela va-t-il se faire, puisque je ne connais pas d’homme ? » Marie ne se pose pas de question sur la conception biologique de l’enfant, mais elle demande comment elle doit entrer dans le mystère de Dieu et accueillir le projet de Dieu. L’ange lui en donne alors la réponse : « l’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint, il sera appelé Fils de Dieu. »
Le fils que Marie concevra ne sera pas comme Jean-Baptiste qui fut une récompense offerte à Zacharie l’homme juste et à son épouse Élisabeth la stérile. Il ne sera pas l’enfant d’un vieux couple, l’enfant que l’on n’espérait plus attendre. Il sera davantage, il sera l’enfant de la virginité, le premier homme d’une nouvelle humanité, d’une nouvelle création accomplie par l’Esprit Saint.
C’est pour cela que Marie est appelée à prendre une décision. Et le monde attend le oui de Marie, comme l’exprime saint Bernard dans son Sermon sur les louanges de la Vierge Marie : « Ta réponse, ô douce Vierge, Adam l’implore tout en larmes, exilé qu’il est du paradis avec sa malheureuse descendance ; il l’implore, Abraham, il l’implore, David, ils la réclament tous instamment, les autres patriarches, tes ancêtres, qui habitent eux aussi au pays de l’ombre de la mort. Cette réponse, le monde entier l’attend, prosterné à tes genoux. Et ce n’est pas sans raison, puisque de ta parole dépendent le soulagement des malheureux, le rachat des captifs, la délivrance des condamnés, le salut enfin de tous les fils d’Adam, de ta race entière. Ne tarde plus, Vierge Marie. Vite, réponds à l’ange, ou plutôt, par l’ange réponds au Seigneur. Réponds une parole et accueille la Parole ; prononce la tienne et conçois celle de Dieu ; profère une parole passagère et étreins la Parole éternelle. Pourquoi tarder ? Pourquoi trembler ? Crois, parle selon ta foi et fais-toi tout accueil. (…) Lève-toi, cours, ouvre lui : lève-toi par la foi, cours par l’empressement à sa volonté, ouvre-lui par ton consentement. » Toute l’histoire humaine dépend donc de Marie et de sa réponse. Pour que Dieu puisse se révéler pleinement, il faut qu’il y ait une collaboration humaine, sinon l’œuvre de Dieu ne pourra pas s’accomplir. Marie se présente alors comme la vraie croyante qui accepte de collaborer fidèlement au projet du Seigneur. Et c’est ainsi que se réalise l’incarnation dans le sein de cette femme qui se livre totalement à l’œuvre de son Fils : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. »
Marie ose poser un acte de foi devant le mystère invisible et s’engage totalement au service de Dieu. Comme Marie, nous devons oser vivre de la foi et croire dans la vie que Dieu donne, car rien n’est impossible à Dieu. Trop souvent, dans notre foi, nous passons à côté de Dieu, parce que nous l’attendons ou le cherchons dans des actions extraordinaires, sur une route menée à la mesure de notre projet et de nos désirs. Le chemin du Seigneur nous paraît déroutant et nous fabriquons ainsi nous-mêmes le sentiment de l’absence de Dieu. En réalité, ce n’est pas Dieu qui s’absente, c’est nous qui avons quitté la vie cachée de Nazareth. Ce n’est pas l’heure de Dieu qui tarde, c’est nous qui ne l’attendons plus. Marie, elle, n’a pas d’autre projet que de laisser Dieu agir et de trouver grâce auprès de lui. C’est pourquoi, même si le message de Dieu l’ébranle, parce que l’irruption de son amour est toujours bouleversante, sa première réponse est toute sublime : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. »
Cher paroissiens, nous aussi, nous sommes invités à entrer dans cette même collaboration à l’œuvre de Dieu. Est-ce que comme Marie, nous y inscrivons toute notre bonne volonté, tout notre oui inconditionnel à Dieu ? Ou au contraire baissons-nous les bras, parce que la tâche est trop lourde à porter, parce que Dieu semble nous demander un effort trop grand, parce qu’il semble se taire ? Aujourd’hui peut-être, il n’est pas trop tard pour reprendre le chemin de conversion préparé par Jean-Baptiste, ressaisir une vie spirituelle qui se relâche et se mettre au service du Seigneur de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa force. Peut-être aussi qu’à notre manière nous pouvons engendrer par la foi le Fils de Dieu, comme le dit saint Ambroise dans l’une de ses Homélies sur l’évangile de Luc : « Heureux, vous qui avez entendu et qui avez cru ; car toute âme qui croit conçoit et engendre le Verbe et le reconnaît à ses œuvres. Que l’âme de Marie soit en chacun de vous, pour qu’elle exalte le Seigneur ; que l’esprit de Marie soit en chacun de vous, pour qu’il exulte en Dieu. S’il n’y a, selon la chair, qu’une seule mère du Christ, tous engendrent le Christ selon la foi. (…) Toute âme qui peut vivre ainsi exalte le Seigneur, comme l’âme de Marie a exalté le Seigneur, et comme son esprit a exulté en Dieu son sauveur. »