Ex 20, 1-3+7-8+12-17 Ps 18b (19) 1 Co 1,22-25 Jn 2, 13-25
par le Père Jean Paul Cazes
J’entends souvent qu’on est gêné par le geste de Jésus qui chasse les marchands du Temple, alors qu’en même temps on regrette que les marchands envahissent Lourdes. D’ailleurs, c’est inexact : à Lourdes, les marchands de chapelets et autres colifichets religieux sont à l’extérieur du sanctuaire, alors qu’à Jérusalem ils étaient dans le Temple lui-même. Mais que ce soit pour Jérusalem ou pour Lourdes, on s’attache à ce qui est secondaire dans le texte sans voir le principal.
Que Jésus se soit mis en colère et qu’il ait chassé fermement les vendeurs est secondaire par rapport à ce qui est affirmé à cette occasion : « Lui parlait du sanctuaire de son corps. Aussi, quand il se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Ecriture et à la parole que Jésus avait dite. »
Ce que les disciples retiennent, ce n’est pas le coup de sang de Jésus, mais le fait que le vrai Temple de Dieu, le vrai lieu de la présence de Dieu, c’est Jésus lui-même dans son corps.
Beaucoup ont pleuré lors de l’incendie de Notre Dame, et moi parmi tant d’autres car c’est l’église de mon ordination. Je suis heureux de sa reconstruction. Mais un jour, comme toutes choses humaines, elle disparaîtra. St Pierre de Rome disparaîtra. Ste Sophie de Constantinople, qui est une église – n’en déplaise au président turc – disparaîtra aussi. Mais la foi chrétienne ne disparaîtra pas pour autant.
Car le véritable lieu de la présence de Dieu n’est pas une construction humaine, si belle soit-elle. Le lieu fondamental de la présence divine est le Christ. St Paul écrit aux chrétiens de Colosses : « (Dans le Christ) habite toute la plénitude de la divinité… » Et il ajoute pour être certain d’être bien compris : « corporellement. » (Col 2,9) Dans le corps humain du Christ, ce corps conçu du St Esprit, né de la Vierge Marie, ce corps qui a partagé notre vie humaine, ce corps qui a souffert, qui est mort et ressuscité, dans le corps humain du Christ réside la plénitude la divinité.
C’est ce corps ressuscité qui se fait nourriture pour chacun de nous. C’est ce corps que nous recevons pour faire corps avec Jésus, pour faire Eglise avec Jésus. L’Esprit Saint fait du Christ individuel uni à son Eglise qui est son corps mystique le lieu où trouver la plénitude de la divinité.
Du temps du Christ, tous les peuples autour de la Méditerranée adoraient leurs dieux dans des maisons qui étaient la maison du dieu ou de la déesse. Même les Hébreux avaient construit le Temple de Jérusalem pour y abriter le Seigneur. Nul ne pouvait y entrer, à part le Grand Prêtre, et seulement une fois par an.
Jésus bouleverse cette façon de voir. Il offre à l’humanité un culte universel ; grâce à lui, chaque être humain peut approcher la divinité et pas seulement le Grand Prêtre. Il n’y pas besoin d’un lieu pour cela : c’est le Christ lui-même, c’est l’Eglise elle-même, qui sont les demeures de Dieu ; et chacun de nous l’est aussi par son baptême et sa confirmation.
En rigueur de terme, les églises que nous construisons ne sont pas les demeures de Dieu ; Dieu n’en a pas besoin. Il a choisi d’avoir besoin de notre cœur. C’est le Christ, c’est l’Eglise, c’est nous qui sommes la demeure de Dieu. Par contre nous, pauvres humains, nous avons besoin d’un toit au-dessus de nos têtes. Les bâtiments de nos églises ne sont pas les demeures de Dieu, mais les demeures du peuple de Dieu ; pour aider notre prière, pour nous rassembler, pour faire corps, pour faire Eglise, il nous faut un bâtiment. Heureux sommes-nous, ici, d’en avoir un !
Je suis toujours un peu ennuyé d’entendre un adulte dire à un petit enfant : « Entrons dans la maison de Jésus. » Ce n’est pas ainsi qu’on éduque un enfant à la foi chrétienne. J’aimerais mieux entendre quelque chose comme : « Allons dire bonjour à Jésus. » Car la maison de Jésus, c’est le cœur de cet enfant, c’est le cœur de l’adulte qui l’accompagne. En regardant nos églises, en aimant nos églises, en aimant Notre Dame de Paris, ne retombons pas dans le paganisme qui faisait d’un temple bâti de main d’homme la demeure de Dieu.
Et ceci est capital puisque c’est lors de la Résurrection du corps de Jésus que les disciples crurent dans les paroles de l’Ecriture et en ce que Jésus avait dit. Ils se rappelèrent probablement ce que Salomon avait dit lui-même lorsqu’il construisit le Temple de Jérusalem : « Est-ce que vraiment Dieu pourrait habiter sur la terre ? Les cieux eux-mêmes ne peuvent te contenir ! Combien moins cette Maison que j’ai bâtie ! » (1 R 8, 27) Alors, si le bâtisseur du Temple de Jérusalem a dit cela, combien plus nous, chrétiens, qui connaissons le Fils de Dieu fait homme !
L’unique temple de Dieu, c’est le corps du Christ, c’est-à-dire son corps total, l’Eglise dont Jésus est la Tête.
Aimons nos églises, nos petites églises de campagne comme nos cathédrales ; elles nous offrent la possibilité de faire corps autour du Christ qui est le véritable Temple du Dieu vivant. C’est vers ce temple-là, ce temple vivant, que nous fait avancer le Carême.