homélie du 12 mai 2024   7ème dimanche de Pâques  année B

Par le père Jean Paul Cazes

Actes 1,15-17+20a.c+26   Psaume 102   1 Jn 4,11-16   Jn 17,11b-19

 

Jésus prie : « Père saint … »

Les Evangiles sont très discrets au sujet du contenu de la prière de Jésus. En revanche, nous en avons ici un magnifique exemple, situé dans le grand discours tenu juste après la Sainte Cène du Jeudi saint. Pour nous, c’est une petite difficulté chronologique : nous venons de fêter l’Ascension et nous nous préparons à fêter la Pentecôte. Le passage d’évangile qui nous est offert aujourd’hui se situe avant la Passion, donc bien avant l’Ascension.

Au seuil de sa Passion, Jésus prie. Nous croyons que Jésus est vraiment Dieu et vraiment homme ; en tant que Dieu, il ne se prie pas lui-même, mais en tant qu’homme, il s’adresse à son Père de qui il tient tout et vers lequel il se prépare à revenir.

Sa prière personnelle est à l’image de celle qu’il a donnée à ses disciples : « Lorsque vous prierez, dites : Notre Père ». Jésus vient du Père ; il a tout reçu du Père, il retourne au Père ; Il est logique qu’il s’adresse au Père.

Il prie le Père mais non pas pour lui-même : il le prie pour nous. Et il utilise trois mots fondamentaux qui donnent une colonne vertébrale à notre vie de disciples-missionnaires : fidélité, unité, vérité.

Si personnellement et communautairement, nous sommes fidèles à Dieu notre Père, si nous construisons entre nous l’unité qui est tout autre chose que l’uniformité et si nous adhérons à la Vérité qui n’est pas une doctrine mais qui est Jésus lui-même, alors nous serons vraiment les artisans du salut du monde. Car c’est de cela dont il s’agit dans cette prière comme dans toute la vie de Jésus : le salut du monde.

Ici, il faut mettre à jour une difficulté de langage. St Jean utilise le mot « monde » au moins dans deux sens différents. D’abord dans un sens très positif lorsque Jésus dit à Nicodème : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils… » (Jn 3,16) Ensuite dans un sens négatif : « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï en premier. » (Jn 15,18) Il faut préciser : ce qui doit être rejeté et combattu, ce n’est pas le monde, mais le prince de ce monde, ou le Mauvais dont parle Jésus ici même ; et les armes pour le combattre sont la fidélité, l’unité et la vérité. S’il faut rejeter le prince de ce monde, il faut convertir le monde.

Voilà pourquoi Jésus ne demande pas au Père de nous retirer du monde mais de nous donner la force de combattre les mauvaises coutumes de ce monde. C’est ce que, dès le début du christianisme, les disciples ont compris. Je tiens à vous citer quelques lignes d’un très ancien document du second siècle de l’Eglise qu’on appelle la lettre à Diognète. « Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les coutumes… Ils habitent les cités grecques et les cités barbares suivant le destin de chacun ; ils se conformant aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et le reste de l’existence, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur manière de vivre. Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens, et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie leur est une terre étrangère. Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés. » On peut trouver la totalité de ce texte extraordinaire sur internet : je ne peux que vous encourager à le chercher.

En ce temps de vote pour le Parlement européen, en ce temps où la guerre gronde aux portes de l’Europe, en Terre sainte et dans bien d’autres lieux du monde, en ce temps où la vie est menacée depuis le sein de la mère jusqu’aux derniers moments, il est bon de se redire que si nous nous conformons aux usages locaux , nous avons à manifester, humblement mais réellement, les lois paradoxales de notre propre manière de vivre. L’auteur de la lettre à Diognète donne comme exemple le fait que les chrétiens du second siècle n’abandonnent pas leurs nouveau-nés à l’encontre des coutumes du moment. L’ancien archevêque de Marseille, Mgr Coffy, disait : « Les croyants ne vivent pas une autre vie que la vie ordinaire, mais ils vivent autrement la vie ordinaire. »

Le Seigneur Jésus n’a pas prié son Père de nous retirer du monde ; comme lui, et avec lui, nous sommes envoyés dans le monde. Seul Jésus est capable de sauver le monde qu’il aime, mais il fait de nous ses collaborateurs pour que nous vivions dans notre monde, le monde de notre époque, en étant liés à lui par la fidélité, l’unité et la vérité, qui sont trois dons de l’Esprit Saint.

 

Telle est la prière de Jésus au seuil de sa Passion.