Par le pere Jean Paul Cazes
Dt 6,2-6 Psaume 17 (18) Hbx 7,23-28 Mc 12,28b-34
Souvent, des enfants, et même des adultes, disent : « Le christianisme est difficile : tous ces dogmes, tout le credo ... » C’est le « ressenti », comme on dit maintenant ; mais est-ce exact ? Le christianisme est tout entier dans ce que Jésus nous dit aujourd’hui : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu …Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Tout est dit, ce n’est pas bien difficile. Ce qui est difficile, ce n’est pas de mémoriser ces deux phrases, mais de les mettre en pratique.
Pour nous, chrétiens, disciples du Christ, le lien entre ces deux phrases est fondamental. On ne peut les séparer. Dans sa première lettre, st Jean écrit que personne ne peut aimer Dieu, qu’il ne voit pas, s’il n’aime pas son frère qu’il voit (1 Jn 4,20) . Vous savez aussi qu’on ne peut pas choisir entre l’attitude de Marthe et celle de Marie : les deux sont indissociables (Lc 10,38-42). Pourquoi ?
Parce que c’est ce que Jésus lui-même a fait. Il n’a jamais séparé l’amour qu’il offrait à son Père de l’amour qu’il nous donne. C’est parce qu’il aime son Père qu’il nous aime ; et c’est en nous aimant jusqu’au bout qu’il honore son Père. En lui, les deux amours se répondent. Si les deux commandements se trouvent dans deux livres différents – le premier dans le Deutéronome (Dt 6,4-5)le second dans le Lévitique (Lv 19,18)– Jésus les rassemble dans une phrase étonnante : « Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. » Ce qui veut dire : il n’y a qu’un seul commandement, et ce commandement est double. Le génie de Jésus, si je puis dire, c’est d’avoir lié définitivement ces deux commandements. Il ne les a pas inventés, ils se trouvent dans la Torah ; mais il les a rassemblés, dans sa pensée comme dans sa vie.
Pour le dire autrement, Jésus divinise l’amour humain et il humanise l’amour que nous offrons à Dieu.
Jésus divinise l’amour humain. Comment cela ? L’amour est dans notre ADN ; c’est par amour que la Création existe. L’amour maternel, si sacré qu’il soit entre un nourrisson et sa mère, se trouve aussi à sa manière dans le règne animal. L’amour est naturel. De cet amour, Jésus en fait l’image de l’amour que Dieu nous porte. La moindre parcelle d’amour, même chez l’homme tombé au plus bas, est signe de la présence de Dieu. Attention donc au regard que nous portons les uns sur les autres. Attention même au regard que nous portons sur nos ennemis ; Jésus n’a pas sauté au cou de Pilate, mais il a donné sa vie à tous les hommes, y compris à Pilate. Nos ennemis, nos adversaires, ont quelque chose de Dieu en eux : comment les regardons-nous ?
Jésus humanise l’amour que nous offrons à Dieu. D’abord parce qu’Il a aimé son Père à la manière d’un homme ; il n’a pas fait semblant d’être homme. Il a aimé son Père par des gestes d’homme, par des paroles d’homme. Ensuite parce que son amour pour son Père est aussi passé par son amour pour les autres hommes. Il n’y a qu’à relire les évangiles pour voir comment Jésus a respecté celles et ceux qu’il croisait, comment il les a écoutés, comment il les a compris, comment il les a guéris, comment il les a sauvés. Et comment il continue de nous sauver. C’est de cette manière qu’il humanise l’amour qu’il porte à son Père. Et c’est de cette manière, à sa suite, que nous pouvons aimer Dieu de tout notre sensibilité, de toute notre aspiration à la vie divine, de toute notre intelligence et même de toutes nos forces physiques.
L’amour dont Jésus nous parle est tout autre chose que de la guimauve. L’art des derniers siècles, et même certaines formes de l’art moderne, ne nous aide pas : il est souvent dégoulinant de bons sentiments, de pieuseries niaises : les magasins de Lourdes en sont remplis ! L’amour humano-divin vécu par Jésus est fort et n’a rien d’une atmosphère de bisou-nours. C’est un amour qui est passé par le feu de la Croix. C’est là que l’amour pour Dieu, qui est vertical, croise l’amour pour l’homme qui est horizontal. C’est au croisement des deux que se tient le cœur de Dieu, et c’est là qu’il nous invite à l’imiter.